(Par Philippe et Françoise)

D'abord, un tour d'horizon sur le pays, après les changements annoncés, c'est-à-dire, après l'auto-dissolution de la junte militaire. Depuis 2011, Le gouvernement "civil", composé pourtant essentiellement de militaires, engrange les succès diplomatiques, et la libération de 200 prisonniers politiques sur 2000, donne l'impression que la Birmanie avance sur le chemin d'un état de droit.

Ann San Suu Kyi a été libérée en 2010 et élue députée,  elle est venue en France et en Europe, pour inciter l'Occident à soutenir la Birmanie sur la voie des réformes politiques et à favoriser son développement économique.

 La France est un acteur économique majeur, politiques et investisseurs se sont rendus à Rangoon en 2013. Les entreprises françaises sont bien placées dans le domaine des transports, du numérique, des télécoms et de l’énergie. La Chine, la Corée sont en tête des investissements.

Mais actuellement, dans la plupart des cas, l'engagement des entreprises aggrave les violations des droits de l'Homme qui ont lieu au quotidien dans le pays.

C'est ce qu'ont expliqué les intervenants, avec des exemples concrets. :

                                      

Confiscation des terres et corruption

Debbie_Stothard.JPG

 Pour Debbie Stothard,  les nouvelles lois votées n'ont pas abrogé les anciennes et sont même plus répressives. Et la Constitution donne l'impunité complète aux militaires.  Or des pans entiers de l'économie sont tenus par les militaires ou des groupes privés très proches du régime. L'insécurité atteint non seulement les citoyens birmans, mais aussi les nouveaux investisseurs qui affluent car le gouvernement a tous les droits. Les actes de violence lors d'expulsions, de vols de terre en faveur d'investisseurs par des groupes armés soutenus par l'état peuvent être assimilés à des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité ; en conséquence, un jour des entreprises pourraient être poursuivies à ce titre. Le Birmanie est loin d'être pour les entreprises l'eldorado que l'on imagine.

Confiscation des terres et corruption (selon Transparency International, la Birmanie est l'un des 3 pays les plus corrompus au monde) sont à l'origine de la situation dramatique de ce pays autrefois riche, dont le PIB croit, mais dont la population est de plus en plus pauvre.

Beaucoup quittent Rangoon vers la campagne car ne peuvent vivre dans une ville où certaines terres (confisquées) sont vendues… le même prix qu'à New York !

Voir la vidéo ci-dessous : exploitation d'une mine  de cuivre à Letpadaung gérée conjointement par l'état et une entreprise chinoise, après destruction et expulsion de 200000 ha (+ d'1/3 de la Loire). Un projet qui est loin de bénéficier à la population.

"Dans l'ombre de la Montagne qui n'est plus"…

http://www.youtube.com/watch?v=V2VePjkYM3o


la_mine_de_Letpadaung_.jpg


Discriminations ethniques et religieuses

Ko_Zarni.jpgL'activiste Ko Zarmi apporte des précisions sur les difficultés du pays :  

-         la confiscation des terres. Entre 1990 et 2012, 1,6millions d'ha ont été confisqués. (plus de trois fois la Loire) Pas de compensation ou parfois, 1 dollar l'acre ! Avant d'investir, les entreprises devraient s'assurer que les terres qu'elles convoitent n'ont pas été confisquées.

-         le droit du travail : 40000 syndiqués agricoles seulement pour 2millions de travailleurs. Violation des droits, abus sexuels, pas de protection sociale, renvois.

-        Les cronies et les militaires : les 20 principales entreprises birmanes sont gérées par des  militaires ou des "cronies", membres de leur famille ou amis.

-         Les lois répressives existent toujours, et sont utilisées contre ceux qui défendent les droits de l'homme, contre les paysans qui refusent de quitter leur terre. On peut parler d'un régime aux "mains sales" couvertes de sang. Il n'y a ni état de droit, ni système juridique indépendant.

-          Le travail des enfants : 100000 enfants travaillent à Rangoon. Sans éducation, sans protection.

A cela, il faut ajouter les discriminations ethniques et religieuses.

-          135 ethnies

-          5 religions

Contrairement aux décennies précédentes, la discrimination se fait violente contre les musulmans : des discours de haine sont diffusés contre eux par des extrémistes et moines bouddhistes. Le gouvernement ne fait rien contre les rumeurs racistes qui sont propagées et même les utilise pour justifier d'actes de justice expéditive. Cela crée une atmosphère de panique et d'hystérie et, ayant peur d'être attaqués par les musulmans, les bouddhistes les tuent d'abord. Ont lieu aussi des crimes contre des bouddhistes qui aident les musulmans. L'état se présente comme défenseurs des birmans contre les talibans. Il a besoin de cette tension pour gagner les élections contre Aung San Sui Kyi qui ne se prononce pas contre ces tensions, et aussi pour confisquer des terres et les attribuer à de nouvelles entreprises.

En janvier 2013, Desmond Tutu, prix Nobel de la Paix a décrit les exactions contre les Rohingyas  comme un "apartheid".  On parle de génocide ou de crime contre l'humanité.


Quelles bonnes pratiques pour un investissement responsable en Birmanie ?

Antonio Manganella a commencé par rappeler que la Campagne Hors Jeu du CCFD  s'élevait contre ce qui est encore un dogme de façon générale : investissement = développement. Mais quel développement ?

Depuis les années 80, il y a un fort accroissement des investissements dans le monde, particulièrement là où il y a des ressources naturelles et humaines pas chères, un cadre normatif peu rigoureux et un grande absence de recettes fiscales .On assiste dans le monde à une montée exponentielle des zones franches qui dépassent maintenant les 3000% !
Antonio_Manganella.jpg

Dans ce contexte que le CCFD-Terre Solidaire souligne, la Birmanie est un cocktail explosif réunissant plusieurs éléments : corruption, cadre juridique ni sécurisé ni sécurisant, militarisation de l'économie, aucun mécanisme pour défendre l'accès à la justice des victimes… La Birmanie n'est pas prête à l'ouverture au marché : elle se situe à la 172 place sur 177 pour les droits de l'homme.

 http://www.fidh.org/fr/asie/birmanie/La-Birmanie-n-est-pas-prete-pour-12973

 Se sont mobilisés pour alerter les entreprises et demander au gouvernement birman des réformes durables : les ONG, les USA et l'UE etc… Des voix importantes se sont également élevées  le rapporteur Spécial des nations unies sur la Birmanie, la confédération syndicale internationale, la FIDH. Ces derniers ont notamment fait part de leurs inquiétudes liées à la levée des sanctions.

Bien sûr émerge dans le monde occidental une législation importante sur la fiscalité : publication par les banques du reporting pays par pays et cela devrait être étendu bientôt à tous les secteurs d'activité. Bien sûr, l'Europe réclame en plus une législation spécifique sur l'extraction des minerais. Bien sûr encore, la Birmanie bénéficie du statut de SPG (Système de Préférence Généralisé) de l'Union européenne qui offre des avantages commerciaux aux pays en développement. Bien sûr enfin, les Principes Directeurs de l'ONU et OCDE sur le respect des droits humains dans les multinationales existent : depuis 2011, elles sont responsables et doivent mettre en place un système de diligence responsable et communiquer sur leur façon de remédier aux impacts négatifs quand ils sont avérés. 

Mais ces normes internationales ne sont pas contraignantes, et des problèmes importants demeurent : notamment l’absence d’un mécanisme qui permette aux victimes de demander des comptes en cas de violations des droits de l’homme d’une entreprise dans ses filiales. (Voir la proposition de loi de D. Potier en vue d'une loi responsabilité mère-filiale, et aussi les propositions d'engagement sur lesquelles le CCFD-Terre Solidaire demande aux candidats européens de s'engager). En Birmanie, comme ailleurs au Sud, les victimes ne peuvent ni s’adresser à leur pays -défaillant juridiquement- ni aux pays d’origine des entreprises responsables car aucune obligation contraignante n’est prévue dans ce sens. (Voir le drame récent du Rana Plazza à Dacca).

Mo.jpg

Selon Mo - Ratavit Ouaprachanon -, le gigantesque projet d'investissement thaïlandais en accord avec le gouvernement birman à Daweï en Birmanie du sud  a un impact environnemental important (sur 25000 ha  = 2 fois la ville de Paris) : confiscation et déplacement de population (32 274 personnes sont concernées) pour la construction d'un port en haute mer, usines, barrages pour exporter l'électricité vers la Thaïlande, raffinerie de pétrole, usines de fertilisants avec tout ce que la pétro-chimie comporte de pollution, contamination de l'eau… Seulement 34% des habitants concernés ont été mis au courant du projet, et seuls 13% d'entre eux ont voté favorablement. Mais c'est voté, donc en construction.

Une résistance s'organise pour défendre ces populations et émet des recommandations dans les médias sur le respect des droits humains et l'application des Principes de l'ONU.

Plus généralement, Mo pense que, même si Aung San Suu Kyi  est élue, elle ne pourra pas changer grand-chose, car l'environnement économique est libéral. L'alternative, c'est le développement durable, mais il faudra que les lois changent et que les entreprises travaillent avec les populations locales.


La responsabilité des entreprises 

La Birmanie souhaite faire partie de l'ITIE, une initiative norvégienne pour la transparence financière des revenus de l'industrie extractive ( par exemple, 90 % des saphirs au monde, rubis et jade, exportés vers la Chine, pétrole) . Ce qui lui permettrait d'attirer un afflux d'investissements. 

Mais si elle y parvient, ce ne sera pas une pilule magique qui va résoudre tous les problèmes. Car, la transparence ne signifie pas l'obligation de rectifier les comptes et la responsabilité et ne changera  rien au comportement du gouvernement  qui continue à augmenter le budget de l'armée en laissant ceux de la santé et de l'éducation toujours aussi faibles. 

Un représentant de l'entreprise Total a dit respecter la RSE en Birmanie. Mais selon Debbie St, ce n'est pas suffisant : les ouvriers birmans sont bien loin de pouvoir manifester comme en France. Une multinationale doit travailler, dans le pays où elle est présente, à faire progresser le respect des droits, et non penser "Laissez-moi voler votre voiture, je le ferai plus gentiment que d'autres".
Debbie_Stothard_et_Ko_Zarni.jpg

Quelle compagnie française  est prête peser auprès du gouvernement français pour que soit garanti l'accès à la justice des victimes de nos multinationales ? C'est cela la vraie responsabilité des entreprises.

En 2015, la Birmanie sera intégrée à l'ASEAN (Association des Nations de l'Asie du Sud-Est ) : une manne d'investissements juteux en perspective pour le gouvernement  ! Alors, pourquoi changer quoique ce soit puisque l'argent arrive en quantité ?

Selon Debbie Stothard, il y a quand même une bonne nouvelle : on peut entendre parler en France un opposant comme Ko Zarni, pourtant en attente de jugement en Birmanie pour manifestation et rassemblement pacifique de la population.

 

Philippe

Françoise

 

Lire : info Birmanie :

http://www.info-birmanie.org/wp-content/uploads/compte-rendu-conference-du-26-mars.pdf

Visite de Aung San Suu Kyi en France(avril 2014)  RFI   :

http://www.rfi.fr/asie-pacifique/20140415-birmanie-france-aung-san-suu-kyi-hollande-soutien-transition/