Après-midi de découverte à travers les pistes de la région.

Nous découvrons tout d’abord, à travers les fenêtres du bus, les plantations de la région, en monoculture, organisées par les grands « propriétaires » terriens, les latifundistes.

Un champ de cannes à sucre d’abord, où des bus d’ouvriers mènent la machette. Jean-Claude, notre interprète, nous explique qu’ils sont recrutés à travers le pays par des « contremaîtres ». Ces derniers recrutent dans les coins les plus pauvres du pays, et sont rétribués au pourcentage de leurs salaires. C’est en fait un mode d’esclavage moderne. Nous apprenons que cette plantation est nouvelle. Le propriétaire, sentant le MST venir et probablement contraint de lâcher la terre qu’il n’exploite pas a organisé une plantation de canne, sur le tard, espérant gagner un peu de temps.

Nous traversons ensuite des plantations d’eucalyptus, de véritables forêts qui ne mettent que 4 ans à pousser. L’eucalyptus est utilisé pour sa cellulose, à des fins de fabrication du papier. Ces plantations sont dévastatrices pour les sols et très grandes consommatrices d’eau.

Nous marquons un léger arrêt devant une plantation d’orangers. C’est une grande propriété d’état, exploitée par un des plus grands producteurs de jus d’orange au monde. Les plantations sont grillagées, une barrière clos l’entrée des bâtiments de stockage, et, tenez vous bien, la police est là, pour assurer la sécurité du site. Les vigiles nous regardent d’un drôle d’air, sur la défensive. Jean-Claude nous explique que non seulement les policiers défendent les intérêts du site, mais ils surveillent également les mouvements, il s’agit d’anticiper sur une intervention possible du MST.

Nous arrivons enfin dans un assentamento. Dommage, personne pour nous accueillir, il semble que notre hôte ait dû gérer une urgence. Nous pouvons néanmoins visiter. Lega, le responsable régional du MST qui nous accompagne connaît bien le site qu’il accompagne depuis ses débuts. C’est une ancienne plantation d’eucalyptus qui a été rasée, il y a là une maison en dur, une parcelle de maraîchage qui ressemble davantage à un grand jardin, et, le comble, une petite parcelle replantée en… eucalyptus. Lega nous raconte le processus des assentamento. Après la prise de possession des terres par le MST et la création d’un acampamento, le gouvernement débloque des fonds sous forme de prêts permettant la création des premières infrastructures nécessaires et l’achet de matériels et de semences pour lancer les premières productions agricoles. Sur ce lieu, les productions maraîchères sont commercialisées en direction de crèches, d’un hôpital et de deux centres pénitenciers.

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photo2Pour être franc, nous sommes un peu sceptiques, interrogatifs. Le grand jardin que nous avons sous les yeux ne peut pas permettre cela. Et autour du jardin, 15 hectares de terre en jachère. Qu’on fait ces paysans depuis deux ans, date depuis laquelle ils sont légalement propriétaires ? Nous partons sans réponse à cette question.

Quinze minutes plus tard, nous arrivons non loin de là dans un acampamento. Des cabanes de bric et de broc, en bois de récupération et en bâche, ici et là. Une quarantaine de familles, je crois, se partagent le site. Nous ne sommes pas très à l’aise à l’arrivée, c’est un spectacle de désolation. Pour enfoncer le clou, une gelée, il y a 5 jours, a anéanti la totalité des petits jardins.

Nous entamons la discussion avec un ancien, arrivé là il y a environ deux ans, et venu de la ville. Petit à petit, c’est l’attroupement. Les gens sont accueillants, souriants, les enfants s’amusent avec quelques ballons de baudruche que François a tiré de sa poche.

Notre interprète pose une question osée : « si cela ne vous gêne pas, seriez vous d’accord pour nous faire visiter vos intérieurs ?». Nous voici donc à l’intérieur de ces cabanes de fortune. Nous rangeons les appareils photos, par respect, pour éviter le voyeurisme.

Nous finissons la visite dans la « cabane » d’une famille, presque une maison, celle-ci : montée avec des pieux d’eucalyptus, cimentée au sol, organisée autour de différentes pièces de vie, et avec une douche. Marrant, il y a même une télé. Elle ne peut pas fonctionner, il n’y a pas d’électricité, mais « mieux vaut anticiper » nous dit son « propriétaire ». Autour de la maison, des parcs avec jardin potager, porcs, volailles. Cette cabane dénote vraiment des autres, son propriétaire également. Il a fait le choix du retour à la terre via le MST, il vient de la ville mais est enfant de paysan, on le sent vraiment débrouillard, anticipateur, de l’or dans les mains. Il respire la joie et la confiance en l’avenir. Les choses ne peuvent que s’améliorer pour lui, il en est sûr. Dans deux ans, nous dit-il, il habitera dans une maison en dur et pourra regarder la finale de la coupe du monde à la maison, « France-Brésil » peut-être ? Il nous offre le café et un grand gâteau, il avait effectivement prévu de nous retenir un peu à la maison.

Ce soir, c’est la fête dans notre lieu d’hébergement. Les familles que nous avons visitées vont venir pour une fête culturelle. Elle nous a été préparée par Daniel, Fernanda, César, Martia, les coordinateurs de l’école Rosa Luxembours, où nous sommes hébergés. L’abri du repas a été décoré avec des guirlandes faites dans du papier journal, une grande casserole de grog local bien chaud a été préparée (Cachassa, eau, sucre, clous de girofle et gingembre), une autre de riz au lait. Nos hôtes ont apporté une sono, beaucoup se sont mis sur leur 31. Après quelques mots de présentation mutuelle et d’échange sur nos réalités, un feu de camp est allumé, le départ de la fête est donné.

On danse le forro, danse de couple assez serrée. On sent tout de suite que les brésiliens ont ça dans la peau, chacun se déhanche, tourne, change de partenaire… La soirée se poursuit une heure ou deux, mais à minuit, tout le monde regagne ses pénates, chacun à fort à faire demain matin.

Pierre