Animateur : Claude LAVAL, CCFD- Terre Solidaire
Intervenants:
Guy NEYRET, chef d'entreprise d’une PME (fabrication de machines spéciales)
Nicholas CHINNAPPAN, partenaire indien du CCFD Terre Solidaire
Christian JUILLET, syndicaliste CFDT Rhône-Alpes.
Guy NEYRET
L'atelier a démarré par une longue mais décapante intervention de Guy Neyret.
Le point de départ de sa démonstration a été le droit au travail qui fait partie-comme d'autres droits à l'éducation, à la santé, au logement- des besoins primaires qui s'il ne peut être satisfait directement, peut être compensé collectivement par la mutualisation des risques.
Le mot Droit doit être associé immédiatement à Devoir car le droit au travail renvoie à la rémunération, au niveau de vie, au pouvoir d'achat car selon lui, tout travail méritant salaire doit générer une rémunération proportionnelle à la valeur ajoutée de la fonction accomplie. Et pour que le travailleur qui est aussi consommateur soit satisfait du pouvoir d'achat que lui procure sa rémunération, il faut qu'il soit à la hauteur de son niveau de vie souhaité.
Le « décor » étant campé, Guy Neyret a explicité ce qu'il entendait par valeur ajoutée, niveau de vie et rémunération, environnement social.
Puis, dans une seconde partie, il a posé la question: pour qui le droit à l'emploi ?
Délocalisation, localisation, relocalisation.
1-dans nos pays développés avec fort niveau de vie, chaque travail doit donc être générateur d'une forte valeur ajoutée. Et il prend pour exemple l'industrie textile, industrie de main d'oeuvre peu qualifiée qui chez nous ne peut plus être compétitive dans un marché devenu mondial et concurrentiel.
Face à ces travaux à faible valeur ajoutée, des alternatives sont possibles si on introduit des opérations automatisées et de plus forte qualification, moyennant des formations appropriées, soit on décide de produire ailleurs avec la destruction d'un tissu industriel !
Chaque citoyen est aussi un consommateur qui se crée des besoins et exige d'avoir le pouvoir d'achat correspondant sans se préoccuper de l'adéquation salaire/valeur ajoutée et cherchant les produits meilleurs marchés sans se soucier de leurs origines…à la différence des Allemands pour leurs propres produits.
La rémunération ne se résume pas au salaire seul. L'environnement social comprend aussi tous les acquis sociaux, des plus anciens (couverture santé, prestations familiales) aux plus récents( RTT, 5eme semaine de congés payés) et qui placent, la France en tête des avantages sociaux mais aussi en tête des « nécessités » de délocalisation. C'est en définitive le citoyen- travailleur-consommateur par ses macro-actes quotidiens qui est le principal acteur du maintien ou destruction de l'emploi, l'entreprise subissant ses actions en ayant seulement a posteriori des leviers de réactions.
2- pour qui le droit à l'emploi ?
Pendant longtemps nous avons importé des matières premières et exporté les produits manufacturés correspondants, enrichissant notre pays et appauvrissant le Sud selon le vieux schéma du colonialisme. Dans les années 90 et avant, de nombreuses industries étrangères ont crée des filiales en France ou ont sous-traité à des entreprises françaises, car la France a une main d’oeuvre de bon niveau; ensuite des entreprises et des milliers d'emplois sont nés. Guy Neyret prend l'exemple alors de la téléphonie mobile où la France était devenue un acteur majeur et exportant dans le monde entier, puis l'arrivée des 35 heures, retraite à 60 ans.. ayant brutalement changé les coûts de production, ont provoqué le départ de ces productions hors du territoire français ! Il termine en rappelant qu'un acquis social qui ne s'intègre pas au minimum dans une grande zone de marché (par ex :l'espace européen) est une utopie qui se paye très chère en emplois et richesse nationale, des pans entiers industriels ayant été définitivement perdus !
Actuellement les grandes vagues de délocalisations dures se tassent mais de plus en plus tous les grands groupes doivent produire localement pour le marché local. Pour Guy Neyret, c'est la plus belle réponse au partage Nord/Sud. Il illustre ensuite son propos en prenant l'exemple de l'apparition des génériques dans l'industrie pharmaceutique, entraînant une grande migration d'usines en Inde, Malaisie.. et de l'industrie automobile
( exemple de la Logan)
Dés les premières délocalisations, les industriels ont compris que la survie de leurs productions en pays développés passait par une automatisation à outrance qui, en conséquence supprimait les postes à faible valeur ajoutée mais créait des emplois à haute technicité, donnant plus de valeur ajoutée et pouvant donner lieu à des salaires plus élevés. Du fait de la faible part de main d’œuvre au regard des quantités produites, de la protection du savoir-faire acquis vis à vis de la concurrence et du niveau du contrôle qualité, de la suppression des problèmes de logistique transport/livraison sur des marchés à fluctuations rapides, l'entreprise Bic a pu conserver son titre de champion mondial de la production de masse, dominant toujours le marché devant les Asiatiques.
Depuis quelques années, des entreprises commencent à revenir en France mais sous réserve d'utiliser chez nous des moyens de production à haute efficience, c'est à dire à forte production horaire, très faible taux de rebut, grande flexibilité d'adaptation aux variations de flux et surtout très faible poids de main d’œuvre par machine. Et Guy Neyret de citer deux exemples qu'il semble très bien connaître.
En guise de conclusion, Guy Neyret souligne que si l'industriel veut bien investir dans la productivité, il est encore possible de garder ou de créer des emplois en France mais que dans les grands groupes, les décideurs sont très loin du terrain et ont de la peine d'être convaincus, surtout s'ils sont seulement représentants du capital, donc assis sur des sièges éjectables et ne facilitant pas les prises de risque.
Nicholas CHINNAPPAN
partenaire indien du CCFD Terre Solidaire qui s'exprime en anglais traduit avec brio par une interprète, Elise Patton. Il nous dit d'emblée vouloir parler de son expérience et être concret.
En 1941, le président américain Franklin D. Roosevelt demanda à certaines communautés indigènes si elles étaient d'accord pour vendre 20 000 hectares pour y installer des industries, cette demande étant transmise par l'intermédiaire d'un représentant indien du nom de Seattle. Ce dernier commence par lui répondre que « la terre appartient à l'homme et non l'inverse » puis en le questionnant sur ce qui se passerait lorsque la terre serait vendue… Cette lettre n'a pas eu beaucoup d'écho, moins certainement que le Manifeste de Karl Marx !
En Inde, Nicholas nous informe que depuis quelques années, la priorité pour l'Etat est d'inviter les entreprises à s'installer dans son pays en vendant la terre correspondant à leurs besoins. C'est ainsi que des industries extractives et des usines s'implantent dans des zones forestières et côtières, marginalisant les populations qui y vivaient et faisant peser sur elles beaucoup d'incertitudes.
Et Nicholas nous présente un exemple de projet d'implantation d'un centre industriel remontant à 2007 et remettant complètement en cause les modes de vie d'une communauté indigène vivant dans une forêt de 500hectares. L'association dont il fait partie a décidé de défendre ces villageois qui étaient les véritables gardiens de cette forêt et cela pour plusieurs raisons:
− position stratégique: 5 réservoirs collectant les eaux de pluie existent dans cette forêt, ce qui permet d'irriguer 35 00 acres de terre et de pouvoir produire leur propre nourriture
− la forêt sert aussi de réserves à pâturage pour les animaux
− cueillette de plantes médicinales
− récupération de bois et cueillette de fruits quand le travail manquait.
Le gouvernement arguait de la création d'emplois mais eux tiraient tous leurs emplois d'une activité agricole. Le gouvernement a dénigré tout recours et le tribunal saisi a donné une partie de la terre convoitée aux villageois et l'autre à l'industriel; c'est seulement en 2010 que cet industriel a été connu (Michelin) C'est à ce moment-là que les habitants de cette région ont pris conscience que de nombreux industriels européens voulaient s'implanter dans la même zone, du fait aussi de la présence d'un port et d'un aéroport. La création de cette plate-forme industrielle a entraîné la violation des droits à la santé, à l'éducation et à l'alimentation et le coût final de l'opération doit être analysé à partir du coût « payé » par tous les villageois. Aujourd’hui cette communauté continue de lutter pacifiquement contre les pluies acides.
Il pourrait citer plein d'autres exemples tels que celui des 100 familles expropriées de leurs terres données par Gandhi suite au joint-venture Renault-Nissan.
A signaler la présence dans l'assistance du chargé de mission en Inde du CCFD Terre Solidaire qui a suivi le dossier »Michelin », et qui souligne le rôle important joué par l'ONG locale pour faire avancer la firme Michelin afin qu'elle agisse moins à titre philanthropique que proactif par rapport aux droits fondamentaux.
Christian Juillet
de la CFDT témoigne à partir d'un exemple de solidarité tourisme international et lié à la mondialisation.
Dans l'activité touristique, il faut distinguer 3 choses, le transport, l'hébergement- restauration-animation et la commercialisation.
En Tunisie, l'Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGTT) a été la principale organisation de la société civile à intervenir pendant la révolution du printemps 2011. Il nous a informé que chaque année, des travailleurs tunisiens saisonniers (450)venaient travailler dans les Alpes. Suite à un séminaire CFDT UGTT consacré au tourisme social et solidaire, différentes actions ont été décidées: aide à la création de centres de formation continue, inexistants en Tunisie et notamment par rapport à des qualifications européennes, développer l'idée de transfert de compétences aboutissant à la formation de formateurs, au suivi des formateurs en entreprises, à la gestion du personnel au niveau international, toutes ces actions ayant concerné 200 jeunes tunisiens.
En 2004, un accord expérimental a été négocié sur les droits fondamentaux au travail, à la mobilité(droit de s'organiser, d'élire des délégués..), application du salaire en vigueur au lieu du travail, délai de prévenance avant départ.
Droit au travail, délocalisation et relocalisation d'une activité sur un territoire
Par CCFD - Terre Solidaire Rhône-Alpes le Lundi, janvier 9 2012, 15:01 - Colloque Développement local et solidarité internationale en Rhône-Alpes : quelles pratiques avec quels enjeux ? - Lien permanent