Nous venons de comprendre pourquoi nous n’avons pas pu venir hier, sous la pluie. Ce ne sont pas des
routes ici, ni même des pistes, je ne sais pas comment il faut appeler ça, il ne reste presque plus
que les trous, et des flaques dans lesquelles tu pourrais élever des compagnies de grenouilles.

Après un long, même très long moment de tape-cul, nous arrivons chez Cecilio, ses copains
l’appellent le Sicilien, il en a un peu la bouille.
Cecilio vient de la ville. Il était chômeur. Il nous emmène visiter son exploitation. D’abord le verger :
des bananes, des mangues, des cocos, des goyaves, des mangues, des ravioles, des potirons, des
oranges, des maracujas, des urucums. Il y en a de toutes les grosseurs, de toutes les couleurs. Il
veut nous faire gouter de tout, il a le sens de l’accueil et du partager, le bonhomme. Il sort un
grand couteau de son pantalon, attrape quelques cocos, coupe le dessus et le perce. C’est dingue,
ça gicle l’eau de coco, une de ces pressions là dedans. Chacun déguste. C’est ensuite le tour des
oranges. Charles, qui nous guide, joue aux éplucheurs. Délicieuses, juteuses, sucrées, trop bonnes.

Derrière le verger, il y a un cabanon, et un homme qui travaille le bois. Il nous explique qu’il ne
débite que des arbres en fin de vie, qui ne produisent plus de fruits. Il fabrique à façon des petites
tables, des chaises, des bancs, tous plus magnifiques les uns des autres, et tous originaux, chacun
en fonction de la forme du bois utilisé.

Puis direction les plantations maraîchères. Maïs, haricots, fèves, manioc, patates douces, igname,
coriandre, plantes médicinales, tournesols. Il y a huit hectares à disposition, dont six sont
actuellement exploités. Les deux derniers sont encore en canne à sucre, comme quand Cecilio a
reçu se terrain. Paris ne s’est pas construit en un jour ! Les deux hectares de canne sont laissés
à l’abandon, notre paysan s’en sert pour alimenter le bétail, jusqu’à ce que la plantation meurt
de sa belle mort. L’exploitation est bien tenue. Tout est propre, bien organisé. Les cultures sont,
pour certaines, organisées en doublette. Nous avons déjà vu cette organisation ailleurs, pour que
les plantes se protègent et s’alimentent mutuellement. Cécilio a aussi soin de faire tourner ses
cultures. Là où il y a des patates, il mettra le manioc l’an prochain. Là où il y a le manioc, ce sera
les haricots. C’est le meilleur moyen pour régénérer le sol le plus rapidement, ce sont les cultures
qui le désintoxiquent et le réparent.

Cécilio nous raconte son histoire. Homme de la ville, sans boulot, il a eu l’opportunité d’arriver ici
en 94, dans un acampamento accompagné par la Pastorale de la Terre. Il faudra sept ans pour qu’il
obtienne son titre de propriété. Il témoigne comment il est heureux aujourd’hui, comment sa vie
s’est améliorée, même si le travail du sol est dur. Bien sûr, il prélève dans ses cultures ce dont il
a besoin pour nourrir la famille, mais l’essentiel est commercialisé. De toutes les visites réalisées

depuis le début du séjour, c’est la première exploitation agricole, pourrait-on dire. Dans les autres,
la culture est là pour nourrir la famille, et ce sont les excédents qui sont vendus. Ici, il y a un vrai
projet commercial.

Comme pour les paysans accompagnés par le MST, Cécilio est engagé au côté de la Pastorale de la
Terre. Il y passe du temps, milite, participe aux réunions, soutient les projets d’acampamentos et
d’assentamentos. Petit échange sur les relations et la Pastorale de la Terre et l’Eglise diocésaine et
locale. Ca s’améliore, nous dit-il. L’évêque précedent n’a fait que de leur mettre des bâtons dans
les roues, il était fils d’un grand exploitant de canne, c’est sûr ! Depuis le changement d’évêque, ils
ont trouvé un interlocuteur à l’écoute, compréhensif, soutenant. Il y a de l’espoir. La discussion est
intéressante, on resterait bien encore un peu, mais d’autres hôtes nous attendent pour le dîner.

Nous demandons à Cécilio la permission de lui prendre un petit sac de terre, pour ramener chez
nous, montrer aux copains des délégations, jouer dans la symbolique. Cécilio se prête au jeu, il est
de service. Puis on s’embrasse, obrigado, c’est parti.

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