Par Mathilde
Je vais vous raconter une histoire, une belle histoire à écouter avant de se coucher. Asseyez-vous sous cet oranger, près de moi.
Il était une fois un très beau et très grand supermarché, tout rutilant dans les rues d’Asunción. Dans ce supermarché, tout le monde y trouvait son bonheur, on y vendait de tout et les habitants de la ville avaient grand plaisir à en visiter les allées, tout ébahis de tant de merveilles à portée de main.
Il était une fois un radieux matin, un dimanche. Le 1er août 2004. Les rues d’Asunción étaient calmes mais dans ce beau supermarché, un grand nombre de sémillantes personnes se promenaient, s’alpaguaient, faisaient leur choix puis repartaient dans leur maison tout content.
Soudain, un grand bruit, comme un énorme grondement. Du toit du bel édifice tombait une lourde fumée. Horreur ! Le feu rampait et bientôt se répandit. Effrayés, les doux visiteurs se précipitèrent vers les sorties. Horreur ! Les portes étaient fermées, figées par de lourds cadenas. Ils se pressèrent contre les portes, cherchèrent une issue mais peine perdue… et le feu continuait, féroce, à dévorer les allées.
A l’extérieur, les cris des joyeux enfermés attirèrent les passants. La foule se pressa, empoigna des chaises, les jetèrent sur les vitres. Peine perdue. Le valeureux fils du propriétaire et le gardien, qui avaient fermé les portes afin que surtout personne ne parte sans leur livrer le juste prix de leur travail, devant tant d’influence, écoutant leur courage qui ne leur disait rien, s’enfuirent avec la clé.
Les dés étaient jetés : à l’extérieur les pompiers, les passants, les efforts répétés pour ouvrir les portes, à l’intérieur le feu qui étouffe et brûle les métaux et les corps.
Dans cette joyeuse ville, le supermarché se consuma. A force de persévérance, les pompiers, sur leur haute échelle, se ruèrent à l’intérieur. Et les non moins joyeux visiteurs, qui se promenaient calmement deux heures plus tôt, sortirent un peu moins radieux, quand ils purent sortir.
La ville d’Asunción, sous le lumineux soleil dominical venait de perdre quatre cent de ses membres, seulement parce qu’un bienfaiteur de l’humanité avait voulu éviter de perdre quelques sous.
Et le conte se poursuivit, les victimes gardaient toujours dans leur cœur ou dans leur corps des blessures à vif.
Comme le Paraguay est l’exemple parmi les exemples, comme la justice avance promptement, dix ans plus tard les coupables parurent devant le haut et juste tribunal.
Deux ans plus tard, ils étaient relâchés. Bien que respectant la justice de leur pays mais doutant quelque peu de la justesse des décisions prises, un grand nombre de douces familles de victimes et de doux passants se réunirent devant un autre supermarché appartenant au même propriétaire pour une grande fête spontanée. Mais la police, jalouse de ne pas avoir été invitée, joua les trouble-fêtes. Soucieuse d’amener la fête à eux, ils emmenèrent plus de quatre-cent de ses joyeux drilles en leur maison pénitentiaire où les attendaient réjouissances policières : bastonnades, humiliation…
L’ampleur de cette manifestation surprit quelque peu le gouvernement. L’intègre juge qui avait prononcé la sentence fut envoyé cueillir quelques fleurs à l’extérieur du tribunal et les pauvres coupables furent condamnés à douze ans de prison.
Cependant, cette affaire ayant tellement attristé le propriétaire que, perdu dans les affres de la culpabilité, il laissa filer ses affaires et bientôt il fut en faillite. Il ne put donc pas dédommager les familles des victimes, qui, compatissantes, comprirent fort bien sa douleur. Elles compatirent tellement que lorsqu’on leur suggéra de lui donner quelque argent en dédommagement de tous ces procès fort pénibles, elles acceptèrent de bonne grâce.
Et tout fini bien dans ce charmant pays qu’est le Paraguay, où chaque habitant prend soin de ses voisins. Il ne demeure de cette histoire qu’une statue devant un supermarché en ruine, et l’incroyable tristesse de ceux d’Asunción dont les proches sont morts ou ont été blessés parce qu’ils ne comptaient pour rien au regard du prix sur les étiquettes.
Bien sûr, cette histoire n’est qu’en conte, comment cela serait-ce possible autrement ?