Animateur :
Xavier COURTOIS, médecin de santé publique à Annecy – membre du CCFD- Terre Solidaire.

Intervenants :
Luc CHAMPAGNE, retraité – cadre supérieur infirmier hospitalier
Jean-Luc VIGNOULE, médecin généraliste à Chambéry, à l’origine de la mise en place d’un pôle de santé pluridisciplinaire.
Xavier RICARD, directeur du partenariat international au CCFD-Terre Solidaire pour  l’expérience d’un partenaire au Sénégal : USE : Union pour la solidarité locale et en appui « traduction » pour Sami.
Samy LOURTHUSAMY AROGIASAMY, partenaire de l’Inde du Sud, district de Karur dans l’état de  Tamil Nadu, de l’association  AREDS : Association of Rural Education And Development Service.

Xavier COURTOIS
       Xavier dans sa courte présentation, rappelle quelques données pour situer la  problématique de la santé :
•    Le modèle de financement de la santé est très différent dans le monde par rapport au modèle français,
•    En France, la santé représente 11% du PIB, soit environ 4700 dollars / personne, et l’espérance de vie est de l’ordre de 80ans ; au Sénégal, l’espérance de vie est de 50 ans et le coût de la santé est de l’ordre de 48 dollars/personne
•    (NB du rédacteur : les chiffres 2009 pour le Sénégal sont, selon l’OMS : espérance de vie 60/63 ans, 5.7% du PIB et un coût de 102 dollars/personne)

Luc CHAMPAGNE
•    Débute son intervention en citant un article de Tahar Ben Jelloun paru dans le monde en avril 2011 : « Quand on me demande ce que j’apprécie le plus en France en dehors des châteaux de la Loire, du Mont St Michel, de sa gastronomie et des subtilités de la langue de Racine, je dis : son système social. », et d’indiquer : « si je témoigne aujourd’hui sur le service public, c’est qu’il est menacé …La consigne qui a été donnée est simple : il faut considérer le patient comme un client, donc il faut qu’il soit rentable »
•    Il affirme et interroge : Le système en France est performant, mais nécessite une grande vigilance, mis en place essentiellement après la guerre, il subit des contraintes nouvelles fortes :

  • La situation économique depuis 1970, qui a fait prendre conscience que la santé avait un coût,
  •  Le vieillissement de la population qui doit impacter l’organisation même des soins et l’accompagnement des personnes  parcours de soins et non prises en charge successives déconnectées les unes des autres  travail en réseau mais comment financer, par rapport à un financement à l’acte ?
  • La notion de droit des malades apparue avec la loi Kouchner en 2002, le malade n’est pas seulement un patient, mais aussi un citoyen avec des droits et des devoirs  et Luc Champagne de pointer du doigt un problème psychologique et une tension sociétale :
« quand on est malade, on a tous les droits !!! »

« la collectivité ne peut tout satisfaire !!! »

Il faut donc créer un dialogue entre attente (exigence) particulière et capacité collective et priorisation des besoins à satisfaire pour le bien commun.

  • Les inégalités par rapport à la santé : financières, territoriales, liées au mode et aux conditions de vie, de travail  ce qui impacte les réponses à apporter : réponse de proximité et/ou recours à des plateaux techniques sophistiqués.
  • L’évolution forte des dépenses dans un espace financier qui s’amenuise. En France depuis 1950, par rapport au PIB, les moyens de santé ont été multipliés par 3, les dépenses par habitants par 17 et le nombre de médecins par 6.6 avec des difficultés dans certains territoires jugés peu attractifs (problème des spécialisations accrues, du choix personnel des médecins : peu d’enthousiasme pour certaines zones géographiques – désert médical - ou pour des banlieues dites sensibles –problème de sécurité -. Les attentes sociales des professionnels de santé et les besoins de reconnaissance des uns et des autres, pas seulement dans le domaine financier mais aussi dans le processus d’accompagnement des patients. De quelles marges de manœuvre disposons-nous pour accompagner les évolutions techniques, organisationnelles et sociales ?
  • Enfin, il convient de se reposer la question de la place de la société civile dans le domaine de la santé. Une place qui a existé, qui existe encore mais qui est confrontée aux grandes difficultés que rencontre aujourd’hui le mouvement associatif.

De la conclusion de l’intervention de Luc Champagne, je retiens les messages suivants :

  • « j’ai été un professionnel heureux, par mon environnement social et familial »
  • Mais aujourd’hui, les personnels soignants sont dans un grand écart :

Répondre aux besoins,

Conditions de travail difficiles (phénomène de « burn-out ») : des injonctions paradoxales avec l’immixtion de la justice dans le domaine de la santé, les protocoles médicaux à respecter, vouloir des professionnels au top sans leur donner les moyens de faire …

  • L’importance du sens collectif : le droit de pouvoir être soigné et la responsabilité personnelle pour limiter le report des conséquences de mes choix de vie et leur répercussion sur ma santé sur la collectivité. (Economie et santé – Economie et consommation – Santé et mode de vie sociétal)


Jean Luc VIGNOULE
•    Situe l’expérience menée sur Chambéry Nord de la création d’un pôle de santé pluridisciplinaire composé de 6 médecins généralistes, 1 gynécologue, 3 kinésithérapeutes, 12 infirmières, 6 pharmaciens ou préparateurs, 4 diététiciennes, 2 orthophonistes, 1 ergothérapeute, 2 psychologues, 2 pédicures podologues, 1 sage femme. Expérience conduite dans un quartier en Contrat urbain de cohésion sensible et Zone urbaine sensible. Pôle de santé retenu par l’Agence Régionale de Santé Rhône Alpes comme site expérimental pour des nouveaux modes de rémunération.


•    Le Projet de santé du pôle est l’amélioration de l’accès aux soins,  de la continuité et de la qualité des soins apportés aux patients.
•    L’idée est de partir d’un triptyque de base : « médecin traitant généraliste, pharmacien, infirmière », associé à divers acteurs de la santé avec un plan personnalisé de santé :

  •  pour un travail collégial au service de la population d’un territoire défini,
  • pour améliorer les prises en charge en sortie d’hôpital,
  • pour améliorer la prévention, par exemple par des consultations de prévention chez le pharmacien.

•    Les objectifs :

  • Guérison médicamenteuse, guérison dans l’approche à vivre sa maladie : comprendre ce qui arrive, devenir acteur dans la prise en charge de la maladie
  • Conduire une éducation thérapeutique,

•    La prise en charge des situations complexes nécessite des rencontres entre professionnels de santé et ou sociaux, ces temps de concertation peuvent être indemnisés.
•    Les questions que cette organisation pose :

  • Le problème du paiement à l’acte ?
  •  La notion de paiement à la performance ? comment la mesurer ? prise en charge de la santé d’une population ciblée  c’est une obligation de santé publique  comment on rétribue ?

•    Un financement a été accordé pour :

  • un diagnostic local de santé qui va être conduit par des enquêtes :

•    Auprès de la population du quartier,
•    Auprès des professionnels de santé, afin d’avoir une prospective à court terme des besoins d’installation, et de connaître les désirs des professionnels de santé pour assurer une offre de soins suffisante.

  • L’installation d’un lieu Ressource santé permettant d’accueillir toutes les initiatives en matière de prévention (périnatalité, nutrition petite enfance, prise en charge souffrance psychique)

De l’intervention de Jean Luc Vignoule, j’ai retenu que la maison pluri professionnelle pourrait être une réponse possible :

  •  à la désertification médicale dans les zones rurales ou les zones difficiles et de précarité,
  • à une autre organisation des soins avec une répartition différente des fonctions des professionnels de soins et une plus grande coopération entre les acteurs, en particulier médecin généraliste, pharmacien, infirmière,
  •  à la nécessité d’associer les acteurs sociaux pour aborder les problèmes de santé sur un territoire donné et aider les personnes à mieux gérer leur capital santé et leurs fragilités.


Xavier RICARD
•    Présente l’expérience du partenaire « USE » et son contexte. USE est l’une des premières ONG sénégalaises, présente à Dakar et dans sa banlieue. Fondée par la CIMADE, elle est à l’origine d’un programme qui concerne un millier de village de la vallée du fleuve Sénégal. (Programme intégré de Podor, concernant les départements de Podor, Matam et Linguere)
•    Ce programme a été mis en place pour répondre à la dégradation de la situation sanitaire et écologique liée à la construction de deux barrages sur le fleuve. Les populations se sont trouvées fortement démunies vis-à-vis de l’accès à l’eau potable, l’eau agricole, l’accès aux soins.
•    Il a été fait appel à l’entraide entre les villages et à des soutiens externes pour les animateurs des programmes qui visent à renforcer les compétences des populations, à donner un coup d’accélérateur au développement, et sur le long terme à permettre à la société civile de se prendre en main. Cela a permis, dans le domaine de la santé, la mise en place de dispensaires locaux et un centre d’ophtalmologie qui assure 62% des consultations pour Dakar.
•    La structure « a pris la place des pouvoirs publics défaillants » dans son secteur. Des résultats tangibles ont été obtenus concernant : l’organisation de la santé, l’alphabétisation et les échanges d’expériences professionnelles, les systèmes locaux de financement, la préservation de l’environnement et le maintien de l’activité agricole
•    Aujourd’hui, la structure est consciente que toute son énergie est absorbée par la gestion des dispensaires et de la clinique, mais la dimension changement sociétal, dimension politique,  semble s’être perdue. Il y a bien toujours un réseau de 50000 membres actifs qui cotisent avec un système de redistribution volontaire, mais la structure s’interroge sur l’implication de ses membres dans une réflexion citoyenne pour un développement d’un service public.

Samy LOURTHUSAMY AROGIASAMY
     Samy est sociologue. Il s’intéresse particulièrement aux droits des « intouchables » L’association travaille avec des mouvements de femmes Dalits et de paysans. Il s’agit de créer des alternatives

•    Il rapporte la démarche de son association dans le domaine de la santé : responsabilité individuelle et collective, à partir de ce questionnement très pragmatique : comment pouvons-nous prévenir et répondre, avec les moyens dont nous disposons, aux problèmes de santé les plus importants que nous rencontrons ?
•    Les paramètres locaux : le docteur le plus proche est à 25 km, l’hôpital le plus proche est à 66 km, chez les personnes, il y a culturellement, la notion du destin est très ancrée.
•    Sami nous dit que son épouse Christie est formée comme sage femme.
•    Un constat : une forte mortalité en lien avec la naissance des enfants : soit pendant la grossesse, soit juste après la naissance. Les accouchements se passent sans docteur.
•    Ils se sont posés la question : pourquoi ce problème de mortalité, de quels moyens disposons-nous ? et fait une démarche analytique

  •  Rencontre avec les sages femmes traditionnelles, Identifier les bonnes pratiques
  •  Identification des causes de mortalité : problème de stérilisation pour couper le cordon ombilical, la nourriture pendant la grossesse, la reprise trop rapide du travail,

•    Puis l’organisation a conduit des actions locales avec les moyens disponibles dans un premier temps :

  •  Education des futures mamans, préparation à l’accouchement, consignes pour la nourriture, invitation à nourrir les enfants au sein,
  • Retrouver des alimentations et « médecines » douces, efficaces pour les maladies courantes et les faire connaître, création d’une poudre alimentaire locale enrichie pour les enfants

•    La situation a changé depuis 30 ans mais …

  • Avant nous avions une ambulance pour un rayon de 65km, elle ne devait être utilisée que dans des cas très précis : accouchement très compliqué, empoisonnement, morsure de serpent …
  • Aujourd’hui, des ambulances se déplacent dans les villages (concurrence) suite à une certaine privatisation du service de santé  si j’ai de l’argent, je peux aller n’importe où en Inde pour me faire soigner  l’accès aux soins est un luxe réservé aux riches, avec tout ce que cela implique dans une société basée sur le système des castes. Si je suis pauvre, je dois me débrouiller avec les moyens locaux.

Des interventions de Xavier et de Samy, j’ai retenu :

  •  Analyse pragmatique locale des situations : problèmes à régler, moyens dont nous disposons…
  •  Volonté et la capacité d’utiliser les compétences locales et d’avancer ensemble pour les mettre en œuvre selon un plan réfléchi,
  • Projet collectif conduit et mis en œuvre par les personnes concernées, et appel à des soutiens,
  • La difficulté, dans le cas de « USE » d’aller au-delà des réalisations concrètes déjà engagées et qu’il faut entretenir … Principe de réalité des forces disponibles pour mener à bien les projets ?


Eléments de la discussion avec la salle :
Questions, (certaines ont reçu des éléments de réponse, d’autre pas), réflexions, témoignages :
•    Quelle place pour la prévention dans les maisons de santé ?
•    Notion de performance des médecins, dans les hôpitaux ?
•    Lien performance en matière de santé et industrie pharmaceutique, financement de la recherche ?
•    Notion de prise en charge globale de la personne, coût et financement ?
•    Notion de prise en charge par les pharmaciens et infirmiers, coût et financement ?
•    Les problèmes de gaspillage dans la santé (réutilisation ou non des appareils médicaux – appareils médicaux d’occasion ?), les réticences à vaincre, les moyens à mettre en œuvre, sous quelle responsabilité ?)  cf. réponse A.
•    Participation communautaire dans le système de soins  cf. réponse B.
•    Un ressenti d’une personne ayant été hospitalisée pour une situation difficile « j’ai eu une prise en charge excellente, on a de la chance d’avoir un bon système, attention de ne pas le mettre en péril. »
•    Un lien entre le témoignage de « USE » au Sénégal et le témoignage de SAMI en Inde  il faut se débrouiller par nous-mêmes lorsque l’état ne fait pas son job.
•    Le coût des soins, il faut en parler pour responsabiliser  cf. réponse C.

Les éléments de réponse :
Réponse A (à propos du gaspillage) : Jean Luc Vignoule :
Une expérience est en cours sur ce sujet. Les outils devraient permettre de créer une dynamique communautaire par le biais de l’interpellation du tissu social. Il faut bousculer les politiques pour prise en compte du problème sanitaire pour améliorer le vivre ensemble.
Réponse B (à propos de la réponse communautaire) : Samy Lourthusamy Arogiasamy:
La santé est de responsabilité individuelle et collective. En même temps la santé est un droit fondamental pour chaque personne, cela implique que les budgets publics arrivent aux personnes concernées (vaccination, actions de prévention …) On essaie de monter que l’on peut expérimenter des soins au niveau local pour que cela puisse être repris au plan national.
Les réflexions au niveau de la santé ont montré les problèmes sociétaux, culturels et politiques  impactant  faire valoir les droits en terme de santé, posent la question des femmes et de leur reconnaissance dans la société, il s’agit pour notre association de rejoindre les femmes des castes les plus défavorisées.
Réponse C (à propos de la sensibilisation au coût des soins) : Jean Luc Vignoule :
La Sécurité Sociale envoie les bordereaux de remboursement  on peut y voir les coûts …
Des réactions : coût des journées d’hospitalisation, coût du forfait hospitalier (nourri ou pas …), problème de la dégradation de la couverture sociale, et du recul de l’accès aux soins pour les personnes en grande difficulté (notion de seuil …), les inégalités par rapport à la santé s’aggravent.

En guise de conclusion pour le débat :
Xavier Courtois : « Patient – client et citoyen ? »
Luc Champagne : En matière de santé, la responsabilité de chacun est engagée (mode de vie personnel et collectif) Pouvoir présenter la problématique de la santé dans la société, c’est une démarche de prévention collective. Il faut aller à contre courant de la démarche curative pour favoriser la démarche préventive. N’oublions pas que l’on vieillit plus longtemps en bonne santé …
Jean Luc Vignoule : Deux axes :
•    Prévention : vaccination, dépistage, information par des personnes relais santé sur le territoire.
•    Performance : consacrer le médical au geste médical.
Xavier Ricard : Notre système social est merveilleux, mais il est devenu énorme, plus personne ne se sent responsable. Il conviendrait d’aller vers un système plus décentralisé …

Ces éléments de conclusion appellent sûrement d’autres débats …