Le département de Huehuetenango, au nord-ouest du Guatemala, à la frontière du Mexique a été le théâtre lors de ces dernières semaines d’une recrudescence de violences liées aux conflits autour de projets, ou de mégaprojets, notamment hydroélectriques. Si le conflit se cristallise autour de ces projets, c’est entre autre car il existe le fort soupçon que ces infrastructures ne soient rien d’autre que le préalable nécessaire à l’implantation de mines (or, argent et autres métaux) et à l’extraction de pétrole dans la région et également car cela va à l’encontre d’un modèle de développement plus traditionnel et proche de la nature, en lien avec la spiritualité indigène.

Pour mémoire, rappelons que dans la dernière année, ce département a déjà été en prise avec ces problèmes. Les licences d’exploration et d’exploitation minière se comptent par plusieurs dizaines (54 sollicitudes de licences, et 36 déjà accordées pour un département de 7000 km²), tout comme 24 licences de barrage.

Ces projets se situent dans des zones à forte majorité indigène Maya (Q’anjob’al principalement), qui se sont exprimés en désaccord avec des projets à travers des consultations communautaires organisées de façon interne, quasiment unanimes à l’encontre de ces projets. Malgré cela, les entreprises en question (espagnoles pour ce qu’il s’agit des hydroélectriques, canadiennes pour les mines), appuyées par le gouvernement en place, ont continué leurs travaux préalables.

Ce sont donc des investissements qui se situent principalement dans le domaine extractif et qui causent des préjudices importants aux populations locales en termes de pollution, de santé, qui laissent très peu de redevances sur place et ne paient quasiment pas d’impôts. La proposition du gouvernement que les entreprises hydroélectriques laissent 0.5% de leurs bénéfices à la commune pour pouvoir réaliser des « projets de développement », proposition rejetée par les entreprises, est révélatrice de cet état de fait. La production est systématiquement exportée (afin de produire la valeur ajoutée dans les pays du « Nord »), et dans le cas de l’énergie, acheminée vers les grandes villes ou utilisées pour des projets extractifs. Les populations locales vivent donc les impacts négatifs de ces investissements sur leur territoire, sans percevoir de bénéfices ou d’améliorations dans leur quotidien. De plus, la concurrence internationale qui existe pour « bénéficier » de ces projets conduit le Guatemala comme ses voisins à limiter, voire à retirer l’imposition de ces entreprises (le Guatemala a été qualifié de paradis fiscal par la France en mai 2013), et à ne pas améliorer leurs normes en termes environnementales et sociales.

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L’installation de ces entreprises se déroule d’une façon connue et répétée dans l’ensemble du continent latino-américain : pressions pour vendre les terrains, achat de bonnes volontés, menaces, criminalisation du mouvement social… Rappelons que seulement en ce qui concerne ces communes du nord du Guatemala, ce conflit s’est déjà soldé par la déclaration d’un état de siège dans la commune de Barillas en mai 2012, ainsi que deux morts, l’un le 1er mai 2012 (Andrés Francisco) et l’autre le 16 avril 2013 (Daniel Pedro), dont le corps a été retrouvé 9 jours après son enlèvement, en présentant des signes manifestes de torture, ainsi que l’arrestation et incarcération arbitraire d’au moins dix leaders communautaires. En ce qu’il s’agit des assassinats, le premier a été jugé en septembre. Sur les deux suspects, le premier a été relaxé et le deuxième a été condamné à cinq ans de prison. Le deuxième assassinat n’est toujours pas résolu. Encore une fois, cela n’est pas spécifique à cette région, puisque les deux enfants d’un leader communautaire, ont été assassinées en août 2013 par un garde de sécurité d’une entreprise hydroélectrique dans l’est du pays en août, et différents types de projets et de mégaprojets rendent la situation guatémaltèque extrêmement conflictuelle, en ce qu’ils se prévoient sans aucune consultation des populations et en dépit de leurs intérêts : c’est le cas pour l’extraction de pétrole dans la région de l’Ixcan et du Petén, pour les accaparations de terre liées à la production de palme africaine, l’extraction de matières premières pour l’élaboration du ciment, le projet d’autoroute « Frange Transversale du Nord », le canal sec dans le sud du pays, et les nombreuses mines présentes sur l’ensemble du territoire. Cependant, le nord de Huehuetenango, reste un point particulièrement aigu de conflit à l’intérieur du pays.

 En effet, le nord de Huehuetenango, dans les dernières semaines a sans conteste connu une recrudescence de la violence qui l’habite. Le premier épisode a eu lieu dans la commune de San Mateo Ixtatan la dernière semaine d’août 2013. Le gouverneur s’étant rendu dans une localité de la commune afin de célébrer l’inauguration d’un projet hydroélectrique, les habitants d’une autre localité se sont rendus sur place, et des affrontements ont eu lieu entre habitants. En effet, l’achat de bonnes volontés, a aisément permis la division des communautés, entre communautés subissant un préjudice, et les autres percevant un bénéfice, c’est-à-dire généralement entre communautés de plaine et d’altitude. Les témoins qui nous ont relaté ces faits ont souligné la violence particulièrement ciblées envers les femmes (7 blessées pour 4 hommes atteints, malgré une présence féminine traditionnellement réduite dans l’espace publique), ainsi que la violence des autorités traditionnelles indigènes, qui ont frappé les manifestants avec leur « vara », c’est-à-dire l’instrument honorifique qui les distingue du reste de la population. Cela montre la dangerosité de ce type de conflit pour le tissu social local, déjà mis à l’épreuve par le conflit armé, la violence quotidienne, les flux migratoires continus vers les Etats-Unis et l’extrême pauvreté. En outre, il parait important de signaler que ces entreprises s’appuient sur ces divisions pré-existantes, notamment avec l’emploi d’ex-PAC comme « gardes de sécurité » plus ou moins officiels, qui terrorisent la population (les PAC – Patrouille d’Autodéfense Civile – ont été l’instrument du régime jusqu’en 1996 pour implanter un fonctionnement militaire jusque dans les communautés paysannes et indigènes, en obligeant les hommes d’âge adulte à participer à des gardes afin d’éliminer tout élément subversif ou perçu comme tel, et ce en introduisant armes, impunité et extrême violence au sein des communautés).

Parallèlement, deux leaders communautaires (Saul Mendez et Rogelio Velasquez) ont été à nouveau arrêtés alors qu’ils allaient signer un registre policier après avoir été incarcérés pendant huit mois, puis libérés. Ils sont cette fois inculpés de lynchage (un phénomène très répandu dans la région), cependant, il est vraisemblable que le dossier juridique soit un montage au vu des pièces du dossier, principalement une photo floue de dos des deux suspects…

Les différentes tables de négociation mises en place par le gouvernement ont jusqu’à cette semaine été vaines, car les autorités ne s’y sont pas rendues. En cela, le dialogue mis en place le mardi 8 octobre présente une réelle avancée, même si aucune solution n’a pour l’instant été trouvée.

Cependant, c’est l’arrestation samedi 31 septembre d’un leader communautaire (Mynor Lopez), qui a entraîné l’enchaînement de la semaine dernière. Il a tout d’abord été arrêté (pour incitation à la manifestation) en violation manifeste de tous ses droits : aucune notification de son ordre d’arrestation ni de ses chefs d’inculpation, avec un pistolet sur la tempe en pleine rue, pieds et poings liés, et jetés dans un pickup puis dans un hélicoptère… Le procureur des droits de l’Homme a lui-même émis l’hypothèse qu’il s’agirait d’une arrestation illégale.

A partir de là, il semble que les leaders communautaires aient été dans l’impossibilité ou l’incapacité de canaliser les bases sociales, ce qui a dégénéré en émeutes. Des forces de la police ont immédiatement accourues de l’ensemble du pays, dans des proportions manifestement assez disproportionnées (augmentation de 500 hommes présents sur la commune, hélicoptères faisant des rondes au-dessus de la ville, usage massif de bombes lacrymogènes et d’arme à balles réelles pour réprimer les manifestations). Outre plusieurs blessés de la société civile, un policier est décédé, sans qu’il soit clair qu’il s’agisse d’une blessure par balle ou du mauvais usage d’une bombe lacrymogène.

Ces évènements se sont poursuivis pendant plusieurs jours (jusqu’au mardi 1er environ). Le ministre du gouvernement a menacé d’expulsion tout étranger étant entré sur le territoire en tant que touriste et se trouvant aux abords d’une manifestation.

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Dans ce contexte, il est à noter que le mouvement social, ou la société civile locale, présente une série de caractéristiques qu’il est bon de décrire. Il a été impulsé et consolidé par le processus de consultations communautaires, amorcé en 2006, qui a permis une participation politique importante de personnes qui participent habituellement relativement peu, notamment les femmes. De cette façon, les personnes ont pu s’exprimer sur leurs désirs face au modèle de développement mis en place, et ils l’ont majoritairement fait en votant « Non » aux projets hydroélectriques et miniers. Se faisant, les habitants de ces régions ont ravivé une forme de décision communautaire traditionnelle (par assemblée et consensus), tout en faisant valoir les droits qui leur sont reconnus par les Conventions Internationales (n°169 de l’OIT et Déclaration sur les Droits des Peuples Indigènes de l’ONU).  

Cependant, la société civile est également traversée par une série de divisions, qui la rend extrêmement vulnérable aux évènements tels que ceux des derniers jours. En effet, si lors de la consultation de 2007 à Santa Cruz Barillas, les habitants se sont opposés au projet hydroélectrique, il est clair que la situation est aujourd’hui bien plus complexe. Les manœuvres de l’entreprise, via notamment l’achat de bonnes volontés, l’intimidation, la criminalisation du mouvement social, etc… ont conduit à une division telle que les affrontements se sont plus déroulés entre habitants qu’entre les habitants et les forces de police. Ces divisions sont ethniques, historiques, politiques, partisanes, religieuses… De plus, dans ce contexte de violence, les mouvements sociaux cultivent le « secret », les ateliers de sécurité destinés aux leaders sociaux, etc… dont il n’est pas possible de nier l’utilité, mais qui contribuent également à la fermeture de ces mouvements, et donc à l’accroissement des divisions entre citoyens.

L’Eglise Catholique, en la personne de l’évêque de Huehuetenango, Mgr Ramazzini, qui était jusqu’à maintenant une force de médiation, voit son rôle assez contesté par la société civile de la région. En effet, son action est perçue comme peu efficace et trop modérée, ce qui, pour ses détracteurs, conforterait les tenants de l'hydroélectricité.

Dans ce contexte, il semble que les enjeux pour la solidarité internationale soient de deux ordres. D’une part, renforcer les efforts sur la consolidation de l’Etat de Droit, et sur les questions de mémoire, qui restent des questions fondamentales. En effet, ce conflit ravive les oppositions du conflit armé guatémaltèque, les leaders sociaux se référant à telle ou telle personne selon son rôle dans le conflit armé, et le liant directement avec son rôle dans le conflit actuel. Il est un impératif majeur que les entreprises n’exploitent pas ses blessures sociales, par exemple en employant d’ex-PAC pour terroriser les leaders sociaux, et cela ne sera possible qu’après un réel travail de justice et de mémoire, qui permette de « guérir » le tissu social, et donc de résoudre des conflits selon une autre modalité que celle de la violence. En outre, il est important que les organisations de solidarité internationale continuent de dénoncer ces situations de violence extrême.