Par Mathilde camp.JPG Des corps jetés sur de mauvais matelas, des tentes de fortune, des odeurs de nourriture, des feux réchauffant les casseroles. Une place, au centre d’Asunción et des milliers de paysans campant là. La chaleur de 22h nous accable, on dégouline mais nous, dans quelques minutes, on sera sous la douche, au calme.

On discute et un groupe se forme, se presse. Ils sont incroyables de combativité, de désespérance et d’espoir aussi. Un homme parle, puis une femme, puis un autre encore.

Partout la même rage. Celle de ne compter pour rien, d’être fétu de paille devant le souffle dévorant du gouvernement et des multinationales, de subir une dictature qui ne dit pas son nom. Celle de travailler sans en toucher le prix, celle de ne pas être reconnu comme personne digne, méritante.

Leur connaissance de l’histoire de leur pays est impressionnante, ils savent l’obscurantisme des décisions politiques passées et présentes. Mais leur détermination demeure, inoxydable. « Hasta la victoria final », toujours. Alors qu’à la radio on brade les slogans révolutionnaires pour vendre des chaussures ou une marque de supermarchés, ici flamboient le courage, l’engagement jusqu’à la mort, la confrontation. On ne joue pas pour rien ici, on ne jette pas des mots poétiques au vent, les romantiques et leurs tempêtes sous un crâne sont loin. Ou plutôt non, se tendent les véritables idées romantiques : respect de la nature, dignité de l’homme. Elles se tendent et deviennent vitales, ciselées au feu de l’injustice, elles renaissent en cris politiques. Dans cette prise de parole improvisée se dessine une lutte sans concession, aux ennemis bien dessinés, lutte manichéenne : les multinationales, les soyeros, les Brésiliens, tous ceux qui les chassent de leurs terres. Les mots de Nivea, la jeune Brésilienne, fait barrière contre les amalgames. Elle se dresse et leur conte son histoire. Celle d'une fillette pauvre, obligée de travailler à douze ans. Aujourd'hui psychologue dans une association pour femmes, elle leur rappelle qu'au Brésil il y a aussi beaucoup de laissés pour compte, d'oubliés, de méprisés. Il ne faut pas se tromper d'ennemi.

Nous voir autour d’eux les galvanise, leur donne une belle éloquence, un élan.

Tandis que deux rues plus haut les terrasses déversent l’odeur douce-amère de la bière dans le brouhaha. Tandis que le lendemain, la télévision déverse des phrases assassines telles que « mais pour rembourser, il faut travailler » ou « el camino es el trabajo ». Tandis qu’ils sont présentés comme indignes des bontés du président, ils campent dans la chaleur, bien décidés à ne pas bouger jusqu’à ce qu’enfin ils soient entendus.