Mon volontariat sur le thème de la recherche-action participative m'a donné l'occasion de me rendre au Myanmar pour y rencontrer et y découvrir ce que font les partenaires du réseau Towards Organic Asia et du CCFD-Terre Solidaire: Metta Development Foundation et Kalayana Mitta Foundation (KMF).

Après quelques rencontres à Yangon pour faire connaissance avec les responsables des structures et discuter des projets en cours, je suis allée découvrir leurs actions dans les communautés.

J'ai commencé avec des membres de l'association Metta Development Foundation, une organisation de la société civile créée en 1999, qui compte aujourd'hui plus de 500 employés et qui développe une méthodologie basée sur la participation et le renforcement des capacités des communautés.

Ma mission étant focalisée sur les projets de recherche-action, je vais majoritairement vous présenter leurs projets dans ce domaine.

Metta Development Foundation a fait des recherches-action la base de la mise en place de ses projets de développement rural. Aujourd'hui, Metta souhaite développer cette approche en profondeur en créant un service uniquement dédié à la mise en place de projets de recherches-action participative dans une idée de renforcement et de mise en valeur des savoirs.

Je suis allée visiter une région du Myanmar, la région du Delta, au Sud-Ouest du pays où Metta développe depuis 2009 des projets appelés Farmers Field Schools (des écoles de terrain pour les agriculteurs). L'idée de ces projets est d'identifier dans les villages de la région des jeunes agriculteurs intéressés pour suivre une formation pour devenir « facilitateur de la communauté ». Cette formation de 4 mois et demi se déroule dans un des 3 centres de formation de l'association, elle comporte des volets techniques sur l'agriculture mais aussi des volets plus théoriques avec une introduction aux droits des agriculteurs et aux menaces auxquels ils font face. Ensuite, le facilitateur retourne dans sa communauté et invite les agriculteurs du village à participer à cette école de terrain. L'idée est d'apprendre en faisant, et c'est leur approche de la recherche-action, développer du savoir en expérimentant. Ainsi, pendant toute une saison qui dure 6 mois, dans un champ expérimental, les membres de l'école de terrain vont tester des méthodes de culture du riz différente, essayer d'identifier quelles variétés locales sont les plus efficaces, comprendre l'impact des produits qu'ils utilisent...

Quelques mots sur ce que j'ai compris de la situation de l'agriculture dans cette région peuvent être intéressants : La majorité des agriculteurs sont cultivateurs de riz, dans cette région du sud du pays, la mousson est forte et permet une bonne récolte et de bons rendements. Dans les années 80, des officiers du gouvernement se sont rendus dans les villages pour demander aux paysans de participer à l'effort collectif de production alimentaire et donc de faire deux récoltes de riz par an au lieu d'une seule. En effet, au Myanmar la culture du riz est pluviale, ce qui signifie qu'il n'y a pas de système d'irrigation qui inonde les champs, les paysans dépendent uniquement des pluies pour irriguer leurs champs, donc cultivent traditionnellement du riz pendant la saison des pluies. Pour avoir des rendements suffisants, les officiers du gouvernement ont proposé une boite à outils « miraculeuse » qui pouvaient leur permettre de produire du riz pendant la saison sèche. Cette boite à outil contient des semences (les semences locales n'étaient pas adaptées à la saison sèche), des intrants chimiques divers, engrais, pesticides, herbicides, fongicides dont les paysans avaient besoin pour cultiver ce nouveau riz.

Les paysans ont donc dû acheter ces intrants à l'offrant, et dans cette région du Myanmar, c'est le négociant en riz. Dans la mesure où les paysans n'avaient pas assez de liquide pour acheter ces intrants, ils ont du contracter des prêts, le négociant en riz peut justement en fournir, des prêts à 6 mois (la durée de la saison) avec de 5 % à 10 % de taux d'intérêt par mois. Une fois le riz récolté, le négociant tient encore le rôle central puisqu'il achète le riz. Au moment de la récolte, le prix est au plus bas mais les paysans n'ont d'autres choix que de vendre l'ensemble de la récolte puisque le prêt arrive à expiration et qu'il faut le rembourser. Ils ne gardent donc que rarement assez de riz pour leur propre consommation et devront l'acheter les mois suivants lorsque le prix sera au plus haut.

Cette spirale de l'endettement est une réalité au Myanmar et redonner le pouvoir aux paysans, leur permettre de conserver leurs semences locales demandant peu d'intrants, de réapprendre les techniques de culture locales, d'apprendre des nouvelles techniques écologiques, de s'organiser en créant des banques de semences, de donner de la vie aux communautés en gardant les jeunes au village...Autant d'initiatives qui se sont lancées dans les villages que nous avons visités.

J'ai ensuite mis le cap au Nord, vers la ville de Taungyi, toujours avec des salariés de Metta. Là encore, nous avons parcouru des villages et passé du temps à échanger avec les agriculteurs.

Dans la région de Taungyi, une région montagneuse, une seule récolte de riz par an est envisageable et les problématiques sont différentes. 

Dans de nombreux villages visités, les fermiers font pousser des feuilles de tabac. Cette production est assez ancienne dans la région puisque les feuilles de tabac sont utilisées pour faire les cigares locaux.

Il y a quelques années, des entreprises, internationales ou birmanes sont venues proposer aux paysans un package pour cultiver les feuilles de tabac. Elles fournissent au paysan les semences, les engrais et autres intrants chimiques à appliquer et des consignes pour la culture et l'entretien, on appelle cette méthode le "contract farming" en anglais. Selon les chercheurs et les organisations de la société civile, elle comporte de nombreux risques:

  • Bien souvent les entreprises proposent des cultures de rente et non des cultures de subsistance, les paysans vont donc cultiver uniquement des feuilles de tabac alors qu'avant cela n'était qu'une faible partie de leur surface cultivable et qu'ils cultivaient traditionnellement des céréales ou légumes pour se nourrir
  • Les paysans n'ont plus aucune décision à prendre sur leur ferme et leur plan de culture, tout est décidé par l'entreprise. Au fur et à mesure, les paysans deviennent dépendants du savoir venant du « haut », des agronomes de l'entreprise et les enfants de paysans n'apprennent par leurs parents puisque les parents ont le sentiment de ne plus détenir de savoirs
  • Les paysans n'étaient pas autorisés dans notre cas à mettre de la bouse de vache sur leur plantation par exemple parce que cela ne répondait pas au protocole de culture de l'entreprise, on pousse donc à la consommation d'engrais chimiques
  • Le paysan devient extrêmement dépendant économiquement de l'entreprise qui peut faire varier les prix comme elle l'entend, et si l'entreprise décide d'arrêter le tabac pour cultiver autre chose, le paysan n'a plus de moyen de subsistance

Là encore les projets développés par les villageois eux-mêmes après le développement de l'école de terrain pour agriculteur visent à développer des moyens de subsistance et d'auto suffisance dans le village permettant aux paysans d'être indépendants et de se nourrir.

J'ai continué mon voyage et redescendue la montagne vers la région de Nyaung Shwe et de son lac Inle bien connu désormais. Là-bas, j'y ai rencontré les membres de l'association Kalayana Mitta Foundation qui travaille sur la mobilisation et la formation de la jeunesse. Divers projets sont menés, des recherches-action, des formations, l'idée étant toujours que les jeunes agissent dans leur communauté.

Justement l'association cherche à développer une recherche-action sur la préservation des semences locales et notamment des tomates.

Avec le responsable, nous avons eu envie d'aller à la rencontre des paysans du lac pour comprendre leur situation.

Oui, étonnamment, on cultive sur ce lac. On cultive même des tomates, et les producteurs du lac sont les fournisseurs de tomates pour tout le pays. Il y a plusieurs dizaines d'années, des jardins flottants se sont créés naturellement. Ensuite, les habitants trouvant les terres fertiles ont déplacé ces jardins flottants au centre du lac et ont commencé à cultiver ces terres. Aujourd'hui, tout ou presque est recouvert par des plantations de tomates et les paysans se déplacent en barque entre leurs champs. Nous avons rencontré un paysan sur ce lac avec qui nous avons discuté.

Son histoire est très intéressante. Il a commencé les tomates il y a longtemps et ses parents cultivaient déjà des tomates. Ils sont deux membres de la famille à travailler quotidiennement dans les champs pour faire vivre les 8 autres membres de la famille élargie. Dans ces champs, il diffuse des pesticides, fongicides, engrais et molluscicides, en tout 9 produits différents. Tout vient de la même entreprise, une antenne birmane d'une entreprise singapourienne. Tous les ans, l'entreprise organise une réunion dans le village pour parler de ses produits, présenter les innovations, les nouvelles semences...

Selon lui, c'est dans les années 2000 que l'usage des intrants chimiques et des semences hybrides s'est généralisé sur le lac et que le nombre de paysans cultivant sur des jardins flottant s'est développé.

Ce qui est intéressant c'est comment ce paysan a adapté ses techniques de production à ces besoins. Selon lui, au début, il respectait la dose conseillée sur l'emballage, par la suite, il a une légère baisse des rendements et a décidé de mettre légèrement plus de principes actifs que la dose conseillée... Aujourd'hui, il utilise deux fois plus d'engrais que la dose recommandée sur les emballages. Certains principes actifs sont interdits ou subissent des restrictions à l'utilisation en Europe.

Malgré l'utilisation de tous ces produits, le paysan déplore l'augmentation du nombre d'insectes et la baisse de ses rendements, il considère que sa situation s'est empirée sur les 10 dernières années.

L'action de KMF dans ce contexte est principalement dédiée à la mise en valeur des connaissances et savoirs locaux. L'association va organiser une foire de la biodiversité en 2015 où elle va montrer la richesse du lac, la richesse des semences disponibles, les savoirs liés à l'agriculture, mais aussi les dangers liés à l'utilisation et à la commercialisation à outrance des intrants chimiques. Ce sont les jeunes bénévoles de cette association qui la font vivre et qui décident des actions à mener dans leur village, ce sont eux qui changeront la donne.