(Par William - volontaire au Tamil Nadu en Inde)

Cet article fait suite à de nombreuses interviews que j’ai pu avoir avec Nicholas, partenaire du CCFD-Terre Solidaire, au cours de ces derniers mois. Il s’agit d’une compilation d’extraits d’échanges afin d’exposer la nouvelle stratégie qui se crée actuellement dans l’Etat du Tamil Nadu en réponse à l’accaparement massif de terres par le gouvernement pour l’implantation d’entreprises.

Aujourd’hui de nombreux mouvements issus de communautés et de castes différentes se sont regroupés au sein d’une même structure, la Tamil Nadu Land Right Federation (TNLRF) et ont fait le choix unanime de lutter ensemble pour la rétrocession des terres Panchami à la communauté Dalit (Intouchables). Il s’agit là d’une première dans l’histoire de la lutte, presque une révolution. Pour la première fois les communautés marginalisées de tout un Etat : Dalits, tribus, pêcheurs, habitants des bidonvilles, petits paysans qui subissent les accaparements de terres et la répression de l’Etat ont fait le choix de soutenir une même lutte. Depuis 6 mois se sont d’importantes discussions qui ont lieu pour mettre en place une nouvelle stratégie en vue de reprendre ces terres qui appartiennent de droits aux Dalits (pour mieux comprendre ce que sont les terres Panchami et l’historique de la lutte, je vous invite à regarder le récent documentaire « les Terres Promises »).

Nicholas nous parle des échecs, des difficultés qu’ils ont pu rencontrer mais il nous montre surtout comment il est possible d’imaginer les choses autrement. Qu’il n’y a ni fatalité, ni grand soir, mais une volonté de se relever et de donner une réponse à un développement qu’il est nécessaire de voir évoluer.

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Cela fait maintenant 12 ans que vous avez créé DLRF (Dalit Land Right Federation) pour la rétrocession des terres Panchami, après toutes les actions que vous avez menées, pourquoi est-ce si difficile d’obtenir ces terres ?

L’histoire commence en 1994 avec la lutte pour les terres Panchami. Il y a eu une grande marche à Chengalpet pour réclamer les DC lands (terres Panchami) pour les Dalits. Mais que s'est-il passé ? Le 10 octobre 1994 il y a eu une fusillade dans laquelle 2 dalits ont été tués par la police : John THOMAS et Enumalai. Suite à ça la question des DC Lands est devenue une question politique et émotionnelle pour tous les Dalits. Ils ont commencé à mettre en place des actions pour obtenir les DC Lands dans tout le district. Des comités de réclamation ont été formés et IRDS (Integrated Rural Developpement Society – mouvement créé en 1981 par Nicholas) a également pris part à ces comités. Pendant 4 ou 5 ans il y a eu beaucoup de conférences, de manifestations, de marches à travers le Tamil Nadu pour imposer un débat sur la restauration des terres Panchami aux Dalits. Mais il n’y a eu aucune avancée. A chaque fois il ne s'agissait que d'instructions gouvernementales envoyées par lettres aux préfets de districts. Mais ils n'étaient pas réellement intéressés.

Après 4 ou 5 ans les personnes ont commencé à obtenir des documents pour les terres Panchami. Dans certains villages dans le nord du Tamil Nadu, (18 ou 20) les Dalits ont commencé à obtenir les documents pour leurs terres. Mais cela est devenu une sorte de problématique individuelle car les personnes qui ont reçues des terres de la part des Britanniques souhaitaient obtenir ces terres pour leurs propres familles. Chacun, avec les preuves obtenues commencèrent à dire se sont mes terres et je vais les réclamer. Et les comités se sont mis à supporter ces actions individuelles en collectant les pétitions et en mettant en places des actions en justice.

Après 2000 de nombreux Dalits qui avaient obtenus des documents de preuves sont allés en justice. Avec la justice indienne pour obtenir gain de cause dans une affaire civile cela prend des années. Quand tu vas voir les officiels ils disent tout le temps, non, le dossier est en jugement et je ne peux rien faire. C'est à cette époque que nous avons créé DLRF. Nous pensions qu'il y avait besoin de mobiliser les communautés pour réclamer les terres, mais également permettre d’améliorer leur participation, augmenter le nombre de bénéficiaires et obtenir systématiquement les documents officiels afin de demander les terres. Ce furent les principales activités de DLRF : mobilisation de la base, soutien des procès en justice. L'idée était également de passer d'une approche individuelle à une approche collective. Par exemple 20 acres de terres peuvent bénéficier à 60 familles et pas seulement à un individu. Pour une personne la lutte est difficile mais si 60 personnes se mobilisent il y aura beaucoup plus de soutien.

Cette nouvelle approche collective des terres Panchami ne nous a permis de récupérer que 600 acres de terres sur les 10 dernières années de lutte intensive. Seulement 600 acres. Sur ces villages, les personnes ont été mobilisées avec une lutte intensive et c'est comme cela que nous avons été capables d'obtenir les terres. Mais même après cette approche collective, le gouvernement du Tamil Nadu n'est pas arrivé avec une réelle politique de redistribution des terres. Ils n'ont fait qu'envoyer des lettres aux préfets.

Mais après que le RTI Act (Right to Information Act – permet aux citoyens d’avoir accès aux documents et archives des bureaux administratifs) fut passé en 2005, de nombreuses études ont put être menées, de nombreux documents ont put être obtenus et nous compriment qu'il y avait des centaines de milliers d'acres de terres Panchami dont nous ignorions l’existence. Si ces terres sont distribuées alors des milliers de familles Dalits en bénéficieront : pour leur dignité, pour produire leur nourriture.

C’est à la même période qu’ils créèrent les ZES (Zones Economiques Spéciales). L'Etat avait pour idée de s'accaparer les terres Panchami pour les distribuer aux industries. C'est pourquoi il ne souhaite pas mettre en place une politique de redistribution. Car doucement il s'accapare les terres des occupants actuels. Quand il s'accapare les terres, il ne donne aucune compensation aux propriétaires Dalits originels ni aucune compensation à l'actuel occupant car se ne sont pas ses terres. Donc facilement il prend ces terres sans donner d'argent pour ensuite les donner aux entreprises.

la lutte pour les terres Panchami. Les autres communautés marginalisées, tel que les tribus, les pêcheurs, les petits agriculteurs ont également perdu leurs terres pour l’implantation de ZES, ils se battent pour leurs terres. Dans le nord Tamil Nadu, nous allons obtenir plus de soutien pour les terres Panchami. Dans un même temps, les Dalits vont également soutenir les autres communautés qui se battent pour protéger leurs terres. Nous devons aller dans cette direction. Diffuser notre lutte et notre plaidoyer au niveau de l'Etat et obtenir le soutien de ces groupes pour la réclamation des terres Panchami. C'est une réflexion que nous avons commencé ces 6 derniers mois. Nous pensons que stratégiquement c'est une bonne période pour forcer le gouvernement. Si nous sommes ensemble, l'Etat verra que toutes les communautés sont unies il sera donc difficile de mettre en place une lutte de castes. Stratégiquement la lutte sera portée par DLRF dans le nord du Tamil Nadu et par TNLRF (Tamil Nadu Land Right Federation) dans le reste de l’Etat.
Justement, comment TNLRF répond aux objectifs de lutte et devient une réelle force de contestation ?
Cela devient une réalité, partout les personnes sont affectées par l’accaparement des terres. Tous les jours tu entends des luttes de personnes qui sont opposées, qui essayent de protéger, de sauvegarder leurs terres. Cela devient une lutte commune. Mais souvent les personnes ont le sentiment d'être isolées. Il est donc nécessaire de rapprocher les communautés et de créer un agenda commun de luttes.
Mais même parmi TNLRF, il y a 2 problèmes que nous avons à identifier : nous rapprochons les communautés mais il y a toujours un problème de castes, c'est encore une réalité. Nous avons à travailler pour abolir les castes. Nous avons à mettre en avant ce problème de castes. C'est pourquoi nous avions à prendre cette question des terres Panchami : toutes les communautés marginalisées soutiennent les Dalits pour avoir ces terres. C'est un essai pour détruire les conflits de castes. Deuxièmement, nous sommes tous ensemble, mais il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de l'Etat, sa stratégie. TNLRF est opposée mais ne proposait pas. Même dans son manifeste, il s'agissait d'oppositions, mais il n'y avait pas de propositions. La seconde question est donc de proposer un modèle de développement alternatif. Quelle forme de développement nous voulons. Nous ne souhaitons pas la domination des entreprises, mais alors quel développement ? Il y a un besoin pour TNLRF de parler du problème de castes, mais également de proposer une forte alternative au développement. Nous avons à mettre en place cette stratégie cette année pour réellement proposer un fort parcours à nos activistes pour comprendre les fonctionnements et les mécanismes d'Etat. Nous avons à montrer aux personnes un autre modèle à suivre.
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Comment étaient formés les activistes avant ?
Les formations étaient plutôt techniques : qu'est-ce que les Pattas (titres de propriété), comment collecter les documents. Mais cela ne peut pas créer des activistes qui formuleront leurs propres stratégies. C'est pourquoi il y a un besoin de proposer une réelle compréhension politique de la terre. Une formation technique ne serait pas assez. Ils doivent comprendre le problème de manière politique, l'économie de la terre, quelle stratégie l'Etat est en train de construire pour s'accaparer les terres. C'est pourquoi je pense qu'il y a un besoin de changer les formations, car tous savent maintenant : où aller, comment identifier les terres, comment obtenir les documents. Tous ont des copies certifiées, ils ont tous les éléments nécessaires. Mais ce n'est pas assez. Je pense qu’une meilleure compréhension de la terre est vraiment importante pour le futur. Si tu arrives à mettre en place 500 activistes avec une profonde connaissance de la politique économique de la terre, se sera très durable et progressif pour le futur. C'est ce dont nous avons besoin.
Concrètement comment se passe la construction de votre nouvelle stratégie ? Comment est-il possible de rejoindre les 1500 villages du nord Tamil Nadu ?
Nous avons décidé de mettre en place des comités de cantons, avec une représentation identique entre hommes et femmes qui pourront prendre des décisions localement. Nous devons favoriser la dimension mouvement, c’est très important. Ces comités gèreront les villages et l’organisation des prochaines actions que nous avons planifiées. Nous souhaitons redonner toute son importance à la base, permettre aux bénéficiaires d’être les acteurs directs de leur lutte.
Ils vont aller de villages en villages pour organiser des réunions en ayant avec eux les documents prouvant l’existence des terres Panchami. Ils ont à préparer les bénéficiaires, les aider dans la mise en place des pétitions et cela avant les Jamabandhi (tribunaux annuels de villages).
Ces comités ont également pour rôle d’obtenir le soutien des autres castes pour cette lutte. Créer un conseil de solidarité pour soutenir la cause des Dalits. C’est la première priorité : mobiliser le soutien des autres castes pour la réclamation des terres Panchami.
Quel est l’agenda de ces prochains mois ?
Premièrement préparer les personnes pour des pétitions de masse lors des prochains tribunaux de la terre en juin (Jamabandhi). Nous devrions rejoindre 50 000 femmes juste dans les 6 districts du nord Tamil Nadu. Nous devrions obtenir plus de 100 000 pétitions à travers tout le Tamil Nadu ! Deuxièmement organiser des occupations de terres. Nous ne souhaitons plus attendre d’avantage une réaction de la part des bureaucrates et du gouvernement. Pour ces occupations nous avons à travailler sur les soutiens que nous pouvons obtenir. Créer un dialogue avec les castes qui font partie de mouvements progressifs pour qu'ils rejoignent la lutte.
Pourquoi donner les pétitions lors des Jamabandhi?
Normalement les Jamabandhi sont organisés pour résoudre les conflits liés à la terre, mais ce n’est que très rarement le cas. Cette année cela va réellement devenir un lieu pour les conflits de terres. Cela sera une tentative d’attaque directe du dispositif administratif de l'Etat, car ils sentiront que quelque chose est en train de se passer. C'est une tactique pour mettre la pression. Utiliser les Jamabandhi de partout, dans tous les cantons, dans tous les villages. Avec 100 000 femmes qui donneront ensemble, au même moment leurs pétitions, cela devient un problème pour l'Etat. Et cela nous dirige vers les élections de 2016, car la terre est une prérogative de l'Etat.
Oui, mais pourquoi ne pas donner les pétitions directement et massivement au chef du gouvernement ? Cela aurait un impact médiatique direct.
Si tu donnes les pétitions directement au gouvernement, les documents ne seront pas enregistrés. Alors que lors des Jamabandhi les pétitions sont enregistrées pour que cela devienne un document légal. Si tu donnes 100 000 pétitions directement aux responsables du gouvernement, cela donnera une forte visibilité dans la presse, mais rien du côté de la loi. Pour les occupations de terres nous avons à construire des arguments qui feront preuves. Par exemple si je suis arrêté, comment peux-tu m'arrêter. Si je vais à la cour, lors du jugement, je peux dire que j'ai donné ma pétition et que rien n'a changé, mais que cette terre m’appartient légalement. Donc les juges attaqueront la police. Nous avons à être dans la légalité et construire des documents qui nous aiderons. En 2014 se sera le 20ème anniversaire du meurtre de John THOMAS et Enumalai, de nombreuses occupations vont se mettre en place. C'est la seule réponse au problème des terres Panchami. C'est pourquoi nous devons mettre en place un travail systématique de préparation. Automatiquement, les occupations de terres vont devenir une culture pour les personnes. C'est ce sur quoi je veux insister. Les pétitions sont une culture, donc nous allons rendre les occupations pacifiques systématiques dans notre lutte. La seule chose est que les personnes ne doivent pas être violentes. Aussi longtemps que nous serons pacifiques, il n'y aura pas de problèmes.
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Quelle est ta vision du développement aujourd'hui dans le Tamil Nadu ?
Pour moi, quand ils parlent de développement il ne s'agit que d'infrastructures, d'augmentation du capital des entreprises étrangères et multinationales. Et créer de plus en plus d'usines. C'est leur développement. Pour nous, ce n'est pas que nous ne souhaitons pas une croissance technologique. Je pense que c'est nécessaire mais cela devrait être pour le bien être et la protection des communautés et également pour la protection des ressources naturelles. L'agenda de développement qu'ils proposent va détruire toutes les ressources naturelles mais également déplacer les personnes de leurs traditionnels moyens d’existences. Ce que nous disons c'est, laissons les personnes décider. Quelles sortes de besoins ont-elles? Donc quelle sorte de production peuvent-elles améliorer. Quelle distribution peuvent-elles organiser? C'est ce que nous appelons le développement.
Notre principale proposition de modèle de développement est une économie sociale et solidaire. Cela veut dire, une solidarité entres les personnes dans le respect de la nature. Le système de production doit être organisé de manière collective. Les personnes avec des connaissances technologiques peuvent participer à cette production et cela en lien avec les personnes ayant les connaissances traditionnelles. Après la formation des comités de cantons, nous allons mettre en place des discussions très concrètes sur l'économie sociale et solidaire. Cela devrait permettre l’émergence d’une conscientisation politique de l’importance de la terre et amener à un développement des initiatives collectives sur les terres rétrocédées.
Depuis février sont organisées des réunions publiques pour la mise en place des comités de cantons. Début avril a eu lieu une importante réunion regroupant tous ces collectifs dans le but d’échanger sur la stratégie qui va être déployée. Suivant le schéma exposé lors de l’interview les activistes vont ainsi aller à la rencontre des villageois avec les documents de preuves pour préparer la première étape : les pétitions de masses qui auront lieu lors des Jamabandhi courant juin. Puis auront lieu, plus tard, de juillet à octobre de nombreuses occupations de terres. La lutte pour la rétrocession des terres Panchami prend une nouvelle dimension et l’importance donnée à la base en est l’élément clé. Une lutte sans tête, déployée dans tout l’Etat prête à réclamer ces terres qui lui appartiennent.
William GLORIA
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Actuellement la lutte est en pleine mutation et doit s’adapter aux nouvelles formes d’accaparements. Qu’est-ce qui a fait que vous avez senti le besoin de la faire évoluer ?

Nous nous sommes rendu compte que jusqu'à maintenant toutes nos discussions n'avaient pas pour objectif de forcer le gouvernement à proposer une réelle politique de rétrocession. Nos efforts pour réclamer les terres Panchami étaient limités à 200 villages, mais nous travaillons sur 6 districts et il y a 1500 villages avec des terres soit un total de 100 000 acres. Si ces 1500 villages obtiennent les terres de nombreux problèmes seront résolus : alimentation, maison, emplois car ils travailleront sur leurs propres terres. Nous voulons que le gouvernement prenne position sur cette question. Il y a donc un besoin de répandre cette lutte sur les 1500 villages dans le nord Tamil Nadu où des centaines de milliers de personnes participeront. C'est comme cela que nous avons pensé à changer notre stratégie. 2014, sera le 20ème anniversaire de la mort de John Thomas et Enumalai et en 2016 des élections législatives sont prévues. Nous voulons faire de la question de la terre une question politique car c'est au gouvernement de donner les terres. Si nous diffusons la lutte pour les terres Panchami sur tous les districts alors en 2016 tous les partis politiques seront forcés de prendre des mesures et de fortes décisions politiques pour distribuer les terres.

Peux-tu expliquer comment vous avez réfléchi à cette question d’une diffusion large de votre lutte. Comment est-il possible de faire de la lutte pour les terres Panchami une lutte d’Etat ?

Jusqu'à maintenant, la lutte pour les terres Panchami ne concernait que les Dalits, il n'y avait pas de soutien d'autres personnes et c'est pourquoi le gouvernement pensait que les Dalits n’étaient présents que sur 200 villages, alors pourquoi prendre des mesures ? C'est dans ce contexte que nous souhaitons diffuser largement, obtenir le soutien de tous pour gagner la lutte pour les terres Panchami. Les autres communautés marginalisées, tel que les tribus, les pêcheurs, les petits agriculteurs ont également perdu leurs terres pour l’implantation de ZES, ils se battent pour leurs terres. Dans le nord Tamil Nadu, nous allons obtenir plus de soutien pour les terres Panchami. Dans un même temps, les Dalits vont également soutenir les autres communautés qui se battent pour protéger leurs terres. Nous devons aller dans cette direction. Diffuser notre lutte et notre plaidoyer au niveau de l'Etat et obtenir le soutien de ces groupes pour la réclamation des terres Panchami. C'est une réflexion que nous avons commencé ces 6 derniers mois. Nous pensons que stratégiquement c'est une bonne période pour forcer le gouvernement. Si nous sommes ensemble, l'Etat verra que toutes les communautés sont unies il sera donc difficile de mettre en place une lutte de castes. Stratégiquement la lutte sera portée par DLRF dans le nord du Tamil Nadu et par TNLRF (Tamil Nadu Land Right Federation) dans le reste de l’Etat.

Justement, comment TNLRF répond aux objectifs de lutte et devient une réelle force de contestation ?

Cela devient une réalité, partout les personnes sont affectées par l’accaparement des terres. Tous les jours tu entends des luttes de personnes qui sont opposées, qui essayent de protéger, de sauvegarder leurs terres. Cela devient une lutte commune. Mais souvent les personnes ont le sentiment d'être isolées. Il est donc nécessaire de rapprocher les communautés et de créer un agenda commun de luttes. Mais même parmi TNLRF, il y a 2 problèmes que nous avons à identifier : nous rapprochons les communautés mais il y a toujours un problème de castes, c'est encore une réalité. Nous avons à travailler pour abolir les castes. Nous avons à mettre en avant ce problème de castes. C'est pourquoi nous avions à prendre cette question des terres Panchami : toutes les communautés marginalisées soutiennent les Dalits pour avoir ces terres. C'est un essai pour détruire les conflits de castes. Deuxièmement, nous sommes tous ensemble, mais il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de l'Etat, sa stratégie. TNLRF est opposée mais ne proposait pas. Même dans son manifeste, il s'agissait d'oppositions, mais il n'y avait pas de propositions. La seconde question est donc de proposer un modèle de développement alternatif. Quelle forme de développement nous voulons. Nous ne souhaitons pas la domination des entreprises, mais alors quel développement ? Il y a un besoin pour TNLRF de parler du problème de castes, mais également de proposer une forte alternative au développement. Nous avons à mettre en place cette stratégie cette année pour réellement proposer un fort parcours à nos activistes pour comprendre les fonctionnements et les mécanismes d'Etat. Nous avons à montrer aux personnes un autre modèle à suivre.

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Comment étaient formés les activistes avant ?

Les formations étaient plutôt techniques : qu'est-ce que les Pattas (titres de propriété), comment collecter les documents. Mais cela ne peut pas créer des activistes qui formuleront leurs propres stratégies. C'est pourquoi il y a un besoin de proposer une réelle compréhension politique de la terre. Une formation technique ne serait pas assez. Ils doivent comprendre le problème de manière politique, l'économie de la terre, quelle stratégie l'Etat est en train de construire pour s'accaparer les terres. C'est pourquoi je pense qu'il y a un besoin de changer les formations, car tous savent maintenant : où aller, comment identifier les terres, comment obtenir les documents. Tous ont des copies certifiées, ils ont tous les éléments nécessaires. Mais ce n'est pas assez. Je pense qu’une meilleure compréhension de la terre est vraiment importante pour le futur. Si tu arrives à mettre en place 500 activistes avec une profonde connaissance de la politique économique de la terre, se sera très durable et progressif pour le futur. C'est ce dont nous avons besoin.

Concrètement comment se passe la construction de votre nouvelle stratégie ? Comment est-il possible de rejoindre les 1500 villages du nord Tamil Nadu ?

Nous avons décidé de mettre en place des comités de cantons, avec une représentation identique entre hommes et femmes qui pourront prendre des décisions localement. Nous devons favoriser la dimension mouvement, c’est très important. Ces comités gèreront les villages et l’organisation des prochaines actions que nous avons planifiées. Nous souhaitons redonner toute son importance à la base, permettre aux bénéficiaires d’être les acteurs directs de leur lutte. Ils vont aller de villages en villages pour organiser des réunions en ayant avec eux les documents prouvant l’existence des terres Panchami. Ils ont à préparer les bénéficiaires, les aider dans la mise en place des pétitions et cela avant les Jamabandhi (tribunaux annuels de villages). Ces comités ont également pour rôle d’obtenir le soutien des autres castes pour cette lutte. Créer un conseil de solidarité pour soutenir la cause des Dalits. C’est la première priorité : mobiliser le soutien des autres castes pour la réclamation des terres Panchami.

Quel est l’agenda de ces prochains mois ?

Premièrement préparer les personnes pour des pétitions de masse lors des prochains tribunaux de la terre en juin (Jamabandhi). Nous devrions rejoindre 50 000 femmes juste dans les 6 districts du nord Tamil Nadu. Nous devrions obtenir plus de 100 000 pétitions à travers tout le Tamil Nadu ! Deuxièmement organiser des occupations de terres. Nous ne souhaitons plus attendre d’avantage une réaction de la part des bureaucrates et du gouvernement. Pour ces occupations nous avons à travailler sur les soutiens que nous pouvons obtenir. Créer un dialogue avec les castes qui font partie de mouvements progressifs pour qu'ils rejoignent la lutte.

Pourquoi donner les pétitions lors des Jamabandhi?


Normalement les Jamabandhi sont organisés pour résoudre les conflits liés à la terre, mais ce n’est que très rarement le cas. Cette année cela va réellement devenir un lieu pour les conflits de terres. Cela sera une tentative d’attaque directe du dispositif administratif de l'Etat, car ils sentiront que quelque chose est en train de se passer. C'est une tactique pour mettre la pression. Utiliser les Jamabandhi de partout, dans tous les cantons, dans tous les villages. Avec 100 000 femmes qui donneront ensemble, au même moment leurs pétitions, cela devient un problème pour l'Etat. Et cela nous dirige vers les élections de 2016, car la terre est une prérogative de l'Etat.

Oui, mais pourquoi ne pas donner les pétitions directement et massivement au chef du gouvernement ? Cela aurait un impact médiatique direct.


Si tu donnes les pétitions directement au gouvernement, les documents ne seront pas enregistrés. Alors que lors des Jamabandhi les pétitions sont enregistrées pour que cela devienne un document légal. Si tu donnes 100 000 pétitions directement aux responsables du gouvernement, cela donnera une forte visibilité dans la presse, mais rien du côté de la loi. Pour les occupations de terres nous avons à construire des arguments qui feront preuves. Par exemple si je suis arrêté, comment peux-tu m'arrêter. Si je vais à la cour, lors du jugement, je peux dire que j'ai donné ma pétition et que rien n'a changé, mais que cette terre m’appartient légalement. Donc les juges attaqueront la police. Nous avons à être dans la légalité et construire des documents qui nous aiderons. En 2014 se sera le 20ème anniversaire du meurtre de John THOMAS et Enumalai, de nombreuses occupations vont se mettre en place. C'est la seule réponse au problème des terres Panchami. C'est pourquoi nous devons mettre en place un travail systématique de préparation. Automatiquement, les occupations de terres vont devenir une culture pour les personnes. C'est ce sur quoi je veux insister. Les pétitions sont une culture, donc nous allons rendre les occupations pacifiques systématiques dans notre lutte. La seule chose est que les personnes ne doivent pas être violentes. Aussi longtemps que nous serons pacifiques, il n'y aura pas de problèmes.

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Quelle est ta vision du développement aujourd'hui dans le Tamil Nadu ?


Pour moi, quand ils parlent de développement il ne s'agit que d'infrastructures, d'augmentation du capital des entreprises étrangères et multinationales. Et créer de plus en plus d'usines. C'est leur développement. Pour nous, ce n'est pas que nous ne souhaitons pas une croissance technologique. Je pense que c'est nécessaire mais cela devrait être pour le bien être et la protection des communautés et également pour la protection des ressources naturelles. L'agenda de développement qu'ils proposent va détruire toutes les ressources naturelles mais également déplacer les personnes de leurs traditionnels moyens d’existences. Ce que nous disons c'est, laissons les personnes décider. Quelles sortes de besoins ont-elles? Donc quelle sorte de production peuventelles améliorer. Quelle distribution peuvent-elles organiser? C'est ce que nous appelons le développement.

Notre principale proposition de modèle de développement est une économie sociale et solidaire. Cela veut dire, une solidarité entres les personnes dans le respect de la nature. Le système de production doit être organisé de manière collective. Les personnes avec des connaissances technologiques peuvent participer à cette production et cela en lien avec les personnes ayant les connaissances traditionnelles. Après la formation des comités de cantons, nous allons mettre en place des discussions très concrètes sur l'économie sociale et solidaire. Cela devrait permettre l’émergence d’une conscientisation politique de l’importance de la terre et amener à un développement des initiatives collectives sur les terres rétrocédées.

Depuis février sont organisées des réunions publiques pour la mise en place des comités de cantons. Début avril a eu lieu une importante réunion regroupant tous ces collectifs dans le but d’échanger sur la stratégie qui va être déployée. Suivant le schéma exposé lors de l’interview les activistes vont ainsi aller à la rencontre des villageois avec les documents de preuves pour préparer la première étape : les pétitions de masses qui auront lieu lors des Jamabandhi courant juin. Puis auront lieu, plus tard, de juillet à octobre de nombreuses occupations de terres. La lutte pour la rétrocession des terres Panchami prend une nouvelle dimension et l’importance donnée à la base en est l’élément clé. Une lutte sans tête, déployée dans tout l’Etat prête à réclamer ces terres qui lui appartiennent.

William

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