Par Pierre-Yves (48)



Fin mars 2012, Marco Zeisser, chercheur au centre Bartolomé de Las Casas, partenaire du CCFD-Terre Solidaire à Cusco (Pérou) arrive en Lozère pour un périple de 4 jours.

Première surprise, Marco parle un français impeccable et pour cause, il est breton. Il nous raconte les évènements de sa vie, les sept années où il vécut comme éleveur dans l’Ouest de la France et revendiquant une approche de l’agriculture qui ne soit pas celle de l’agro-industrie. Son départ ensuite pour l’Amérique Latine, où il devient observateur des pratiques des paysans sud-américains, enfin son installation au Pérou, où il vit depuis plus de vingt ans.

C’est donc un français, péruvien d’adoption, fin connaisseur des réalités de ces deux pays qui va nous accompagner durant quatre jours sur une mission un peu particulière et un peu novatrice pour notre réseau de bénévoles CCFD-Terre Solidaire Lozère.

En effet depuis quelques mois, nous essayons de mieux connaître notre propre territoire, afin d’améliorer l’impact de notre action ici en France. Nous espérons au bout du compte, nouer des liens plus solides avec des acteurs de changement social qui en France défendent des causes semblables à celles que nos partenaires défendent au Sud (l’agriculture paysanne, l’égalité homme femme, la condition des migrants, la défense de la démocratie, etc.). Nous espérons également mettre en place des partenariats avec des acteurs d’éducation à l’environnement (il en existe beaucoup en Lozère, à l’image du Réseau d’Education à l’Environnement de Lozère, le Réel, basé à Florac et qui fédère l’ensemble des associations et acteurs dans ce domaine) en apportant notre savoir-faire en matière d’éducation aux grandes questions de solidarité internationale. Enfin, cet état des lieux de notre territoire est pour nous l’occasion de faire la connaissance d’élus politiques, et d’envisager à plus long terme des actions de plaidoyer.

A Cusco, le Centre Bartolomeo de las Casas, dans son action d’aide aux populations andines, a pour habitude de réaliser en amont des analyses de territoire.

Marco vient donc nous apporter un soutien méthodologique et nous aider à nous organiser dans notre travail et notamment aux deux engagés en service civique qui depuis décembre dernier sont en charge de la réalisation d’un diagnostic territorial du département. S’agissant d’une première expérimentation au sein de l’association, nous partions sans méthodologie spécifique. Xavier Ricard ayant très tôt pensé à Marco Zeisser comme accompagnateur international du projet, nous avons su dès janvier qu’une visite allait pouvoir s’organiser. Il fallait donc qu’à son arrivée nous ayons une idée claire du territoire et de ses acteurs afin qu’il puisse nous guider efficacement dans la définition des objectifs et de la mise en forme de l’étude.

Déroulement :

La présence de Marco durant 4 jours a permis plusieurs phases de travail :

Un temps de présentation de la Lozère et de bilan du travail effectué (compilation d’informations et de diagnostics existants, premiers entretiens). Nous avons présenté à Marco certaines spécificités de la Lozère, parmi lesquelles le déclin démographique, l’enclavement géographique, la disparition progressive des services publics, etc. Un peu provocateur, celui-ci nous répond : « J’aimerais que le Pérou soit aussi vide que la Lozère ! » Et de nous expliquer que s’il y a bien une impression physique de vide procurée par les grands espaces naturels, s’il y a bien un relatif enclavement (le voyage Paris-Mende s’effectue en 6 heures mais Lima Cusco dure près de 20 heures en bus) il n’y a en revanche pas de vide au niveau des institutions, entreprises et associations qui agissent pour le développement de leur territoire.

C’est cette omniprésente des acteurs, cette incroyable artillerie de chambres consulaires, de syndicats, de conseils, d’associations, de circonscriptions administratives, de syndicats mixtes d’aménagement, de labels, de sigles en pagaille qui impressionnent Marco. Et de nous énumérer les territoires Natura 2000, les associations de pays (Pays des Sources, pays du Gévaudan, etc.) ; les groupements d’action locale, GAL, en lien avec l’Europe, les commissions internes du conseil général (Commission agriculture, commission tourisme), l’appellation UNESCO qui entraînera probablement la création d’un syndicat mixte de gestion, pour ne citer que quelques-uns de ces pièces incroyables. Et pour simplifier le tout, la moitié du territoire lozérien fait partie du Parc National des Cévennes qui bénéficie d’un statut juridique et d’une gestion qui lui est propre. Non seulement les territoires et les maillages administratifs sont nombreux mais en plus ils se superposent.

Des choses qui pour nous allaient de soi, deviennent aux yeux de Marco des évidences à dépasser, des clichés dont il faut se défaire. N’en déplaisent à nos éditeurs de manuels du secondaire, la Lozère n’est pas qu’un morceau de la diagonale du vide. En effet, nous explique Marco, le Pérou souffre généralement d’un manque d’acteurs et de moyens financiers et humains dans la gestion de son territoire. Si en France, nous cultivons peut-être à l’excès cette manie de créer pour chaque action et chaque nouveauté une commission particulière, au Pérou, à l’inverse, ce vide peut avoir des conséquences pour les populations locales (non application des décrets nationaux, non application des lois de protection des terres indigènes, etc.) Nous avons là un bon exemple de pays où les dégâts du néolibéralisme à outrance sont visibles (ajustements structurels, et surtout, depuis les années 90, des lois et décrets qui vont dans le sens de l’intérêt des plus puissants, non des plus faibles). Regards croisés, apprentissage mutuel, effet miroir, les clichés tombent.
Nous sommes donc partis, en compagnie de Marco à la rencontre de quelques-uns de ces acteurs du territoire : Monsieur R., qui vient de quitter son activité de conseiller à la Chambre de l’Agriculture pour aider les agriculteurs à convertir ou démarrer une activité en bio pour devenir lui-même, maraîcher biologique. Il nous raconte sa difficulté à trouver un terrain pour s’installer avant de trouver deux hectares dans un jardin anciennement cultivé par deux frères. Il aura mis près de deux ans. Il nous parle de ses projets futurs, où il aimerait ouvrir les portes de son exploitation à des travailleurs en insertion. Il nous explique aussi sa recherche de débouchés commerciaux (Biocoop locale, mais principalement restauration collective pour certaines maisons de retraite, etc.) Il est l’un des rares maraîchers bio de Haute Lozère, et contribue à sa manière à freiner la disparition des terres agricoles ou leur absorption par des exploitations de plusieurs centaines d’hectares.

Nous rencontrons ensuite un élu de centre droit, responsable des questions agricoles au Conseil Général. Il nous présente une vision plus classique de l’agriculture tout de même intéressante, et attachée à la défense et aux maintiens de producteurs sur le département. Il nous parle aussi de son travail de consultant auprès de la commission européenne, dans le cadre de la réforme de la Politique Agricole Commune et du poids des lobbys agroindustriels et accepte le cas échéant d’être mis en relation avec des salariés du CCFD-Terre Solidaire qui travaillent sur ces questions. Notre troisième et dernière rencontre a lieu près du site exceptionnel des Bondons, dans les paysages désertiques des Causses : il s’agit de Mme P, porte-parole de la Confédération Paysanne 48 et apicultrice en conversion. Elle partage avec passion ses combats et son militantisme, mais aussi des difficultés de la Confédération en Lozère, cantonnée à une place marginale. Le désintérêt que porte une partie des agriculteurs des Cévennes, bien souvent de petits paysans dont les pratiques sont proches de celles défendues par le syndicat ; le fait aussi que pour voter aux élections de la Chambre de l’Agriculture, il faille un statut d’agriculteur, ce qui exclut les cotisants solidaires de la MSA qui pourtant travaillent eux-aussi dans l’agriculture tout ceci explique selon elle la faiblesse de leurs résultats. Comme nos deux précédents interlocuteurs, elle souligne d’importants problèmes dans l’accès à la terre, des phénomènes importants de blocage foncier empêchent l’installation de nouveaux agriculteurs sur le territoire, ou du moins la rend très compliquée.

Le fait de mener ces entretiens ensemble a nourri notre réflexion commune et donné à Marco de nouvelles clés d’analyse du contexte lozérien. Elle nous permet aussi d’avancer, certes avec prudence, des éléments de comparaison entre la situation de la terre en Lozère et plus généralement en France et celle du Pérou où après une Réforme Agraire de grande ampleur en 1969, on assiste depuis les années 1990 à un inquiétant phénomène de concentration de la terre aux mains de quelques grandes compagnies et grands propriétaires souvent très proches des classes politiques dirigeantes.

 

La veille de son départ, nous avons restitué ensemble les conclusions du séjour devant les bénévoles lozériens et échangé sur la nouvelle impulsion qu’il a donnée au projet.

 

Impact :

D’un point de vue méthodologique, il nous a fourni un cadre adapté à notre recherche : en nous conseillant de nous concentrer sur les différents acteurs de la Lozère et leur échelle d’action, il a éclairci et simplifié notre démarche, clarifiant ainsi ses objectifs. Il s’agissait désormais d’établir le maillage administratif, institutionnel, associatif, de la Lozère afin qu’à partir de là nous puissions définir une stratégie d’action locale du CCFD-Terre Solidaire. Il a également élargi notre champ de réflexion en nous informant sur certaines démarches de la région voisine, l’Auvergne, où il était en visite la semaine précédant son arrivée, notamment les projets de développement économique qui s’implantent dans le Massif Central (Macéo).

 

En conclusion, la visite de Marco s’est révélée enrichissante et sympathique. Il nous a aidés à porter un autre regard sur notre travail et à prendre conscience des manques ou des choses à approfondir. Il prouve ainsi la pertinence de la présence d’un partenaire sur une visite un peu plus longue et hors cadre Carême pour avoir le temps d’assister à plusieurs entretiens, d’apprivoiser les paysages, de se repérer, d’assimiler la démarche et permettre de véritables échanges avec acteurs et bénévoles locaux. Ce type d’échange est extrêmement bénéfique pour le partenaire, qui n’est plus dans un simple rôle d’orateur pour le public français, mais qui lui-même s’enrichit et apprend un peu plus de notre réalité française, de ce qui fonctionne, et de ce qu’il nous faut, ensemble transformer, afin d’œuvrer ensemble à notre libération.