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7 avril. Après les habituels embouteillages pour sortir d’Asunción, la capitale, nous atteignons rapidement les faubourgs d’Emboscada, ville située à une cinquantaine de kms au nord, dans une zone humide proche du fleuve Paraguay. L’EcoFinca (ferme agricole en “bio”) que nous allons visiter se trouve à quelques kms d’Emboscada, dans un endroit propice au maraichage en bio : pas trop éloigné de la capitale (pour la distribution des produits du maraîchage), dans une zone libre de toute culture de plantes transgéniques ou de l’usage de pesticides, et où existent encore des forêts. Un écosystème assez préservé, où l’on trouve même des petites formations rocheuses.

La ferme de Soledad (Sol) et Alfred est en “bio” intégral, sur une surface de 5 000 m2 (1/2 ha). Afin d’augmenter et diversifier la production, il est prévu à terme d’augmenter progressivement la surface cultivée à 2 hectares, sur les 7 ha que compte la propriété. Sous ces contrées tropicales, et particulièrement en été, la production en “bio” n’est pas facile, tant à cause de la chaleur (> 40°C) qui affecte les plantes que de la combinaison chaleur + humidité, très favorable au développement de parasites de toutes sortes.

Les fondateurs travaillent avec 3 employés (temps plein ou temps partiel). Ils ont tous les outils nécessaires, ainsi qu’un petit tracteur et un motoculteur.

Sol est membre du mouvement SlowFood (1) Paraguay (qui produit – entre autres - des fleurs comestibles), et elle a invité quelques membres de son association à préparer le repas. En guise de bienvenue, Sergio nous propose une boisson à base de persil mixé, d’oranges pressées (on est pleine saison des agrumes) et de miel de canne sur lequel on se rue goulument. Il n’est que 11 heures, mais il fait déjà soif… Pas mal, je retiens la recette.

Avant de commencer leur projet il y a 3 ans, Sol et Alfred ont fait une sorte d’enquête participative (sondage par mail) auprès des différentes entités envisagées comme débouchés possibles pour leur production : établissements végétariens (hôpitaux ?, restaurants…). Ils n’ont obtenu que peu de réponses. Pour écouler leur production, ils se sont donc appuyés sur leur réseau d’amitiés et contacts… Et ça marche ! La ferme distribue une partie de sa production à des restaurants végétariens de la capitale. Une autre partie de la production est destinée au supermarché Casa Rica qui distribue des produits bio pour consommateurs exigeants, “gourmets” intéressés par les produits naturels. Une dernière partie est vendue à des producteurs de jus de fruits (pression à froid).

Un facteur déterminant dans la viabilité du système de production: le prix. Le prix des légumes d’Ecofinca est certes supérieur à ceux du marché, de 10 à 15 % en hiver et de 50 % en été, en raison des difficultés à cultiver à la saison chaude.

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Soledad et Alfred, associés sur l'Ecofinca, et Fernando, de l'association paraguayenne Decidamos, qui nous guide durant toute cette semaine de pasantia.

Une philosophie : préserver sols, eau, air et biodiversité

Ils ont commencé par du maraîchage de plante à feuilles, car le sol n’était pas prêt pour autre chose, avant de diversifier petit à petit leur production. La diversité, l’association et la rotation des cultures constituent une protection efficace contre la propagation des parasites (principalement insectes et champignons).

Sol fait du chou-feuille, différentes variétés de salades, des blettes, du chou Kale (très en vogue actuellement), des tomates cerises, du persil, des plantes aromatiques. Elle nous précise que le chou Kale est plein de bonnes choses pour la santé : acides aminés essentiels, minéraux, anti-oxydants, et possède même des propriétés anti cancérigènes. Les laitues restent 2 semaines à la pépinière (semillero) après avoir germé. La pépinière est protégée par un filet produisant une ombre efficace sans complètement bloquer les rayons du soleil. Parfaitement adapté à l’ardeur d’icelui.

Sol pratique une production accompagnée de nombreuses recettes dites de grand-mère (oui, et alors ?), efficaces et inoffensives pour l’environnement.

Elle sème ses graines dans un substrat riche : mélange d’humus de lombri-compost et d’extrait d’ail (fongicide)

Recette de l’extrait d’ail : 3 têtes d’ail pilées pour 1 litre d’eau. On laisse reposer 45 min environ (moins de 1 heure, plus de 30 min). L’ail est préventif et curatif. Il contrôle 3 sortes de champignons. On utilise 1 litre d’extrait d’ail pour 7 à 8 kgs d’humus. Ensuite on mélange humus et extrait d’ail avant de le mettre en petit pot.

Sol utilise aussi de la cendre contre les champignons filamenteux (fungi), appliquée directement en poudre sur la terre. Pour la première fois l’an dernier, elle a dû utiliser du sulfate de cuivre (CuSO4) pour contrôler les champignons, à cause d’un été très chaud et humide. Pour la même raison, elle a aussi utilisé du carbonate de calcium (CaCO3). Avec succès.

En 3 ans, grâce au rajout progressif d’humus de lombric (lombri-compost), le pH du sol est passé de 4.5 (acide) à 6.5 (presque neutre).

Autre plante cultivée sur le domaine : la moringa (2). Elle est aussi bénéfique à la santé humaine qu’à celle des plantes (une merveille de la nature). Sol l’utilise en engrais liquide, mélangé avec de la bouse de vache :

Recette de l’engrais liquide à base de moringa: 1/3 moringa feuille, 1/3 bouse, 1/3 eau. On laisse fermenter (en anaérobie, sans O2) 15 jours environ. On peut ajouter un peu de miel de canne et/ou de petit lait. On ouvre la bouteille de temps en temps pour faire sortir la pression. Quand il n’y a plus de pression, c’est bon. On pulvérise la préparation en cours de culture.

La stevia (3): Plante originaire du Paraguay à fleur blanche, connue pour son extraordinaire pouvoir sucrant (300 fois supérieur au saccharose). C’est une plante semi pérenne que l’on coupe en fin de cycle et qui repousse ensuite, et ainsi de suite pendant plusieurs années. Ses racines sont en symbiose avec un champignon du sol, qui lui permet plusieurs cycles de vies. Les feuilles ont également le pouvoir de rehausser le goût des aliments.

Une dernière recette de Sol : Engrais liquide : fumier (vache + poules) + humus de lombrics + cendre + pierre moulue + lactosérum + miel de canne à sucre et plantes nutritives (moringa, ortie, prêle, haricot) à raison de 15 kgs de feuilles pour 200 litres.

De nombreuses plantes aromatiques sont cultivées sur le domaine:

• Le boldo qui a des propriétés digestives, est souvent mélangé à la yerba maté, boisson nationale et conviviale. Perso, je m’y suis adonné sans retenue huhuhu ! Que c’est bon, chaud le matin pour le démarrage (maté) et froid tout le reste de la journée (terere).

• L’absinthe (ajenjo ou parfois ruda) attire les pucerons et y résiste très bien.

• La prêle (colla de caballo) est utilisée comme engrais vert, en préparation liquide pour doper le sol.

• Le ricin (tártago) est utilisé contre les fourmis.

• Le cedrón (sorte de canne de moyenne taille à l’odeur de citronnelle) est une bonne barrière végétale – mécanique – contre les insectes (résultats +++ contre les criquets). Il est planté tout autour du terrain cultivé. Et on peut en faire des infusions comme pour la verveine citronnée…

• En début de chaque rangée, on cultive de l’origan. Associé au cedrón, il forme une très bonne barrière contre les insectes.

• On associe basilic + tomates (à l’ombre). Les tomates sont cultivées à part, et sous l’ombrière.

La chaux vive est aussi efficace contre les fourmis (ça a l’air d’être un vrai problème dans le coin). Elle est saupoudrée autour des pieds à protéger.

Autre recette pour préparer le sol : fumier de vache + Micro-organismes Efficaces (EM) + feuilles + céréales (cellulose) + légumineuses + basalte moulu (minéraux), lombricompost. On mélange 1 litre de EM + 1 litre de mélasse, et 20 litres d’eau. On laisse reposer 4 ou 5 jours à l’ombre et ensuite on mélange les 22 litres à 400 litres d’eau.

• Le “pasto elephante” ou “pasto Cameroun” est une sorte de canne. C’est un bon fourrage pour ruminants (vaches laitières/boeufs). Il est échangé avec les voisins qui élèvent des ruminants.

Ils font aussi des fruits (peu) : fraises, mangues, agrumes (mandarines), papaye.

Il y a également 27 ruches car beaucoup de fleurs alentour.

Ils transforment une partie de leur production : tomates séchées, feuilles séchées de plantes médicinales (huiles essentielles de cédron), asperges, arándano (myrtille ou canneberge).

Des producteurs engagés

Sol et Alfred nous parlent ensuite de leur projet dans sa dimension humaine et sociale. Ils veulent qu’il soit environnementalement et socialement viable. Il grandira lentement, en prenant soin de préserver les acquis.

Quelques exemples :

Ils favorisent le travail en collaboration avec leurs voisins, utilisent le lactosérum et le fumier de leurs vaches pour le traitement des viroses de la tomate. Interactions positives.

Dans la ville d’Emboscada, ils échangent des légumes contre de la cendre (“croître ensemble”).

Ils reçoivent des groupes scolaires.

Ils sont vigilants à ce qu’EcoFinca soit en connexion avec la production des paysans alentours.

Globalement, ils pensent qu’il est important de renforcer les aspects sociaux, économiques et environnementaux (tout est lié). Il existe une demande du public qu’il faut aider à faire émerger.

Sol nous dit : « Favoriser des ponts entre ville et campagne. Les citadins peuvent comprendre le processus de temporalité (fruits ou légumes de saison). » « Les palais (goûts) sont standardisés, contaminés. » Elle aimerait contribuer à les réactiver, les réanimer... Tous deux souhaitent amener leur production à la ville et expliquer comment ils travaillent.

Selon Sol, il y a 2 productions infernales : le soja et le maïs transgéniques, qui peuvent entrainer des risques pour la santé. De plus, face à l’extension de ces cultures industrielles, les populations locales, les petites communautés sont expulsées de leur terre où elles pratiquent une agriculture de subsistance, et celles qui restent sont soumises aux pulvérisations aériennes de pesticides. Notons au passage que les pesticides sont appelés agro-toxiques au Paraguay et de façon plus consensuelle produits phyto-sanitaires en France.  Les OGM, dit-elle : « C’est un véritable coup d’Etat. Après la chute de Lugo (le président élu démocratiquement en 2008 et destitué par un coup d’état parlementaire en 2012), 10 variétés de maïs transgéniques ont été introduites dans le pays. »

Elle nous parle des premiers jardins urbains à Asunción où des consommateurs produisent de manière collective (ainsi les gens comprennent mieux). En effet, l’enjeu est bien notre souveraineté alimentaire : Décider de ce que je vais manger : décider de manière active ou bien manger ce que me propose le supermarché ? Sol est aussi convaincue qu’il faut soutenir les petits producteurs et l’agriculture familiale

La matinée se termine à l’ombre d’un gigantesque manguier où a lieu un intense jeu de questions réponses. Pendant ce temps, nos amis SlowFood ont préparé du vori-vori, soupe végétarienne contenant des boules de polenta et accompagnée de manioc bouilli que nous partageons. On se régale tout en poursuivant les échanges à bâtons rompus.

En conclusion, Sol et Alfred sont convaincus que seule l’alliance de la ville et de la campagne permettra – peut-être – de stopper l’avancée inexorable et destructrice de l’agro-business, dans son pays.

Un dernier troc/don de graines avec Maitre Isaac (collègue brésilien venu avec des provisions conséquentes de graines de maïs, haricots, sésame, etc… de son Paraná natal), et nous reprenons nos minibus, direction la capitale, pour de nouvelles aventures…

1. http://www.slowfood.fr/ 2. https://fr.wikipedia.org/wiki/Moringa 3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Stevia