Animateur : André Briquet, CCFD-Terre Solidaire

Intervenants :
             
Jean Chaudet, viticulteur dans le Bugey (01)            
             
Charles Bernard, Président de la coopérative laitière d’Etrez (01)
            
Véronique Lucas, sociologue

Jean Chaudet

J’ai 66 ans, je suis marié et j’ai 3 enfants, je suis retraité de l’agriculture. Ma femme travaille encore dans l’entreprise que j’ai créée avec mon père et des voisins, il y a 45 ans. Cette entreprise exploite 45 hectares de vignes et vend 400 000 bouteilles pour 35 000 visiteurs. Vongnes est un village du Bugey de 715 habitants, qui développe et entretient l’art de la convivialité. J’ai également été vice-président, pendant plusieurs années, du syndicat des producteurs de vins du Bugey. L’appellation Vin du Bugey est née dans les années 50 et a obtenu l’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) en 2009.
L’AOC, c’est un patrimoine sur une entité géographique et une propriété collective. Il permet le respect de conditions de production et de transformation connues et imposées par les règles de l’appellation et présentées dans un cahier des charges, vérifiées par différents contrôles. Le syndicat met en application et fait respecter ces règles, ce qui empêche de copier ou dévaloriser le produit (Autres exemples d’AOC : la lentille verte du Puy, la noix de Grenoble, Le bœuf charolais, la volaille de Bresse…). L’AOC permet de mieux communiquer, s’appuie sur la qualité et les particularités d’un produit, sur un savoir-faire. Cela développe une complicité avec les acteurs touristiques de la région. Une appellation n’est pas délocalisable. Cela permet de valoriser un territoire.
J’y vois des inconvénients :
Moins de temps pour les autres productions et donc le développement d’une spécialisation, et ainsi une fragilisation due aux événements climatiques ou économiques,
Une contrainte sur les procédés de travail,
Des contraintes imposées par les contrôles,
Des surcoûts imposés par les règles des procédés, de l’équipement, des règles de transformation,
Des surcoûts pour le fonctionnement du syndicat et le financement des organismes de contrôles
Le risque de voir une élévation du prix des terrains et que cela soit un handicap pour les jeunes générations.

Charles Bernard


Je suis agriculteur à Etrez, au nord de Bourg-en-Bresse, dans un GAEC. Compte-tenu des quotas
nous produisons 420 000 l de lait par an et de la volaille de Bresse en AOC. Nous avons un abattoir sur le canton. Je suis président de la coopérative laitière d’Etrez qui salarie 50 personnes, regroupe 70 exploitations et commercialise 30 millions de litres de lait par an.
Dans les années 30, la concurrence a forcé les beurreries à se rassembler. Aujourd’hui, il en reste 4 en Bresse.
La notoriété des produits laitiers de la Bresse s’est développée dans les restaurants, les fromagers, les marchés amenant une réflexion dans les années 2000 pour asseoir cette reconnaissance. Nous avons commencé par faire l’inventaire de tous les labels possibles. L’obtention d’une AOC semblait possible. L’AOC est liée à un territoire : un milieu avec ses caractéristiques physiques mais également les hommes qui y travaillent, c’est le savoir-faire. Cela constitue une protection, l’impossibilité d’exclure une entreprise. Ont commencé un va-et-vient entre les enquêteurs, les instances de l’INAO, les administrations. Puis, il fallait que le syndicat soit validé dans ses fonctions, il fallait délimiter un périmètre, après une enquête publique, rédiger un cahier des charges qui fixe les règles de production, qui s’imposerait aux exploitants et transformateurs. La rédaction de ce cahier des charges, c’est l’occasion de se poser des questions : l’autonomie alimentaire des animaux, la proximité entre production et transformation, la mise en valeur des fromagers, le cadrage des dérives de l’industrialisation, la taille des exploitations. On peut se dire qu’une exploitation de 200 vaches pose des questions de surface de pâturage et donc ne rentrerait pas dans l’AOC. Le cahier des charges limite également le temps, le volume de barattage, le pompage manuel.
Nous n’avons pas encore l’AOC, on espère en 2012. Cela représente un investissement sur l’avenir et les enjeux sont : la survie de petites et moyennes entreprises, l’emploi, le maintien d’un métier (exemples de fromages en AOC : le chaource, l’époisses, le comté qui représente l’une des plus grosses appellations et qui s’appuie sur un cahier des charges évolutif, qui met en adéquation les besoins des consommateurs et des exploitants, qui permet le maintien d’un niveau de vie correct pour les producteurs).
En 2015, on parle de suppression de quotas laitiers. Ne faut-il pas trouver d’autres moyens de limiter la production ? L’AOC semble être un moyen de réguler la production.


Véronique Lucas

Je vais vous présenter des expériences de valorisation de produits qui constituent des solutions de résistance territoriale à l’accaparement des terres, et qui permettent à des territoires de trouver leur spécificité. Ce sont quatre démarches qui ont permis de distinguer un produit et d’en tirer des bénéfices pour un territoire, en Corée du Sud, au Brésil, en Bolivie et en Angleterre.
¬    Corée du Sud
Les surfaces agricoles sont restreintes car la population est importante sur des territoires montagneux. L’agriculture est de moins en moins soutenue par le gouvernement et le riz est principalement importé de Thaïlande. Cela développe une menace sur la production rizicole coréenne. Une réflexion est née : comment défendre la spécificité du riz coréen et développer une meilleure communication aux consommateurs ?

¬    Brésil
Dans un climat semi-aride s’est développé dans les pâturages un arbre dont le système racinaire  est développé et permet de stocker 1500 l d’eau. Le fruit possède des propriétés nutritives particulièrement adaptées à la population de la région. Dans un contexte d’explosion démographique et de dégradation des pâturages, l’arbre a commencé à disparaître. Une filière de commerce équitable française (une autre forme de labellisation) est née et a permis aux producteurs de développer des moyens d’étude et la distinction des propriétés de l’arbre. Le gouvernement Lula  a développé un programme d’achats locaux pour les cantines, qui a permis le développement d’organisation commerciale de proximité, les filières courtes.
¬    Bolivie
Pendant longtemps, la céréale de base a été la quinoa mais la Bolivie a été envahie par la farine de blé des programmes d’aide alimentaire américains. Des filières de commerce équitable ont aidé à la mise en évidence des qualités de la quinoa (faible teneur en gluten) et participé à l’engouement des marchés occidentaux pour ce produit. En Bolivie, ces changements de régime alimentaire ont causé des problèmes de santé de la population. Dans
la région de l’altiplano en particulier, le contexte change grâce au travail de maintien et de valorisation de la quinoa.

¬    Angleterre
La région du Lake District est une région montagneuse et touristique. Une race ovine y est très développée, la herdwick. Les sols sont acides et ces ovins favorisent l’entretien de ces sols. Ces brebis connaissent bien leur territoire (transmission géographique) et les éleveurs n’ont pas besoin de mettre de clôtures. C’est une race peu compétitive mais il y a une démarche de reconnaissance en AOP, qui jouerait de l’image touristique, qui mettrait en valeur les enjeux alimentaires, environnementaux, agricoles et économiques.

Questions et débats avec la salle

Quelle est la limite du modèle économique majoritaire ?
Charles : La Suisse a supprimé les quotas et elle croule sous les poudres de lait. Elle développe des cahiers des charges Suisse Garantie pour conserver cette valeur ajoutée.
Véronique : s’il n’y a plus d’AOC, il n’y aura plus que du lait de Bretagne ou de Loire, là où les conditions de production sont les plus favorables. Mais on ne peut pas tout demander à l’AOC, notamment de permettre une bonne rémunération des producteurs.  Aujourd’hui le client est de moins en moins en face du producteur. L’intérêt de l’AOC est la gestion collective par les organisations de producteurs, la régulation de l’offre et la demande.

Quelles sont les conséquences de l’AOC sur les revenus des producteurs ?
Y-a-t-il un effet d’entraînement sur le tourisme ?
Jean : L’AOC entraîne le producteur à développer le commerce direct, de proximité et donc à multiplier ses heures de travail. Ces producteurs arrivent à un niveau de revenus corrects mais rapporté à l’heure, ce n’est pas le cas. On a constaté que la production de Beaujolais avait baissé de 30 % depuis qu’il est en AOC.
Charles : l’AOC est une démarche de qualité, ça rejaillit sur l’ensemble des produits. Par exemple, la volaille cuisinée avec la crème, c’est délicieux !
Jean : Des journalistes peuvent s’intéresser à ces démarches, on en parle dans les discussions.
Charles : Le prix de la volaille de Bresse est indexé au coût de revient.

Quelles sont les marges pour les initiatives ?
Qu’en est-il du bio ?
Jean : la qualité des produits s’est améliorée.

Est-ce vrai qu’avec le développement du commerce équitable, la quinoa devient inaccessible pour les locaux ?
Véronique : le problème est bien le niveau de vie des consommateurs mais ce que ne peut pas résoudre ces expérimentations. La farine de blé produite par les agriculteurs américains est très subventionnée par le gouvernement américain.