Par Hugo (07 et MRJC),

Au Mexique, dans la région du Chiapas, des "ciudades rurales sustentables" (des villes rurales dites soutenables) apparaissent dans le paysage. Derrière cet oxymore, récit d'une découverte d'un projet de développement conforme aux objectifs du millénaire fixé par l'ONU. Cet article est paru initialement dans le numéro 421 du journal Transrural initiatives

DSCN0494.JPG

9 Août, Mexique, région du Chiapas. Arrivé sous la pluie  à Santiago el Pinar, situé à une heure de route de la très touristique ville de San Cristobal de Las Casas, un représentant du gouvernement du Chiapas nous attend pour une présentation des "ciudades rurales sustentables" . Dès notre arrivée sur les lieux de ce projet, nous en avons un premier aperçu : le nom du lieu trône sur un grand mur blanc, derrière, nous apercevons sur les flans d'une coline une mosaïque de couleurs, constituée par des "petits baraquements" alignés.

Construite en 2011 pour reloger des populations indigènes, le représentant gouvernemental nous explique les raisons et les objectifs de ce projet :"Inscrit dans le cadre des objectifs du millénaire pour le développement, la mise en place des ciudades rurales par l'état du Chiapas vise à résoudre les problèmes de pauvreté des populations indigènes. En particulier, il s'agit d'apporter une réponse aux problèmes de dispersion  des communautés indigènes et à leur éloignement des principaux services (eau, électricité, santé, commerces, école, travail), mais aussi de leur offrir sur place un emploi digne et rémunérateur".Il s'agit aussi pour le gouvernement du Chiapas de rationnaliser les coûts, argument supplémentaire dans la concentration de la population au plus près des services. Il ajoute que "les zones occupées aujourd'hui par beaucoup de population indigènes comportent des risques naturels susceptibles de mettre en danger la vie de ces populations". Dans ce contexte et fort de ses arguments, la politique du Chiapas vise à reloger les communautés indigènes dans des villes créées de toutes pièces, composées de logements et de nombreux services pensés, d'après le représentant gouvernemental, "en concertation avec les communautés". Les explications se poursuivent sous une galerie couverte où s'alignent plusieurs magasins, tous fermés ce jour là. "Nous mettons à disposition des populations des maisons d'environ 30m2, sur une parcelle de 300m2 pour que les populations puissent cultiver leur lopin de terre", complète-t-il. "La proposition est faite aux familles indigènes déplacées de venir s'installer dans ces maisons, que nous offrons gratuitement."

Notre visite guidée, nous mène ensuite au cœur de cette ville nouvelle. Nous y  découvrons des logements colorés, mais pour beaucoup déjà délabrés. De petits bungalows composés d'une salle principale, d'une salle de bain et de deux chambres, dont les murs aussi fin que du papier à cigarette laissent présager de la pérennité de l'habitat. En plus de ces maisonnettes, l'homme nous présente une coopérative de café, une cafétéria, une usine de vélos, un élevage de poules pondeuses et pour terminer la visite, un hôpital flambant neuf avec un personnel hospitalier nombreux et également une école, pour "couvrir les besoins des populations les plus vulnérables que sont les femmes et les enfants". 

maison_t_a-_moin.JPG

Mais devant  tous ces équipements, devant ces maisons, une réalité nous frappe : aucun habitant.    Pas un seul des potentiels bénéficiaires de tous ces services n'est là, pour les utiliser ou pour en témoigner. Face à nos interrogations, le représentant du gouvernement explique "qu'à cause de la pluie les gens ne se déplacent pas" et que "le projet est encore dans une phase de lancement".

En amont de cette visite, nous rencontrions l'association Frayba1 et Red por la Paz2, dans le cadre d'un voyage d'immersion organisé par le CCFD-Terre Solidaire.   Ces deux associations portent un regard critique sur cette initiative gouvernementale et ont mené un travail de recension des violations des droits de l'homme dans le cadre de ce projet. L'un de leur représentant expliquait notamment que "la plupart des populations indigènes n'ont pas été consultés dans le cadre de ce projet", soulignant notamment "l'existence de pressions auprès des populations locales pour les inciter à se déplacer". Il ajoute par ailleurs "la suppression des services publics dans les communautés" et la violation du droit à la libre détermination de son lieu d'habitation dans le cadre de la mise en place de ce projet.

VOYAGE_IMMERSION_aout_2012_263.JPG


Ce type de projet se développe de plus en plus en Méso-Amérique et en Amérique Latine; au Mexique, deux "ciudades rurales" ont déjà été construites tandis que d'autres sont en projet. Questionnant le modèle de développement aujourd'hui prôné et financé par quelques-une des grandes institutions, dont l'ONU, resterait à savoir, si, plus proche de nous, nos logiques urbanistiques et les oubliés "villages dortoirs" ne doivent pas, eux aussi, réinterroger notre développement.