5 avril. Première nuit à Caaguazu, la chaleur est pas tant pire, il y a même de la vraie herbe douce !
Nous partons en bus dans le camp dans le secteur de Repatriacion. Dès qu’on quitte la route principale asphaltée, on se retrouve dans un vrai dédale de routes d’une terre magnifique rouge-orange. Et le car tressaute, et nous avec.
En passant, Fernando nous alpague, Olivier et moi, et nous montre la maison où nous allons dormir la semaine suivante. Des champs bien verts, de la terre rouge sinueuse, le bleu du ciel qui s’étend au dessus de douces pentes… c’est très beau.
Ce jour-là nous visitons un asentamiento composé de 39 comités dans un rayon de quarante kilomètres. Au Paraguay les terres communales ont été confisquées et distribuées aux bons amis des dirigeants politiques, les paysans chassés de leurs terres. Certains refusèrent de partir et s’organisent en communidad et en comités. Les comités sont des regroupements de personnes, soit géographiques, soit thématiques qui permettent aux paysans de s’organiser et d’avoir plus de poids politique.
La rencontre se déroule dans le local de la communidad, un bâtiment en brique d’une pièce construit par les paysans.
Grâce à nos immenses progrès en guarani, et aussi grâce à la présence de nos valeureux traducteurs, l’échange est facile. Afin de pouvoir faire face aux soyeros et au gouvernement corrompu, il est clair pour les paysans qu’ils doivent avoir un poids politique. Ainsi, ils font campagne pour les élections, les surveillent, sensibilisent à un droit qui s’achète trop souvent au Paraguay. La communidad a aussi proposé ses candidats aux élections municipales. Bien que la nouvelle maire soit à la botte du parti Colorado, deux membres des comités sont conseillers municipaux. Ils peuvent ainsi surveiller et influer les décisions politiques.
Après cet échange et la valeureuse collation composée de manioc et de empanadas ; nous et nos vingt kilos en plus, assistons à la transformation du manioc en amidon. Cette machine est magique. Composée d’un moteur et de, ô splendeur des splendeurs, de poulies, de courroies, qui s’entraînent et se répondent, elle lave le manioc, le broie, le secoue pour en extraire l’amidon mélangé à l’eau qui rigole dans une piscine. Quelques heures de repos durant lesquelles l’eau et l’amidon vont se séparer et on pourra récupérer la couche d’amidon durcie.
C’était chouette de voir cette machine faite de bois et de métal s’agiter, mêler l’eau, le manioc, et finir par un délicat bruit d’eau qui file.
Puis nous plantons deux arbres, deux petites pousses dans la terre rouge. Pour Maria ce fut un vrai moment fort, mettre ses mains dans la terre, prendre soin de l’arbounet, l’arroser.
Mais le temps passait et il commençait à faire grand faim et grand chaud. Nous avons quitté la comunidad pour aller à quelques kilomètres de là. Et ce là était incroyable : du vert clair, du vert foncé, et toujours la même terre, l’ombre d’arbres magnifiques, un groupe de musiciens et une grande partie de la comunidad pour nous accueillir. Après quelques mots et quelques danses, je me retrouve face à une immense table couverte de… légumes ! D’habitude les légumes sont utilisés pour les sauces accompagnant la viande et ici ils couraient en liberté, dans leurs belles couleurs, tout le long de la tablée. Si j’étais Dieu, j’aurais choisi un lieu comme ça pour y planter la tente du Paradis.
Mais je ne suis pas Dieu et « dans tout Paradis se trouve un Enfer » (Mathilde princesse de Gal, grande poétesse du XXI° siècle). Comme on soulève un rideau, une dame s’est avancée, nous parlant de leur lutte contre les grands propriétaires terriens. Le nom de leur comité, Juliana, vient d’une petite fille qui a été tuée lors d’une confrontation avec l’armée. Alors qu’en France l’armée marche main dans la main avec le peuple ( !), ici ils sont complètement achetés par le parti au pouvoir, le Colorado, et sont appelés dès qu’il s’agit de chasser les paysans de leurs terres.
Nous avons eu une idée de tout ce qu’il leur faut de détermination, de constance dans la lutte, de courage pour conserver leurs arpents de terre. Parfois, disent-ils, il suffit de discuter et de négocier. Les grands propriétaires ont peur des organisations de paysans, parfois. Mais le plus souvent c’est par la confrontation directe qu’ils font respecter leurs vues.
Malgré tout, ils tiennent et s’organisent. Devant tant de courage, je me sens toute bête, devant tant d’injustices, fort dépourvue. La joie qu’ils éprouvent à nous voir les visiter nous montre la solitude dans laquelle ils se sentent. Ce sentiment de partage, de compassion, les maigres encouragements que nous pouvons leur prodiguer semblent les nourrir immensément.
Je suis vraiment admirative du travail du CCFD, spécialement de Laurianne, qui accompagne et soutient des hommes et des femmes en leur laissant toute souveraineté.
Dans le bus du retour, après avoir remâché dans le silence tout ce qu’on avait vu, je monte sur le toit du bus et se déploient à l’infini des champs de maïs OGM et de soja. Un petit îlot d’agroécologie au milieu d’une avalanche de champs et de profit. Et devinez où partent ce maïs et ce soja ? En Europe pour nourrir nos bestiaux.
De retour à la maison des Franciscains, conformément au programme une fête s’organise : danses de tous pays (dont un cercle circassien endiablé), cours de samba (durant laquelle je me suis trouvé telle un manche à balai soumis aux injonctions de Mirta), de salsa… Et en sus une nuit qui pourra rentrer dans le top 10 de mes nuits les plus pourries : musique jusqu’à 1h30, ambiance disco dans la chambre avec illumination au néon tous les quart d’heure, et réveil de type coq asphalté à partir de 5h15 et ce toutes les dix minutes jusqu’à ce que je change de chambre et enfin ! Puisse dormir dans le bruit de mes cothurnes qui se lèvent.