Par Andrée (26)
Du 4 au 7 juillet 2012, le CRID a investi pendant 4 jours l’INSA de Lyon, ses amphis, ses pelouses.
Plus de mille personnes ont participé à la 7ème Université d’été de la Solidarité Internationale.
Fourmilière géante, découvertes, retrouvailles, rencontres inattendues, des centaines de militants, d’institutionnels, d’acteurs de la solidarité internationale, se sont croisés, recroisés, ont réfléchi ensemble, ont débattu sur les thèmes majeurs qui détermineront la qualité de notre avenir, et celui de nos enfants.
Entre deux averses, entre deux grands rayons de soleil, des groupes se formaient, se serraient sous les barnums, s’étalaient dans l’herbe, l’atmosphère était foisonnante d’idées, de bonne humeur et de fortes interrogations. Les amphis et les salles étaient pleins.
L’utopie en marche était parmi nous !
Cette année, il y a eu plus de 1000 participant-e-s, 41 intervenants du "sud" et 20 nationalités différentes représentées. L’Université d’été a proposé plus de 100 heures de formation et 60 heures de débats, des centaines de questions ont émergé, et surtout de nombreuses pistes et propositions concrètes ont émané des groupes de travail.
La Solidarité Internationale, ses implications, ses remises en question.
Lors de la séance d’ouverture, Geneviève Azam, économiste et membre du Conseil Scientifique d’ATTAC France, a suggéré quelques pistes, certes dérangeantes, mais d’une certaine façon « recadrantes » quant à notre façon d’envisager la Solidarité Internationale, et surtout de prendre en compte, sincèrement, toutes ses implications, pour nous, occidentaux.
Ainsi Geneviève Azam réfute le terme « développement » et propose de le remplacer par « société ». Nous aurions donc à mettre en place un nouveau langage, une nouvelle approche, et des modèles de société nouveaux, et cela de façon urgente, car nous savons maintenant que si nous poursuivons sur la lancée actuelle, nous allons collectivement à la catastrophe.
Soumettre la nature ?
Le terme « économie verte » sonne très bien aux esprits, nous sommes en train de passer d’une économie « brune » (pétrole, charbon) à une économie verte, qui nous amène à soumettre la nature au temps économique et à ses contraintes, donc à une inéluctable surexploitation si nous ne ré-interrogeons pas les modèles sous-jacents en action, au Sud comme au Nord.
Pour G. Azam, une répartition plus équitable des richesses est certes indispensable, mais il faudrait ne plus penser en termes de modèles, plutôt en termes de processus, de transition. Il peut y avoir des arrêts, des marches arrière. Les contradictions qui apparaîtront sont nécessaires et permettront d’avancer vers la transition écologique et sociale, si nous en avons la volonté.
Fausses richesses
La notion même de richesse est à interroger : par exemple, est-ce que l’uranium est une richesse pour le Niger ? Il y a des richesses empoisonnées, le Niger ne sera jamais, (ou dans si longtemps…) en mesure d’utiliser l’uranium qui est sur son territoire, par contre les pollutions induites, la perte de biodiversité, engendrent des irréversibilités définitives et graves de conséquences à long terme.
L’avantage de la crise actuelle serait de nous aider à prendre de nouvelles directions, de nouvelles décisions, car nous arrivons au bout de nos ressources, et nous devons bifurquer. Dans la guerre économique avec le Brésil et la Chine, d’après Geneviève Azam, l’Europe a déjà perdu et à Rio « elle a pesé pour zéro » ! Pourtant l’Europe peut redevenir une voix crédible si elle réussit sa transition.
Les ateliers et animations co-organisés par le CCFD
De très nombreux ateliers et modules étaient proposés par le CCFD, soit en responsabilité directe, soit en co-animation.
- Investir l’espace public : à partir de l’exemple des luttes démocratiques qui ont traversé le monde au printemps 2012, comment s’organiser et coopérer, mobiliser et médiatiser, occuper l’espace public, avec un très bel exemple d’investissement (bruyant et efficace) le vendredi en fin de matinée !
- Economie Sociale et Solidaire : s’associer, mutualiser, coopérer, partager les expériences au Nord comme au Sud.
- L’Education au Développement ici et là-bas : découvertes de pratiques, freins et leviers au changement, réinventer l’EAD de demain et travailler le lien entre les pratiques et le sens politique de l’EAD.
- « De quoi sommes-nous riches ? » Réflexion sur la notion de bien-être et de richesse, sur les indicateurs alternatifs pour penser le bien-être, en Asie, en Amérique latine, en France. Passer du « beaucoup posséder » au « bien vivre ».
- « Françafrique » : état des lieux, point sur les actions de plaidoyer et sur l’efficacité des actions menées depuis 5 ans, et prospective sur de nouvelles stratégies d’action.
- Le commerce équitable peut-il être un outil de transformation sociale ? Il est en tout cas une histoire de partenariat.
- Accaparement des terres agricoles, détaillé plus bas.
- Paradis fiscaux : notre économie est construite sur un système opaque et parallèle contre lequel chaque citoyen peut lutter, à sa façon et à sa mesure.
De nombreux autres thèmes étaient encore proposés à la réflexion, le choix était large et ouvrait de larges perspectives sur le monde, ses problèmes et ses voies d’espoir.
Atelier-débat 19 : Mainmise sur les terres agricoles ?
« Agriculture : des investissements contre les droits ? » a posé la question de l’accaparement des terres agricoles, et de la nécessité absolue d’imposer une régulation.
Cet atelier était mené par deux intervenants du CCFD national, Maureen Jorand, chargée des plaidoyers « Souveraineté alimentaire » et Antonio Manganella.
La France n’échappe pas au phénomène de raréfaction des terres agricoles. Ici c’est la bétonisation et le mitage, là-bas c’est la spéculation financière sans freins. La France perd en surface de terres cultivables l’équivalent d’un département tous les 10 ans.
Dans les pays du Sud, les baux ont une durée (99 ans) qui ne permettra jamais la récupération des terres par les locaux, ils sont établis en violation totale des droits de propriété et d’usage, et amènent une dégradation rapide de la sécurité alimentaire et des conditions de vie des populations locales.
Qui achète des terres agricoles ?
Les pays acheteurs de terres sont nombreux, en majorité des pays peuplés et/ou riches, ou qui n’ont pas assez de terres cultivables, et qui souhaitent « sécuriser » leurs approvisionnements, tels la Corée du Sud, la Chine, l’Arabie Saoudite, les émirats arabes, le Japon, l’Egypte, la Libye, le Soudan.
La plupart des organismes internationaux (FMI, FAO, Banque Mondiale) incite les investisseurs à acheter en Afrique, poussent les états à louer leurs terres pour avoir des revenus, voyant dans ces opérations des échanges « gagnant-gagnant » !
Or l’agriculture qui va être pratiquée est toujours intensive, et ne laisse aucune place aux cultures vivrières et médicinales ancestrales, à l’élevage extensif traditionnel.
De plus, quelques uns, parmi les millions d’hectares ainsi monopolisés dans le monde, vont alimenter nos moteurs, par le biais des si mal nommés « biocarburants ».
Quelques réactions exemplaires
Dans les pays du Sud, face à cette situation, les organisations paysannes se multiplient, les ONG réagissent, les populations locales prennent conscience de l’ampleur de leur dépossession.
Des stratégies se mettent en place, des méthodologies d’action voient le jour:
- agir sur la société civile, contester la légitimité des projets et le faire savoir,
- déterminer des leviers locaux, nationaux, juridiques,
- agir sur les organismes internationaux, qui commencent à se rendre compte que le processus n’est pas aussi transparent, ni aussi vertueux qu’ils le croyaient,
- travailler sur les droits, sur les politiques publiques, créer des « cliniques juridiques », par et pour les populations locales.
L’ONU elle-même vient de publier 3 principes à l’intention des transnationales pour prévenir les atteintes aux droits de l’homme : protéger, respecter, réparer.
Le droit à l’alimentation est en tout cas mis en valeur dans sa résolution, et c’est une première avancée. Mais la société civile ne doit pas baisser les bras, ce sont les ONG, les regroupements de paysans, des sans-terre, qui vont permettre que les droits fondamentaux à la terre soient reconnus, qui vont encourager les gouvernements hésitants à adopter une position répulsive pour les investisseurs.
Pour aller plus loin
En France, via Internet, le « collectif citoyen contre les accaparements de terres » propose des liens avec les ONG qui luttent contre ce phénomène, et permet à chaque citoyen de se renseigner, et de rejoindre les actions engagées. En ajoutant l’entrée « CCFD » on trouve des documents extrêmement détaillés et complets.
Le site « Alimenterre » offre, du 15 octobre au 30 novembre 2012, le visionnage gratuit, sur son site, de 7 films documentaires, à l’occasion de son 6ème festival : Planète à vendre, La era des buen vivir (indiens Mayas), La face cachée des agrocarburants, Les moissons du futur, Les défis du guarana, Pillage des ressources naturelles :qui possède la vie ?, Riz du Bénin, riz de demain.
En conclusion,
Mobilisation et implication généralisées, origines, cultures, nationalités, âges et professions mélangés, ce fut un melting pot enthousiasmant, un échange de pratiques, d’expériences, de réponses concrètes, qui a permis à chacun d’envisager ou d’élaborer de nouvelles approches, de construire un nouveau regard, de nouvelles méthodologies d’action.
Globalement,les orientations fortes qui se sont dessinées pendant cette Université d’été du CRID nous encouragent à regarder ce qui est en train de naître dans les pays du Sud, souvent plus en avance, à prendre conscience des liens local/national/mondial, à interroger la notion de biens publics et l’utilisation que nous en faisons.
Chacun est reparti avec en tête la citation attribuée à Victor Hugo « l’utopie d’aujourd’hui est la réalité de demain. », tant les pistes d’espoir étaient nombreuses et les exemples concrets encourageants. Mais il est vrai que nous n’avons pas de temps à perdre !