Autre favela cet après-midi, celle de « Santa Marta » La deuxième pour nous, mais il y en a plus
de mille à Rio. Ici, une particularité, c’est la plus escarpée. Pas une
seule rue, mais des escaliers, partout, et seulement des escaliers. Il faut quarante minutes pour
y monter, et peut-être un peu moins pour redescendre. Quoique, il faut faire gaffe où on met les
pieds, car c’est un peu plus en désordre que celle vue hier, c’est même franchement plus sale et
plus vétuste.

Quarante minutes de bas en haut, ou de haut en bas donc. Problème aussi, car ce sont les plus
anciens souvent qui crèchent au dessus. Si vous voulez isoler définitivement des personnes âgées,
la recette est là. La municipalité, dans un grand élan social, a installé en 2009 un
funiculaire, bien apprécié de tout le monde, et avec cinq stations. Mais ne nous y trompons pas,
sur la porte du funiculaire, une affiche « Rio Tour », cette favela sera également un lieu de
visite pour les touristes. Forcément, il y a là une vue imprenable sur le Christ qui domine la ville.
Probablement fera-t-on un peu de ménage ici, la municipalité a déjà construit des murs pour
contenir l’extension du quartier, et il est désormais interdit de rajouter un étage sur une maison, ça
prend sur le paysage.

Tout au long de la montée… un égout qui descend, à ciel ouvert, de plus en plus large au fur et à
mesure qu’il se dirige au pied de la colline. En vrai, de plus en plus étroit au fur et à mesure que
l’on monte. Dégeulasse ! Et plein de gosses qui jouent là autour, je ne vous dis pas les conditions
d’hygiène et de sécurité. Peu importe, la municipalité n’a même pas pris le soin d’installer un poste
de soin sur ce quartier, ce sont les gens de la communauté qui ont organisé leur centre de premiers
secours. Côté incendie, on fait comme on peut en cas de problème. La dernière fois, ce sont quatre
vingt maisons qui ont disparu, il est de toutes façons impossible à un camion de pompiers de monter
les escaliers, et le funiculaire est limité à deux tonnes.

Au sommet, quatre policiers de l’UPP. Treillis bleu foncé, presque noir, pistolet à la ceinture, gilet
pare-balles, radio, fusil mitrailleur dans les bras, lunettes de soleil, béret. Oui, les mêmes qui hier,
avec un air un peu plus méchant. Ils surveillent en utilisant le zoom de leur appareil photo réflex.
Dans le ciel, des dizaines de cerf-volant, le jeu préféré des gosses des favelas, mais surtout un outil
de communication efficace pour les plus grands, pour faire passer les infos de bas en haut, et de
haut en bas, en faisant des figures, en jouant sur les couleurs des petits objets volants, retenus par
un simple fil de couture.

On termine la visite par l’espace « Mickael Jackson ». Sa statue grandeur nature, en bronze, est là,
boulonnée au sol. Farida est aux anges, elle est une de ses fans. Le roi de la pop a tourné un clip,
ici, qui a fait le tour du monde il y a quelques années, et dénonçant les clichés sur les favelas. Je ne
connais pas la chanson, on me dit qu’il faut aller sur Google et taper « Youtube Mickael Jackson clip
Rio ». Dès que j’ai un moment, j’essaie !

Le lendemain matin, Marie-Ange discute avec une femme de ménage de l’hôtel. Elle habite Santa
Marta, on est passé devant sa maison, elle nous a reconnu. Marie-Ange lui explique qui nous
sommes, pourquoi nous sommes là. La dame est toute sourire, ça doit bien être la première fois
qu’elle croise un client devant chez elle !

Visite de la radio communautaire

Plein cœur de la favela, nous sommes reçus par Fiell, artiste rappeur, et responsable d’antenne de
la radio communautaire. Visite du studio. On est pas à France Bleue, une pièce de 8 ou 10 mètres
carrés avec un bureau, un ordinateur, des rayonnages remplis de bouquins, un canapé, pièce borne
sans fenêtre, et un studio d’enregistrement de 6 mètres carrés, un ordinateur, trois micros, de la
mousse contre les murs et le plafond, pas plus de fenêtres qu’à côté. C’était la maison de Fiell,
il l’a donnée à la communauté pour que cette radio voit le jour, c’est un outil indispensable pour
que les informations circulent dans la favela, elle est ouverte à tous, on peut venir donner une
info, souhaiter un anniversaire, faire une annonce si on a perdu son gosse, avoir les infos des grands
médias, demander un coup de main… super outil de cohésion sociale.

Je vous parle un peu de censure. Pour mettre sur les ondes une radio libre, ici, il faut présenter à
l’administration un projet qui soit soutenu conjointement par cinq différentes ONG ou organisations
à but non lucratif, et toutes positionnées sur le territoire d’émission de la radio communautaire,
dans la favela donc. Autant dire que c’est à peu près impossible à réunir comme conditions. Mais
Fiell y est arrivé, et en novembre, le premier programme était sur les ondes, et déjà suivi par une
grande part de la favela. Pour faire vivre la radio, on vend des tee-shirts et des bouquins, dans la
favela bien sûr. Ce sont les gens de la favela qui financent donc leur propre radio, pas de dotations
publiques comme chez nous. Pour continuer dans la censure, le 4 mai de cette année, journée de la
liberté d’expression, la police gouvernementale débarque et démonte tout. Interdit d’antenne, Fiell
a du tenir des propos qui ont peu plus aux fonctionnaires.
Fiell ne se démonte pas, il a remis la radio en ligne sur le Web, mais c’est compliqué, la plupart des
habitants de la favela ne disposent pas d’un ordinateur et du Web.

Pour terminer la visite, passage chez le beau-père de Fiell, Il tient un bistro. Marie, Marie-Jo,
pour qui c’est l’anniversaire, nous offrent une Caipirinha. On trinque, on chante, on rit, on achète
des CD et des DVD de rap à Fiell. On se sent bien, en sécurité, l’ambiance est géniale, nous n’aurions
jamais cru que tout cela serait possible dans une favela !

Nuit noire, il faut rentre, dernier resto, et bouclage de valise

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