Ca y est, nous y sommes. Après un long voyage, nous sommes accueillis à l’aéroport par Jean Claude, notre interprète, que vous connaissez propablement si vous êtes des fidèles lecteurs de Faim Développement Magazine, presse du CCFD-Terre Solidaire à laquelle il participe régulièrement.
Notre première escale a lieu dans un centre d’hébergement du Mouvement des Sans Terre à Sao-Paolo, logé par une paroisse de quartier. Nous y rencontrons Joachim, responsable international du MST. Il nous propose un temps d’information sur la situation de son pays. Il insiste sur différents points, nous les reprenons peut-être un peu dans le désordre :
un continent sud américain marqué depuis 15 ou 20 ans par le néolibéralisme, et en crises sociales fortes,
une montée forte des mouvements sociaux populaires et l’émergence de pouvoirs progressistes, un peu partout : Argentine, Equateur, Bolivie, Paraguay, Nicaragua et bien entendu Brésil. Le système capitaliste est en crise, renforcé par la crise économique et financière aux Etats-Unis,
la position forte du Brésil sur le continent et dans l’ensemble des pays émergents (le BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – ¼ du territoire mondial, 42% de la population, 16% du PIB) qui devient un acteur de référence en Amérique du Sud et dans l’ensemble des pays du Sud. Cette situation créée des conflits d’intérêts forts entre Brésil et Etats-Unis notamment, son partenaire commercial historique. Le Brésil est aujourd’hui considéré comme la 7ème puissance économique mondiale, en matière de PIB. D’ici 2020, il prendra la position actuelle de la France. Son économie est avant tout agro-alimentaire,
une banque nationale de développement économique (BNDES), alimentée par les cotisations de retraites des travailleurs, fortement ancrée dans le système capitaliste, et gérant davantage de fonds que la banque mondiale. Elle permet entre autre de financer des grands projets de consortiums agro-industriels alimentaires à visée mondiale, dans un pays qui se positionne comme leader en matière de production et transformation alimentaire à l’échelle mondiale. Des logiques identiques sont conduites sur d’autres secteurs : énergie, minerais, communication… Depuis Lula, jamais le Brésil n’a connu si grandes et si fortes entreprises,
une balance extérieure excédentaire pour le continent du Sud, qui passe de 22 milliards de dollars en 2002 à 80 milliards en 2010.
Il marque ensuite un arrêt sur les contradictions qu’il repère :
8,5 millions de kilomètres carrés dont 360 millions d’hectares de SAU, disponibles à l’agriculture (200 millions sont consacrés à l’élevage extensif de bétail, avec une tête de bétail pour 10 hectares en moyenne – 60 millions sont consacrés aux cultures – 100 millions d’hectares ne sont pas exploitées), et donc un pays qui porte beaucoup de terres disponibles, et en même temps beaucoup de paysans sans terres,
1% des propriétaires détient 46% des terres (30 000 propriétaires disposent de plus de 150 millions d’hectares), et aucune réforme agraire mis en œuvre jusqu’à ce jour
150 millions de tonnes de céréales produites (riz, maïs, soja et haricots, principalement) et 40 millions d’habitants qui ne mangent pas à leur faim. 60% de cette production part à l’exportation, une grande part pour l’alimentation bétail des Etats-Unis, de l’Europe, d’Asie
80% de la population est urbaine, entassée pour une part dans les favelas, alors que tant de terres restant disponibles et non cultivées,
10 millions de personnes sans toit… et 10 millions de logements disponibles et inoccupés,
une violence rurale forte, 2580 assassinats de leaders syndicaux et agricoles depuis 1988 (mise en place de la constitution suite à la dictature militaire), 10% de commanditaires fait l’objet de poursuites judiciaires, 1% fait l’objet d’une condamnation à l’emprisonnement, 1/3 des condamnés est effectivement emprisonné… forte réalité d’impunité.
Il est évident qu’il est déçu de Lula. Probablement a-t-il crié sa joie et son espérance en 2002, mais la liesse est retombée, le pouvoir est au service des puissants et du capital. Quelle place pour les petits paysans là-dedans. Derrière lui, parce qu’il faut conserver et nourrir ses utopies, un tableau associant quelques grandes figures : Karl Marx, Louise Michel, le Che, et quelques autres icônes que je n’aurai pas forcément reconnu.
Il présente enfin le Mouvement des Sans Terres :
créé en 1984, dans un mouvement de lutte pour la démocratisation du pays et le développement d’une réforme agraire,
fortement appuyé par l’Eglise, dans le mouvement de la théologie de la libération et s’appuyant sur les communautés de base, et par la CUT, Centrale Unique des Travailleurs, mouvement syndical dont est issu Lula,
visant 3 objectifs : lutte pour l’accès à la terre, institution d’une réforme agraire, lutte pour une transformation sociale. La terre doit être productive, à visée sociale, respectant l’environnement,
ayant comme principale action l’occupation des terres non-cultivées. Les grands propriétaires et médias parlent, eux, d’invasion, alors même que la loi permet d’occuper, de cultiver et de revendiquer une terre disponible,
ayant accompagné et soutenu 300 000 familles depuis 1984 (14 millions de sans terres sont comptabilisés aujourd’hui
Pierre