(Par Jean-Noël)
Depuis 3 ans, nous expérimentons, en Rhône-Alpes, une nouvelle façon de fonctionner. Nous explorons, avec la dynamique de rapprochement réseau –partenaires notamment des nouvelles façons d’agir. Il y a peu, le CCFD – Terre Solidaire s’est doté d’un rapport d’orientation (RO) qui doit nous guider jusqu’à 2020.
Comme Bernard Pinaud, je pense que le processus, pour notre RO comme la plupart du temps, est plus important que le résultat. Dit autrement, le plus important c’est toujours le chemin.
Et donc plus que de s’arrêter sur ce qui est dans ce RO et dont on ne voulait pas ou sur ce qui n’y est pas, arguer que c’est trop déstabilisant ou au contraire pas assez audacieux, ce qu’il nous faut c’est continuer ce chemin.
Continuer le chemin, pas pour le plaisir de marcher ou de courir. Continuer le chemin pour être à la hauteur de l’enjeu.
Parmi les défis auxquels le CCFD – Terre Solidaire fait face, il en est un, qui, je pense, traverse tous les autres : c’est à la fois qui nous sommes et, par-là, où nous agissons.
Le CCFD a été créé en 1961 par des mouvements et services d’église (MSE) qui étaient, alors, non seulement le coeur battant de l’Eglise de France mais, aussi, représentaient un très large éventail de la société française. Ils battaient « la campagne », nourris par l’éducation populaire, pour éveiller les consciences et pour soutenir les projets de leurs « copains » de mouvements du Brésil, du Vietnam ou d’ailleurs. Ils étaient, comme le dit Xavier Ricard, les prémices d’une société civile mondiale.
Les évolutions du monde, et de l’Eglise en particulier, nous amènent aujourd’hui à être structurellement plus éloignés de cette intuition initiale.
Alors quoi ?
Se laisser bercer, pendant notre lente agonie, par les soins palliatifs. Pour finalement devenir une (mauvaise) ONG de plus, avec des salariés très compétents, des prestataires et des cadres logiques, le tout financé à coup d’étudiants qu’on embauche pour arpenter les rues commerçantes avec des K-way CCFD ?
Dans notre contribution régionale au processus d’élaboration du RO, nous avons, collectivement, défendu, comme Hélène Cettolo, l’idée que la région a un rôle central à jouer pour faire vivre notre « réseau de réseaux ». Mais quel rôle ?
Un nouvel étage de mille-feuilles pour satisfaire les appétits de pouvoirs d’une nouvelle génération d’apparatchiks impatient-e-s ?
Un espace pour exfiltrer les nouveaux bénévoles, jeunes ou vieux, en perdition dans notre réseau local ?
Un nouvel outil redoutable pour finir d’achever des équipes d’animation diocésaine au bord de la rupture. Épuisées à force de faire elles-mêmes, en plus de leur rôle stratégique et d’animation, les actions concrètes qui relèvent des équipes locales et des réseaux thématiques ou jeunes?
La région peut malheureusement assez facilement devenir tout ça à la fois.
Je crois au contraire qu’elle peut être un formidable espace pour se ressourcer, pour mettre en commun talents, compétences, idées, fragilités et forces pour mieux agir sur nos terrains à chacun. Un espace idéal - pour des militant-e-s engagé-e-s dans leurs terrains respectifs - pour repenser qui nous sommes et comment agir.
Repenser, d’abord pour se redire qu’une structure est au service d’un projet et jamais l’inverse. S’attaquer aux « structures de péchés » de notre propre association pour comprendre pourquoi elle broie si efficacement les enthousiasmes, décourage les militants historiques et effraie les motivés qui s’y égarent.
Repenser comment on est présent, aujourd’hui, au cœur de la société française dans sa diversité.
Repenser ce que peut bien vouloir dire « battre la campagne » dans le monde d’aujourd’hui ? Entre un niveau micro-local déterritorialisé, refuge des dernières vraies interactions physiques entre les personnes et des réseaux denses et riches mais dématérialisés grâce à internet.
Repenser avec ceux qui ont cette expérience, en mouvements notamment, comment ceux qui agissent ailleurs peuvent être nos « copains » du Brésil, du Sénégal, d’Inde… y compris quand, ici comme au Sud, ces acteurs n’ont, comme moi, jamais fait partie d’un mouvement ou de quoique ce soit qui s’en rapproche.
Comme tous les grands mouvements populaires l’ont toujours fait, à commencer par nos MSE et la plupart de nos partenaires, il nous faut pour cela réapprendre à « être au monde », vivre au cœur des réalités de chacun de nos terrains. Ce sont des territoires de vie, pas des diocèses ou des régions. Ce sont ces « fonds de vallées » qui me sont chers. Mais il y a des « fonds de vallées » dans les plus grandes villes comme dans les plaines.
Mais ces terrains sont des lieux où l’on vit, parfois bien au-delà du territoire. Un hôpital, une université, une usine, un réseau informel de producteurs amateurs de semences anciennes, un syndicat, un club de sport, un réseau professionnel…
Si on ne réinvestit pas nos lieux de vie, nous ne pourrons être qu’une clique bobo-isée d’intellos de la solidarité internationale qui organisent des conférences avec leurs copains qui lisent des gros livres compliqués.
Pour investir ces terrains il nous faut oublier ce que nous croyons être, sortir de nous-mêmes et de nos habitudes. Là encore, la région peut être un outil clé.
On peut y inventer un lieu communautaire CCFD qui pourrait accueillir toute l’année des classes de solidarité internationale, comme on fait des classes vertes. On pourrait y proposer, à un plus large public, des retraites spirituelles dans l’esprit de notre expérimentation de ce Carême ou des semaines de vacances - formation. On pourrait en faire un lieu d’expérimentation, y organiser des formations, des séminaires. On pourrait en faire un espace d’accueil pour rassembler des partenaires souhaitant travailler ensemble, quelques temps, sur une question précise…
On peut aussi profiter de la région pour offrir des espaces pour explorer d’autres modes d’action. Proposer à ceux qui le souhaitent et s’y reconnaissent, ici et là-bas, de se former aux méthodes de désobéissances civiles pour pouvoir agir.
Rassembler les musiciens ou comédiens de nos différents « fonds de vallées » pour qu’ils se retrouvent, de temps en temps, jouent ensemble et puissent former une fanfare « dormante », pour transformer nos actions ou interventions.
On pourrait imaginer des pages et des pages de nouveaux espaces, de nouvelles pistes qui mettent au service de notre projet de transformation du monde nos compétences de paysan, électricien, DRH, enseignant, médecin, boulanger, alpinistes, jardinier amateur, pêcheur, bucheron, marin, théologien du dimanche, universitaire, développeur informatique…
Quand je me suis engagé au CCFD – Terre solidaire, il y a un peu plus de dix ans, j’étais très marqué par deux phrases. Une de militant-e-s en cagoule des montagnes mexicaines dit : « Tout ce qu’on voulait c’était changer le monde, le reste on l’a inventé en route ». L’autre, dans la bouche de St Augustin dit à peu près la même chose (ça passe souvent mieux avec Augustin qu’avec les cagoules, allez comprendre) : « aime et dit le avec ta vie ».
J’espère que les 3 années d’expérimentations qu’on vient de vivre ensemble en Rhône-Alpes, y compris l’élaboration du RO, nous ont donné ce gout pour chercher notre chemin ensemble et « inventer en route » fort de notre envie commune de « changer le monde ». Bien plus que tous les rapports d’orientation, les cartes ou je ne sais quel leader, c’est ce goût pour marcher ensemble qui nous permettra de continuer, par tous les temps, de mener notre mission d’acteurs de la société civile mondiale.
Jean-Noël, Equipe d’Animation Régionale