Partis pour visiter une favela. Dans le bus, on fait déjà grise mine. Vous pensez, aller se terrer dans
un bidonville, concentration de misère, foyer de violence, repère de narcotrafiquants, espace de
balles perdues… Comme à la télé, quoi ! On a peut-être même un peu les mirettes.

Précision ! Les favelas, ce sont des quartiers qui ont été construits sur les collines de Rio, et ça
ne manque pas de collines à Rio, et ça monte dru. Au départ, des esclaves, les quilombos, vous
vous souvenez, on en parle un peu avant, mais aussi tous ceux qui ont fui la soumission du maître.
Même technique, on monte en haut de la colline, on se cache, on se terre au plus inaccessible. Les
favelas ont ainsi été construites par le haut, puis en descendant jusqu’au pied de la colline, aux
abords direct aujourd’hui des quartiers de la ville. Aujourd’hui, ce ne sont plus les quilombos qui les
habitent, mais leurs descendants qui sont restés là, où tout ceux qui n’auront jamais les moyens de
se loger en ville, c'est-à-dire la majorité, Rio est plus chère que Paris.

Petites rues escarpées, toutes en zig-zag, le bus a bien du mal à se frayer un chemin, ça croise
difficilement. Et à notre arrivée, surprise ! Au pied de Providencia, première favela de Rio,
première favela du Brésil, nous sommes accueillis par de la musique, une sono à fond la caisse, je
parie pour au moins 300 décibels, quasi infernal. La nouvelle a circulé que des étrangers viendraient
aujourd’hui. C’est fait, la favela est prévenue. On s’interroge, est-ce un signe de bienvenue qui
nous est adressé, ou au contraire un signal pour les habitants ?

Sur un balcon, trois hommes d’armes sont également là, des UPP, unités de Police Pacificatrice.
Treillis bleu foncé, presque noir, pistolet à la ceinture, gilet pare-balles, radio, fusil mitrailleur
dans les bras, lunettes de soleil, béret. J’apprendrai plus tard que ces UPP sont là depuis 18 mois
environ. Vous devez vous souvenir de l’actualité de Rio qui a noyée un temps nos ondes, et des
narcotrafiquants chassés des favelas. La police a pris la place, un peu sèchement au départ, par
exemple en chassant des familles pour utiliser leur maison comme poste, ou en décidant un peu
unilatéralement des règles de vie. Mais elle semble progressivement acceptée et le dialogue
s’installe. Surtout, il n’y a plus d’armes dans les favelas, et c’est bien l’essentiel pour les personnes
qui nous accueillent, les enfants peuvent à nouveau jouer dehors, ce qui était inimaginable il y a
encore peu.

Nous montons un escalier, large, interminable, raide comme une échelle de meunier. Marie-
Ange, avec ses béquilles, doit croire faire une ascension dans les Alpes. Sur la droite, une grosse
canalisation d’eau. De tout son long, elle est perforée par des petits tuyaux qui partent dans tous
les sens, pour abreuver les maisons. Même topo après le pylône électrique, des centaines de fils
chattertonés qui partent un peu partout. Il y a des champions du pontage ici !
Au dessus de l’escalier, une petite place, un poste de police dans une maison ou portes et fenêtres
ont été remplacées par des grilles, même bonhommes qu’au bas à l’intérieur, et une petite église.
Le sacristain, tout du moins l’homme d’entretien, nous ouvre les portes et assure la visite. Pas
grand choses à visiter ceci dit. Quelques statuts, quelques bancs, dont deux d’école. Le lieu
assurent les offices religieux, mais c’est aussi la salle de réunion de la favelas et un lieu de soutien
scolaire pour les gosses qui rament à l’école. Une église qui joue toute sa fonction sociale, je trouve
ça chouette.

Dehors, malgré les flics, l’ambiance semble bonne, les enfants jouent, des adultes circulent. On
se dit bonjour, on se fait des sourires. Nous comprenons rapidement que nous nous situons tout
simplement dans un grand village, une communauté où les uns et les autres se connaissent, ont des
relations, se donnent des coups de mains, créent des associations, mènent des projets, construisent
des solidarités. On est à des kilomètres de ce que l’on attendait. Personne n’en revient. Mieux
encore, par quelques portes entrebâillées, on aperçoit des intérieurs qui semblent bien corrects,
propres, équipés, presque confortables pour certains. Bon, il y a beaucoup d’habitat précaire quand
même, ne poussons pas !

On continue la visite. Petite ruelles, à droite, à gauche, des escaliers qui montent, d’autres qui
descendent, pour terminer sur une esplanade aménagée qui donne sur la ville ! Là, le top, quand je
pense que nous avons donné 53 Réals pour monter voir des nuages au pain de sucre, et il y a trois
bélvédères, qui permettent de faire un tour d’horizon complet. Au pied, le stade de foot de Rio, qui
doit être réhabilité pour la coupe du monde de 2014, ou 2016, et l’ancien port qui sera détruit pour
recevoir les infrastructures des jeux olympiques en 2016, ou 2014.

Mais problème. Oui, c’est la ville qui a construit les belvédères, et elle entend rapidement installer
un téléphérique et faire de cette favela un lieu de tourisme. Pour cela, il faudra faire un peu de
ménage, élargir l’artère qui monte en haut de la favela, raser les constructions qui font de l’ombre
au paysage. La municipalité est passée il y a quelques mois, et a choisi l’ensemble des constructions
à raser, en inscrivant sur le mur « HSM », c’est le nom du service municipal du logement, et un
numéro. Effectivement, il y en a partout : HSM 127, HSM 342, HSM 731…
Contre cela, les gens de favelas s’organisent, accompagnés par la FASE, et autour de cette dame
qui nous a organisés la visite, et qui est la « leader » de la favela. Elle y habite
elle compte bien y rester, est elle refuse catégoriquement que ce patrimoine soit en partie rasée
et artificialisé pour les gentils touristes qui viendront claquer leur pognon au JO ou à la coupe du
monde. Providencia n’est pas un musée à touriste, c’est un joyau culturel de Rio, à préserver à tous
prix.

Comme ailleurs, le combat sera difficile, peut-être même perdu d’avance. Lundi, les pelleteuses
détruisent deux premiers immeubles au pied de la colline.

Nous terminons la journée en centre ville, pour visiter rapidement une rue qui a été abandonnée il
y a 20 ans par une communauté de portugais issus des colonies, et qui a eu les moyens de monter
en gamme, et d’accèder à des quartiers plus chics. Des familles sans logement squattent les lieux
depuis, une famille par pièce ! Le leader du quartier, également accompagné par la FASE, nous
explique qu’ils sont sous la menace d’une expulsion, sans solutions humaines de rechange. Ils n’en
veulent pas, pas question d’être repoussé dans la grande banlieue, à 40 kilomètres du travail, là où
les narcotrafiquants et la violence ont pris leurs nouveaux quartiers ! On ne peut pas rester, tout ce
petit monde a une réunion, et on est ponctuel à FASE !

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