La salle dans laquelle allait se dérouler la rencontre porte un nom fort à propos : Le Petit Prince. On doit notamment à ce conte une belle parabole, lorsque le petit prince arrive sur une planète habitée par un buveur.
- Pourquoi bois-tu ? lui demanda le petit prince.
- Pour oublier, répondit le buveur.
- Pour oublier quoi ? s'enquit le petit prince qui déjà le plaignait.
- Pour oublier que j'ai honte, avoua le buveur en baissant la tête.
- Honte de quoi ? s'informa le petit prince qui désirait le secourir.
- Honte de boire ! acheva le buveur qui s'enferma définitivement dans le silence.
Il s’agissait, pour nous aussi, de questionner l’existant – en l’occurrence, notre modèle de développement agricole – sans laisser celui-ci nous enfermer. Alors que la tenue des Etats Généraux de l’Alimentation laissait entrevoir la définition d’un nouveau cap à suivre, d’un nouveau « contrat social » à l’heure où l’exigence écologique et sociale se fait de plus en plus pressante, force est de constater que le projet de loi retenu déçoit par son manque d’ambition et laisse la part belle au statu quo. Trois intervenants ont décrypté pour nous le processus des EGA : Béatrice Molière, ingénieure agricole et diététicienne, Antoine Pariset, paysan et porte-parole de la Confédération Paysanne et Maureen Jorand, chargée de plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire. Leurs expertises, complémentaires, ont permis de saisir l’importance des enjeux dont il était question. Avec eux, nous sommes revenus sur les deux grands absents de ces Etats Généraux de l’Alimentation que sont la transition agricole et le soutien aux pays du sud.
La transition agricole, parce que « la main invisible n’est pas verte »
Alors que la Confédération Paysanne avait jugé satisfaisant le volontarisme du discours prononcé par Macron à Rungis), la loi présentée le 31 janvier déçoit par son modèle non contraignant et laisse les producteurs seuls dans une guerre commerciale contre les grands distributeurs. La transition agricole, pourtant, devient urgente. Antoine Pariset rappelle que « la main invisible n’est pas verte », et que c’est l’équivalent d’un département de terres agricoles qui disparait tous les sept ans. La France s’enferme ainsi dans une dépendance à l’importation, alors que la financiarisation de l’agriculture intensive pose directement les questions de souveraineté alimentaire et d’accaparement des terres. Des questions de plus en plus pressantes auxquelles n’ont malheureusement pas répondu les Etats Généraux de l’Alimentation.
La dimension internationale, le parent pauvre des annonces gouvernementales
Lors de la définition des EGA, le sujet de la sécurité alimentaire dans sa dimension internationale était complètement absent. Pourtant, la transition de nos modèles agricoles et alimentaires ne se résume pas à un débat franco-français. La France est le 9 ème pays accaparateur de terres dans le monde et, à l’heure où les Nations Unies nous rappellent que 815 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire et nutritionnelle, notre pays doit pouvoir porter une voix forte en faveur de l’agroécologie dans les pays du Sud. Cette incohérence, ainsi que la surreprésentation de certains acteurs dans les ateliers (les producteurs de biocarburants par exemple), ont amené le CCFD-Terre Solidaire et plusieurs associations à boycotter l’atelier 12 consacré à la sécurité alimentaire. Maureen Jorand note également que les questions de l’eau et du foncier ont été insuffisamment abordées dans les ateliers, tout comme celle de l’impact des pesticides qui n’a été que survolée.
Au terme des Etats Généraux de l’Alimentation, les conclusions semblent donc bien timorées. Alors que nous avions l’occasion d’engager une transition agricole forte en France tout en la soutenant à l’échelle internationale, le projet de loi ne propose aucune ligne à suivre dans ce sens, et ne s’empare pas de la question de la sécurité alimentaire. Les propositions ne manquaient pourtant pas : la Plateforme Citoyenne pour une Transition Agricole et Alimentaire, créée par les associations pour faire entendre leurs voix, en compte 63. Malheureusement, la France rate donc une occasion de «make our planet great again ». Parce que rappelons qu’à la différence du Petit Prince, nous ne pouvons guère la quitter pour une autre.
Cette conférence était organisée par le Réseau Agriculture Alimentation Santé, créé par le MRJC (Mouvement Rural de Jeunesse Chrétienne), le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement – Terre Solidaire et le CMR (Chrétiens dans le Monde Rural).
Près de 100 personnes étaient présentes. Les députés du Rhône ont tous été invités à participer à cette conférence. Nous remercions Éric Vincent, assistant parlementaire de Blandine Brocard, pour sa venue. Merci également au Maire de Belmont d’Azergues d’avoir mis à disposition la salle communale pour cette action citoyenne.
- Clément Ourgaud, bénévole, Coordinateur Plaidoyer Rhône