Que peux-tu nous dire sur l’histoire de ton engagement dans le monde, au cours de ta vie ?
J’ai travaillé au Mexique dans différentes associations civiles, y développant des processus d’éducation populaire pour la construction de la paix et la défense des droits de l’homme. Pendant les 8 dernières années, j’ai participé à l’organisation de Services et Assistance pour la Paix (SERAPAZ), en organisant une Ecole de la Paix pour la formation de leaders selon des stratégies d’action politique non-violente. J’ai pu accompagner, des mouvements sociaux et communautés indigènes qui sont en lutte pour défendre leur territoire contre des mégaprojets d’infrastructure, tels des retenues d’eau et aéroports, des mouvements sociaux qui défendent les droits sociaux face aux réformes néolibérales de privatisation dans les domaines de l’éducation ou de violation des droits du travail, tels que droits syndicaux et organisations de logement social.
Depuis 12 ans, l’Etat mexicain, avec l’appui du gouvernement des Etats-Unis, a radicalisé les politiques de sécurité pour la guerre contre le narcotrafic. Cela a engendré une spirale de violence de grande intensité et une crise humanitaire dans le pays, avec des milliers d’assassinats, dont l’exécution de divers massacres, des détentions extrajudiciaires, des tortures, des personnes disparues et des déplacements forcés.
La répression politique envers les acteurs dissidents qui s’opposent au modèle de développement néolibéral et qui défendent les droits de la population s’intensifie. Au Mexique, il y a un système de gouvernement extrêmement autoritaire qui a opté pour militariser et para-militariser le territoire du pays, sous prétexte de sécurité publique ; mais en fait, il favorise la spoliation des terres et le contrôle violent de la population. Les violations graves aux droits de l’homme se poursuivent en toute impunité et dans l’opacité de la part de l’Etat mexicain.
Dès lors, j’ai travaillé, dans divers secteurs, en développant des outils et des processus pédagogiques en accompagnement psycho-social, pour travailler les impacts de la violence politico-sociale sur les victimes. Entre autres, particulièrement avec les familles et proches des disparus de différentes régions du pays.
Quel est le sens de cet engagement envers l’autre ? Pourquoi avec les autres ? Pourquoi dans le monde ?
La lutte pour la paix est une lutte d’amour pour la vérité et la justice, pour le respect de la dignité des personnes, pour le respect de ses droits humains. Je la mène en optant pour des chemins de lutte non-violents, parce que je considère en principe que la violence est l’essence de celui qui opprime. C’est une lutte qui se base sur des principes de respect de la vie et de la dignité de l’autre ; La solidarité avec les autres, face à la souffrance et face à l’injustice.
Au Mexique, comme dans d’autres pays d’Amérique Latine, s’est vécue tout au long de son histoire, une grande lutte permanente de ses peuples contre des pouvoirs oppresseursetqui abusent du pouvoir : invasions coloniales, dictatures, oligarchies. Le territoire latino-américain a toujours été sous l’exploitation capitaliste et coloniale de puissances étrangères européennes et des Etats-Unis. Cela se vit aujourd’hui avec les conditions historiques actuelles, mais par essence on continue à livrer le même combat. Avec cela des mouvements sociaux et des luttes se sont forgés au cours de l’histoire. Je fais partie de ce peuple qui a vécu l’oppression et qui lutte pour se libérer et libérer les autres. J’ai opté pour le faire à travers des organisations civiles comme étant le chemin qui, pour le moment, m’a paru le plus éthique et libre pour agir sur le monde.
Comment vis-tu ton engagement aujourd’hui ? Quelles questions cela te pose ?
Pour le moment je vis en France et dès lors j’ai senti une grande frustration de ne pas pouvoir être au Mexique. J’ai réalisé avec d’autres mexicains et amis français des actions d’information comme des entretiens et des évènements de visibilité pour faire connaître ce qui se passe au Mexique, en particulier sur la répression et la disparition des étudiants de l’Ecole Normale de Ayotzinapa, et sur la situation de tous les disparus dans le pays. En France, on sait très peu de choses sur le Mexique et l’information que l’on a est l’information officielle diffusée par le gouvernement mexicain à travers les moyens de communication de masse.
Je participe comme volontaire dans l’équipe CCFD-Terre Solidaire de la région Rhône-Alpes.
Je vis mon engagement à distance et cela fait que je me questionne beaucoup s’il est possible de le faire. Et comment le vivre en étant à distance ? Je vois qu’il y a toujours des personnes intéressées et sensibles qui se solidarisent contre les causes de l’injustice. Avec cette distance j’ai pu voir qu’il est toujours important de garder du temps pour soi-même, pour réviser à fond son engagement, ses principes et la nécessité de les renforcer. En maintenant une éthique et une radicalité pour ne pas se perdre entre les multiples formes par lesquelles le système capitaliste entreprend d’aliéner et de transformer, et ne pas permettre que se perdent l’utopie et l’espérance en chacun de nous.
Un symbole de ton engagement ou une expérience à partager avec nous
L’impact d’une violation des droits de l’homme sur les personnes est très grand ; il se traduit en faits traumatiques qui divisent la vie des personnes en un avant et un après ; en général la vie des personnes n’est plus jamais la même. Les personnes doivent affronter la douleur de l’abus et de la négation de la justice ; avec aussi le mensonge et l’impunité défendue par tout un appareil d’Etat qui agit pour fuir sa responsabilité et qui engage toute sa puissance contre cette personne ou cette population. En particulier, dans le cas de personnes qui vivent la disparition d’un des leurs, cet acte est la plus grande horreur qu’une personne puisse expérimenter. Les familles de personnes disparues vivent la stigmatisation et l’exclusion sociale, et de la part de l’Etat la tromperie, la menace, la criminalisation et l’accusation d’en être les responsables. Les familles doivent, tout au long du processus d’exigence de vérité et justice, affronter les abus de pouvoir et des violations successives des droits de l’homme. Une des situations particulières qui leur arrive est de confronter leur vérité sur ce qui s’est passé et sur qui étaient leurs proches, avec le mensonge déguisé de vérité que fabriquent les autorités et qu’elles cherchent à propager dans la société.
Malheureusement, dans de nombreux cas, cette information est acceptée par bien des secteurs de la population, légitimant ainsi l’impunité de ceux qui ont perpétré le crime.
C’est dans ces cas que la solidarité des autres devient vitale. La solidarité avec les personnes qui ont souffert de violations des droits de l’homme dans leur exigence de justice est l’acte d’humanité qui peut changer la réalité de l’injustice et de l’impunité.
C’est un acte d’amour pour la vérité et de lutte pour la justice ; c’est un acte de revendication de la dignité humaine. C’est un acte d’amour par le fait d’accompagner la douleur et la souffrance des autres. C’est la revendication de la vérité de la part de quelqu’un qui vit l’acte de violence et l’opportunité que cette vérité puisse être connue et légitimée par plus de secteurs de la société ; et dans ce processus, se reconstruire et se fortifier lui-même.
Ce que j’ai rencontré dans l’accompagnement des mamans ou d’autres familles qui recherchent leurs disparus, c’est la constatation que l’amour est la plus grande force qui existe pour faire face à toutes les situations d’horreur que puisse affronter un être humain. L’amour pour leurs familiers devient ce qui les pousse à continuer au milieu de la peur et de la désespérance, ce qui leur permet d’être lumière devant les autres qui vivent la douleur et l’abus de pouvoir. Et que cet amour dans la solidarité avec les autres se propage et se concrétise dans la lutte qui donne du sens et de l’espérance pour obtenir une société plus juste et un autre monde possible.