mise à jour 31 mai

Bonnes nouvelles! Ruben Artemio Herrera a été libéré par décision du Tribunal Primero A de Mayor Riesgo, Edificio de la Corte Suprema de Justicia, ciudad de Guatemala ce jeudi 30 mai 2013.


Par Walter (chargé de mission mésoamérique),

Le Guatemala vit des jours historiques, en funambule entre l’espérance et le désarroi, entre la joie et l’inquiétude… Au cœur de l’actualité se trouvent les péripéties liées au jugement de l’ancien dictateur Efraín Ríos Montt. Derrière les délibérations des cours de justice, les manœuvres d’avocats et les mots des communiqués, il y a le vécu de la population maya Ixil confrontée à ce qu’elle assimile à un nouveau camouflet à son égard. Et à ses côtés plusieurs communautés qui, par leur opposition à des projets conçus sans leur avis pour les territoires qu’elles occupent, se trouvent persécutées.

 

Dès la mise en examen de Ríos Montt, au moment où il avait perdu son immunité parlementaire (janvier 2012), une campagne s’est levée pour troubler le processus et intimider la société civile mobilisée autour du combat contre l’impunité et pour la défense de la dignité des populations indigènes.

 

A partir de mars 2012, une campagne de désinformation a démarré afin de stigmatiser des organisations de la société civile, ainsi que la coopération internationale pour les « financements accordés à des organisations terroristes » (sic). Parmi les cibles, il y a aussi la CIDSE (dont le CCFD - Terre Solidaire est membre), mais surtout des organisations locales et nationales qui se battent pour les droits des populations indigènes à être consultées avant les décisions sur des projets économiques sur leurs territoires. Pressions auprès des ambassades, constitution et diffusion de dossiers avec une lecture très partielle et biaisée de l’histoire et des accusations approximatives (la vérité importe peu dans ce cas), propagande autour de cette thèse du complot marxiste (forcément terroriste) impulsé par l’église catholique et par des étrangers présents dans le pays...

 

Au fur et à mesure que la date du procès approchait, les intimidations se sont faites sentir de façon plus forte. Dans une lettre signée par plusieurs réseaux européens (dont la CIDSE), datée du 28 mars, on faisait état de 5 assassinats de leaders sociaux en moins d'un mois. Deux autres ont eu lieu depuis, dont celui de Daniel Pedro, membre du Conseil des Peuples de l’Occident, dans une communauté opposée au projet de construction d’une centrale hydroélectrique dans le département de Huehuetenango.

 

Rien néanmoins, n’a brisé la détermination des survivants des massacres commis par l’armée pendant les années les plus sombres du conflit armé interne. L’ouverture du procès le 19 mars 2013 était un moment attendu depuis plus de 15 ans par les organisations de défense des droits humains. De son côté, la défense du général Ríos Montt s’est permise toutes les arguties pour retarder le procès ; ce qui a abouti dans un premier moment à la suspension du jugement le 18 avril, après que tous les témoins s’étaient déjà livrés au dur exercice de partager leurs mémoires, devant leurs bourreaux.

 

Déjouant les pronostiques les plus pessimistes quant à la possibilité de faire justice au Guatemala, notamment à la suite de cette suspension, le Tribunal chargé de l’affaire s’est prononcé le 10 mai 2013 pour la condamnation de l’ancien général Ríos Montt : 80 ans de prison, dont 50 pour génocide et 30 pour crimes contre l’humanité.

Lire la joie au lendemain de cette condamnation avec le témoignage d'Amandine Fulchiron (Actoras de Cambio)

Mais un nouveau rebondissement est intervenu le 20 mai. Contredisant les principes du droit ainsi que ses propres résolutions sur ce même cas, la Cour Constitutionnelle revient sur une décision de justice déjà établie et impose la reprise du jugement au point où il en était le 19 avril…

 

Les non avertis en questions juridiques s’y perdent, mais ne s’y trompent pas : en agissant de la sorte, la Cour Constitutionnelle offre des gages à l’impunité, victimise encore une fois la population ixil et entretient la polarisation de la société, avec les risques que cela entraîne notamment pour les défenseurs des droits humains et les communautés qui aujourd’hui encore cherchent à faire reconnaître leurs droits.

 

Sans préjuger de l’épilogue du procès (des dizaines de recours et d’appels sont soumis à l’appréciation de différents tribunaux), on peut d’ors et déjà considérer que le débat publique suscité par le jugement sur le génocide constitue un pas important pour la société guatémaltèque. Cela devrait contribuer à la construction d’un rapport apaisé à la mémoire, ce qui ne peut être possible qu’en prenant en compte la réalité des victimes. Elles ne se présentent pas devant des tribunaux en réclamant revanche, elles clament justice, elles souhaitent réparer la mémoire et la dignité de leurs morts innocents (1771 dans la zone ixil).

 

Néanmoins, le langage belliqueux utilisé par ceux qui s’opposent à cette perspective laisse craindre des nouvelles attaques violentes contre les défenseurs des droits humains et des leaders communautaires.

 

Le Procureur des Droits Humains du Guatemala a été saisi le 14 mai 2013 avec la longue liste d’attaques menées notamment par la « Fondation contre le terrorisme » et des groupes proches. Les défenseurs des droits humains et organisations menacés réclament une enquête, de la protection contre la campagne de diffamation et stigmatisation et des mesures gouvernementales qui puissent mettre un frein à ce type de campagne.

 

Le jugement pour génocide et la lutte pour la défense du territoire

Dans ses grandes lignes, le conflit autour de la mémoire et les conflits autour des biens naturels du pays opposent les mêmes protagonistes : d’un côté les populations indigènes, historiquement exclues des bienfaits des politiques dites de développement et discriminées par leur appartenance ethnique ; de l’autre des élites économiques en alliance avec un secteur militaire. Les combats pour la justice et la dignité, et pour la défense du territoire traduisent la volonté des peuples autochtones d’être pris en compte dans la vie du pays. Cette volonté choque néanmoins frontalement avec l’intention du gouvernement d’ouvrir le pays aux investissements internationaux. Face à la résistance aux projets miniers et énergétiques, la criminalisation de la protestation (avec la persécution pénale et la répression) réduit les possibilités de dialogue et de solutions politiques aux conflits.

 

Ce mois de mai 2013 a été aussi marqué au Guatemala, par l’état de siège dans les municipalités de Santa Rosa et Jalapa, dans la région Orient du pays. En toile de fond, le conflit autour des activités extractives et la violence exercée par des agents de sécurité privée des entreprises minières qui s’en prennent à la vie des opposants. Comme l’affirme courageusement le diocèse de Jalapa, « si le gouvernement avait répondu aux aspirations légitimes de la population [confrontées aux projets d’exploration minière] l’énorme pression sociale qui a amené à la présente situation aurait été désamorcée ». Allant plus loin, dans son analyse, Mgr Julio Cabrera soupçonne le gouvernement de protéger les intérêts des entreprises extractives au détriment des intérêts de la population.

 

C’est la deuxième fois que le gouvernement du président Otto Pérez Molina fait appel à l’état de siège (et à la suspension des garanties constitutionnelles) pour régler des conflits sociaux. Un an auparavant, dans la municipalité de Santa Cruz Barillas, la même situation s’était produite. Le solde pour les communautés en résistance est toujours lourd : des morts et des leaders sociaux persécutés. A Barillas, à cause de l’état de siège, onze personnes sont restées plusieurs mois en prison, jusqu’à ce que la justice soit obligée de reconnaître que les charges contre elles ne tenaient pas. Néanmoins, Ruben Herrera, membre de l’Assemblée des Peuples de Huehuetenango et du Conseil de Peuples de l’Occident, est emprisonné depuis le 15 mars 2013, sous les mêmes accusations (terrorisme, activité contre la sécurité intérieure du pays, attentat contre des services d’utilité publique, incendie, entre autres charges…), mais avec un dossier qui ne tient pas ; d’où l’appel des organisations des droits humains pour sa libération, le considérant un prisonnier politique.

 

L’espoir né le 10 mai 2013 au Guatemala est fragile. En ce moment de l’histoire, la société civile guatémaltèque a particulièrement besoin de notre solidarité et accompagnement. Le principal défi qui se pose au Guatemala est celui de trouver des nouveaux ressorts pour construire un projet de nation incluant et plus juste. Le CCFD – Terre Solidaire suit de très près la situation en lien étroit avec l'ensemble des partenaires guatémaltèques et des organisations membres de la CIDSE.

http://diocesisdejalapa.com/Comunicado020513.html.

www.facebook.com/ccda.guatemala?fref=ts

- pétition pour la libération de Ruben Herrera, membre de l’Assemblée des Peuples de Huehuetenango et du CPO, rencontré lors du Voyage d'immersion de la région Rhône-Alpes en août 2012