Par Denis (74),
…ça vient de mon enfance : rien que manger un bonbon était source de culpabilité parce qu’il fallait compter, à chaque séance de caté, le nombre d’efforts faits ou pas faits dans la semaine ! Ceux que j’avais faits, ça je m’en souvenais, mais ceux pas faits ?
Depuis, j’ai grandi un peu et après beaucoup d’efforts (des vrais, ceux-là !), je suis aujourd’hui délivré de cette culpabilité gluante et paralysante qu’on m’avait collé sur le moi avec ces histoires de bonbons et d’autres du même genre. Mais quand même, quand arrive le temps du carême, il me faut lutter encore contre le poids de l’enfance pour trouver des sujets de me réjouir. Alors je liste : cette période annonce la fin de l’hiver ; on voit sortir les pissenlits ; notre société ne l’entends pas mais nous sommes invités à ralentir, à prendre le temps de l’écoute ; si la pluie ne vient pas trop vite derrière le gel, le sol ne sera pas boueux quand on ira aux pissenlits ; les forsythias font la course d’un jardin à l’autre, à qui fleurira le premier ; ça me fait penser qu’il ne faut pas traîner pour cueillir les pissenlits ; les cyclistes reprennent du service ; si je traîne encore, les pissenlits seront en boutons ; la fin de semaine, les fenêtres sont ouvertes et on entend de la musique et les bruits du ménage ; c’est long à nettoyer, les pissenlits mais je vais m’y mettre …
Pourtant, j’aime pas non plus les
pissenlits : j’aime pas les cueillir, j’aime pas qu’ils poussent si vite,
j’aime pas les laver … mais au bout, quand je pose le saladier sur la table, il
y a des sourires, des joies secrètes, des joies qui viennent de l’enfance, qui se
révèlent et me donnent tellement de joie !
Non, non, ça n’est pas une récompense, c’est comme un cadeau que je me fais !
Ainsi, peu à peu, chaque année, cette joie redescend les étapes : partant de la table, elle a d’abord touché une à une les étapes de lavages successifs, puis le décrottage des souliers, les mains gelées et la goutte au nez, puis le passage des barbelés où on s’accroche un coup le dos, un coup la cheville, puis la patiente sélection de la taille du pissenlit : pas trop petit et pas trop gros, le tout en évitant les bouses …jusqu’à me faire espérer ce temps du carême au bout duquel une si grande joie s’annonce. Quel délice de s’y préparer, étape par étape, au rythme des jours, sans paresse et sans hâte, juste au rythme des pissenlits qui poussent.
Ni efforts ni privations :
cadeau, cadeau et encore cadeau. Sans calcul, sans attente ; chaque geste
de fraternité, chaque sourire, chaque action de grâce alimente un lac dont
l’eau a des vertus inconnues, que nous découvrirons à Pâques. Elle mettra sur
nos lèvres un sourire et dans nos cœurs une joie que nous ne connaissons pas. Elle
fera de nous des femmes et des hommes nouveaux.
Même si nous ne faisons rien, elle nous sera donnée mais c’est une telle joie
que de s’y préparer !