Retour sur le week-end de randonnée-réflexion organisé mi-septembre par des bénévoles du CCFD-Terre Solidaire Rhône-Alpes : « Nature, société, comment repenser les rapports de domination pour changer le monde ? »

Cet automne, nous, Chloé, Claire et Nicolas, avions l’ambition de changer le monde ! Cela trottait dans nos têtes depuis quelques temps… L’envie de continuer à réfléchir collectivement, à la suite du forum bien vivre, à ce qu’est la richesse dans notre société. Qu’est-ce que bien vivre ? Voilà une bonne question, qui anime le monde de la pensée depuis des siècles ! Question qu’il est bon de remettre sur le métier régulièrement, à l’échelle de chacun.

De notre côté, nous avions en pilier de notre réflexion que, bien vivre, c’est vivre en bonne entente avec les autres. Être riche de relations épanouissantes. Nous avions cette intuition, et l’envie de la questionner, de la confronter à la réalité de la société. Et notamment, nous avions envie de questionner l’harmonie des relations hommes-femmes, ou, plus franchement, le déséquilibre grave qui maintient notre société dans un patriarcat pathologique. Pour ça, nous avons proposé un week-end de rando-réflexion, sur le thème suivant :

"Nature, société, comment repenser les rapports de domination pour changer le monde ?"

panneau_rando_Maxime_Boiteux.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

Nous avions envie de réfléchir aux déterminants communs des relations de domination de l’humain sur la nature et de l’homme sur la femme. Et nous avions envie de réfléchir à tout ça en marchant, dans un endroit aussi beau que possible.

Initialement prévu au printemps, le confinement nous a amené à organiser ce week-end de réflexion cet automne, à Méaudre, dans le Vercors. Cet extra de temps de préparation nous a été profitable pour creuser notre bibliographie. Nous avons, apparemment, beaucoup lu pendant le confinement ! Et en conséquence, un résultat positif de ce week-end aura été l’échanges de références* d’ouvrages sur les thèmes féministes, écoféministes, naturalistes… Des essais d’Angela Davis à ceux de Baptiste Morizot, des bandes dessinées, des podcasts, des articles, des films… Certains ont été présentés rapidement, nous avons lu des extraits d’autres, notamment lors de la soirée du samedi. La plupart était disponibles à la lecture sur la « table biblio », installée vendredi et à disposition pour la durée du week-end.

biblio_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Thomas Crémoux

Il faut sans doute expliciter la place de la « nature » dans la réflexion de ce week-end, car elle s’y est glissée par diverses interstices.

Le premier, peut-être le plus évident, c’est que nous avions, pour beaucoup, vécu assez difficilement le confinement, et l’envie d’être dehors était alors très forte. Ensuite, de façon assez partagée également, nous avions envie de nous retrouver dans un endroit beau. On pourra arguer que la beauté est subjective, mais, enfin, là, nous étions relativement tous d’accords : la forêt au-dessus de Méaudre est assez magnifique. De plus, être dehors permet certains outils, certaines animations…

belle_vue_Maxime_Boiteux.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

« Je me suis retrouvée au week-end avec l'envie de rencontrer du monde de façon conviviale car ras-le-bol de cette ambiance covid...et je sais que les week-end CCFD-Terre Solidaire sont en général remplis de bienveillance et d'énergie positive ». Boise

« Ce que je retiens en premier de ce week-end, ce sont l'écoute et la bienveillance de tout le groupe. Chacun peut apporter sa pierre à la réflexion, sans se sortir forcé de prendre la parole. Je parle en tant que personne qui se sent souvent mal à l'aise dans les activités de groupe. Ma plus forte prise de conscience est, je pense, que quand le dialogue ou l'action sont basés sur l'envie de participer, c'est beaucoup plus agréable et efficace. On peut faire une journée de marche et en vouloir encore ! ». Anne-Laure

Enfin, dernier argument ‘anthropocentrique’ pour aller dans la nature : la plupart d’entre nous s’y sentent mieux, et certains y réfléchissent mieux. Pour ce qui est de se sentir bien dans la nature, le fait commence à être démontré scientifiquement**. Pour ce qui est de la réflexion, et notamment de la discussion, une des raisons tient à ce que, lorsqu’on discute en marchant, la temporalité est altérée. La marche requiert sa part de souffle, a fortiori en montagne, et intervient donc dans le rythme des échanges. Point de silence gênant.

en_marchant_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

On a souvent plaisir à réfléchir en marchant, à pouvoir discuter sans que le flot de mots ne soit nécessairement continu. Prendre le temps de choisir, et ses pas, et ses mots. Les discussions ont d’ailleurs été riches et variées. Tantôt collective, tantôt en petits groupes, selon les dimensions des chemins. Tantôt serrant de près le thème du week-end, tantôt s’offrant une digression éclairante. Parmi les belles réussites du week-end, indéniablement, figurent ces discussions dans la nature.

« J'ai trouvé l'association de la randonnée avec le débat très ludique. En particulier, le débat mouvant, qui consistait à former des groupes en fonction de notre réponse à une question. Cette activité m'a beaucoup plue car elle permettait de visualiser les choses. Par exemple, à l'affirmation « Je n'ai jamais craint que ma tenue vestimentaire puisse m'attirer des ennuis en sortant. », je me rappelle que seule une femme est allée dans le groupe « Oui ». De plus, le cadre magnifique amenait à la contemplation et à la réflexion, pour se sentir plus apaisés en parlant d'un sujet qui me semble sensible ». Anne-Laure

Mais la nature n’était pas présente uniquement comme cadre et contexte ; elle occupait également une place centrale dans la réflexion et la construction de la dynamique du week-end. L’argument principal étant, nous l’avons déjà évoqué, qu’il y a des déterminants communs à la domination des humains sur la nature et à la domination des hommes sur les femmes. La réification*** étant peut-être l’un des déterminant les plus simples à observer.

pub_Dim_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Thomas Crémoux

Notre société occidentale nous amène à considérer trop souvent et la nature et les femmes comme des objets, et non plus des sujets. Si le problème est criant pour les femmes (pensons aux publicités… dont nous avions affiché une collection édifiante dans le gîte), et nous choque parfois, cela ne nous heurte pas vraiment pour la nature. Qui n’en est pas moins composée, fabriquée, habitée, d’êtres vivants. De sujets conscients.

Un des axes de l’animation de la randonnée du samedi était d’amener les participants à réaliser à quel point la nature qui nous entoure est emplie de vivant. Par divers petits détours attentionnels, de pousser chacun à porter son attention sur les traces des vivants avec qui nous partageons la « nature ». Qui était dédié aux lichens, qui aux crottes d’animaux, à la diversité des arbres, aux plantes et à leurs vertus…

zoom_fleur_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

Tant de petits signes qu’il est si facile d’ignorer, à côté desquels on passe sans même y prêter attention, mais qui traduisent la présence du vivant tout autour de nous. Ignorer ces signes, c’est ne plus voir la vie qui nous entoure, nous couper de ces relations. Et ne plus agir qu’en fonction de nos intérêts propres immédiats. Voilà l’exploitation, la domination.

Prendre le temps de réaliser cette dynamique.

Puis, tracer une parallèle avec la situation des femmes.

dans_les_fleurs_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

Saviez-vous que les symptômes d’infarctus sont légèrement différents entre hommes et femmes ? Saviez-vous que les crash test automobiles sont fait avec des mannequins conçus sur des standards masculins (1m77 et 76kg en moyenne), avec pour conséquence une surmortalité pour les femmes, à condition d’accident égales, de 17 % ? Pour ne prendre que deux exemples**** qui illustrent assez bien de petits faits si bien ignorés, et sans parler de violence sexiste ou sexuelle…

Bref, décentrer la question, prendre du recul. S’observer, parfois. Comme en haut de la première côte, qui fit un tri genré, immortalisé en photo.

en_ligne_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

Pour mieux replonger au cœur du sujet par la suite, lors des pauses, notamment dédiées à des débats mouvants. Êtes-vous capables de nommer 10 philosophes femmes ? Savez-vous où sont rangées les affaires des personnes avec qui vous vivez ? Le patriarcat est-il une conséquence du capitalisme (ou l’inverse) ? Cette dernière question***** nous a beaucoup animés lors de la fin de la randonnée !

« Par rapport au sujet du patriarcat et les inégalités homme/femme qu'il génère, je pense avoir avancé sur quelques réflexions. Je me sens un peu plus confortée pour revendiquer mes droits, et expliquer en quoi les inégalités ne sont pas encore abolies, même si c'est en marche. Dans ma vie de tous les jours, j'ai également pris de la distance avec des considérations telles que les tâches ménagères, que j'ai l'impression de m'infliger car j'aimerais que tout soit toujours propre et en ordre, même si mon conjoint y participe à part égale. Cela me porte à penser à la charge mentale, et à la pression que nous, les femmes, nous mettons pour toujours paraître parfaites (et, dans le cas échéant, la culpabilité que nous ressentons)». Anne-Laure

« Côté prise de conscience... j'évolue à mon rythme sur cette histoire de domination des enfants (car c'est pas évident de se remettre en question, quand on est le dominant...) Mais c'est la base, me semble-t-il, de toutes les dominations suivantes. » Boise

Après les constats et la réflexion, nous avons dédié une partie du dimanche à la recherche de perspectives d’actions, en revenant sur la question plus générale du bien vivre. Par exemple… Imaginer les avancées législatives de ces prochaines années sur les questions de genre ! Un congé paternité obligatoire et égal au congé maternité, en 2025 ou en 2035 ? Remboursement de la contraception masculine à 100 % par la sécu en 2050 ? Des sujets de militantisme précis et concrets.

Vint alors le temps de faire le bilan entre nous. Puis de nous dire au revoir…

« J'adore le fait que toutes les générations soient les bienvenues!! Ma mère s'est sentie bien acceptée et c'était chouette. Et la grande surprise c'était que mon fils, qui ne voulait pas venir, car il savait qu'il n'y aurait pas de gamins, s'est senti très bien avec tous les adultes présents (au point de partir randonner avec eux, sans moi...) et qu'il ne voulait plus repartir à Grenoble, à la fin!! ha ha ha! ». Boise

Prendre le temps d’être attentifs aux relations, à leur qualité. Autant avec les humains qu’avec les autres vivants. Cela aura sans doute été un des aspects réussi du week-end, depuis son organisation jusqu’à la séparation des troupes. Être attentif à chacun, accueillir tout le monde, s’adapter, laisser la place à chacun de s’impliquer, de participer à la hauteur souhaitée. Des repas partagés à la libre prise de parole, du choix d’itinéraire en passant par une participation libre. Et voilà la boucle du week-end bouclée, et notre intuition confirmée, mais enrichie : une de nos plus grandes richesses, ce sont les relations de qualité que l’on arrive à nouer et à entretenir.

debat_mouvant_BD.JPG, nov. 2020 Crédit photo : Maxime Boiteux

Alors pour ceux qui seraient intéressés, nous avons envie de continuer à nouer et entretenir. Peut-être cet hiver, pour une nuit en cabane en montagne, certainement au printemps pour un format plus confortable. Toujours en marchant, la marche rythmant les échanges, la nature les enrichissants.

Nicolas Monseu,

  • monseu.nicolas@gmail.com
  • bénévole en Isère, accompagnateur en montagne

.* la liste est disponible sur simple demande, d’autant qu’il s’agit d’une bibliographie participative, où chacun peut contribuer pour présenter un ouvrage.

.** voir par exemple : cerveau & psycho, n°110 mai 2019, ou bien Ernst Zürcher, « Les arbres, entre visibles et invisibles ».

.*** transformation effective d'un rapport social, d'une relation humaine en « chose », c'est-à-dire en système apparemment indépendant de ceux pour lesquels ce processus s'est effectué.

.**** tirés du livre de Victoire Tuaillon « les couilles sur la table », édition en livre des éléments structurants du travail qu’elle a effectué dans l’excellent podcast eponyme.

.***** Les autres questions ont été collectées et sont disponibles à la demande. Volontairement clivantes, elles ont surtout servis à amener les sujets dans les discussions.