Les assassinats commis dans la basilique Notre-Dame de l’Assomption à Nice ont été suivis d’une avalanche de courriels auxquels mon ami Jean-Jacques Barla a répondu le 4 novembre : « Chères sœurs, chers frères en Humanité, Chères sœurs, chers frères en Dieu, En qualité de Délégué pour les Relations avec les Musulmans du diocèse de Nice, j’ai eu le privilège de découvrir sur cette seule boîte mail, près de 300 messages en moins de deux jours, de personnes de confessions musulmanes de tous horizons : résidents des quatre coins de France, des Français musulmans expatriés et des musulmans de pays tiers. Avant de vous répondre j’ai souhaité prendre connaissance du contenu de chaque message. Je les ai reçus comme un immense bouquet de fleurs, comme un cadeau approprié, empreint d’une grande sincérité et compassion, au cœur même de l’innommable et d’une souffrance que ressentent aujourd’hui les catholiques de Nice. Le nombre et le contenu de vos messages spontanés de condoléance, de soutien, de solidarité, de fraternité, de condamnations sans concession de ces actes, feront taire tous ceux qui pensent que les musulmans ne réagissent pas suffisamment lorsque des actes d’une telle ignominie sont commis à l’encontre de chrétiens. Vous nous rappelez des passages coraniques ou des paroles de votre Prophète Mohammed sur lesquels vous forgez votre Foi au Dieu Unique qui vous incitent à entretenir des relations de fraternité avec « les gens du Livre » auxquels vous associez les chrétiens Vos nombreuses exhortations au pardon font écho, entre autres, à ce passage du Nouveau Testament : Ro 12, 14-21) : « Bénissez ceux qui vous persécutent, bénissez et ne maudissez pas. Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent ; pleurez avec ceux qui pleurent. Ne rendez à personne le mal pour le mal. Ne te laisse pas vaincre par le mal, mais surmonte le mal par le bien. » Ce passage décisif invite ainsi les chrétiens à déposer leur colère au pied de la Croix du Christ pour la remettre au Père et ainsi s’en libérer. Aujourd’hui vous pleurez avec nous parce que nous pleurons, comme le dit saint Paul. Merci ! Puissent des jours nouveaux nous permettre de nous réjouir les uns les autres, les uns avec les autres, les uns pour les autres et réciproquement, par le déploiement de vrais liens fraternels qui nous unissent déjà par nature. Bien fraternellement à tous. »

Racines chrétiennes de la France

Abdelkader Sadouni, imam à Nice, m’a dit combien il était émerveillé de constater que, dans toutes les réactions vues et entendues, il n’y avait pas de haine ; il attribuait ce constat aux racines chrétiennes de la France. En y repensant, je mesure combien le concept de Fraternité, inséré par la devise de notre République et réaffirmé par le Conseil d’État suite à la démarche des avocats groupés autour de Cédric Herrou, est lié à celui de la Paternité de Dieu, comme le relate saint Matthieu citant Jésus : « Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère » (Mt 12,50). Ainsi l’exprimait Christian de Chergé : « Le Verbe s’est fait frère ».

Ce point est également évoqué dans le communiqué du collectif JIVEP Nice (Journée Internationale du Vivre Ensemble en Paix), où nous avons lancé un Appel à tous les Niçois pour rester unis : « Nous sommes TOUS concernés car notre unité est menacée. Avant d’être membres d'une communauté, nous sommes fondamentalement des êtres humains, vivants sur une même planète, qui tous aspirent à la paix. Nous devons rester unis et ne pas nous laisser abuser par tous les discours qui cherchent à nous diviser. Le principe républicain de FRATERNITÉ n’est pas un vain mot : dans cette situation de crise, nous devons nous rappeler que nous sommes tous frères et sœurs et que le dommage causé à un seul d'entre nous est un dommage causé à TOUS. »

Document sur la Fraternité humaine

Le Document sur la Fraternité humaine, signé conjointement par le pape François et Ahmad Al-Tayyeb, Grand Imam d’Al-Azhar, est un évènement majeur dont la fécondité dépasse déjà les relations entre chrétiens et musulmans. En voici des extraits : « Au nom de Dieu qui a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux, pour peupler la terre et y répandre les valeurs du bien, de la charité et de la paix. Au nom de la « fraternité humaine » qui embrasse tous les hommes, les unit et les rend égaux. Au nom de cette fraternité déchirée par les politiques d’intégrisme et de division, et par les systèmes de profit effréné et par les tendances idéologiques haineuses, qui manipulent les actions et les destins des hommes. De même nous déclarons – fermement – que les religions n’incitent jamais à la guerre et ne sollicitent pas des sentiments de haine, d’hostilité, d’extrémisme, ni n’invitent à la violence ou à l’effusion de sang. Ces malheurs sont le fruit de la déviation des enseignements religieux, de l’usage politique des religions et aussi des interprétations de groupes d’hommes de religion qui ont abusé – à certaines phases de l’histoire – de l’influence du sentiment religieux sur les cœurs des hommes pour les conduire à accomplir ce qui n’a rien à voir avec la vérité de la religion, à des fins politiques et économiques mondaines et aveugles. C’est pourquoi nous demandons à tous de cesser d’instrumentaliser les religions pour inciter à la haine, à la violence, à l’extrémisme et au fanatisme aveugle et de cesser d’utiliser le nom de Dieu pour justifier des actes d’homicide, d’exil, de terrorisme et d’oppression. Nous le demandons par notre foi commune en Dieu, qui n’a pas créé les hommes pour être tués ou pour s’affronter entre eux et ni non plus pour être torturés ou humiliés dans leurs vies et dans leurs existences. En effet, Dieu, le Tout-Puissant, n’a besoin d’être défendu par personne et ne veut pas que Son nom soit utilisé pour terroriser les gens. Le terrorisme détestable qui menace la sécurité des personnes, aussi bien en Orient qu’en Occident, au Nord ou au Sud, répandant panique, terreur ou pessimisme n’est pas dû à la religion – même si les terroristes l’instrumentalisent – mais est dû à l’accumulation d’interprétations erronées des textes religieux, aux politiques de faim, de pauvreté, d’injustice, d’oppression, d’arrogance. En conclusion nous souhaitons que : – cette Déclaration soit une invitation à la réconciliation et à la fraternité entre tous les croyants, ainsi qu’entre les croyants et les non croyants, et entre toutes les personnes de bonne volonté ; – soit un appel à toute conscience vivante qui rejette la violence aberrante et l’extrémisme aveugle ; appel à qui aime les valeurs de tolérance et de fraternité, promues et encouragées par les religions ; – soit un témoignage de la grandeur de la foi en Dieu qui unit les coeurs divisés et élève l’esprit humain ; – soit un symbole de l’accolade entre Orient et Occident, entre Nord et Sud, et entre tous ceux qui croient que Dieu nous a créés pour nous connaître, pour coopérer entre nous et pour vivre comme des frères qui s’aiment. Ceci est ce que nous espérons et cherchons à réaliser, dans le but d’atteindre une paix universelle dont puissent jouir tous les hommes en cette vie. Abou Dabi, le 4 février 2019 »

Fécondité du Document

Un an après sa signature, les membres du Comité supérieur pour sa mise en œuvre ont rencontré la Presse le 3 février 2020. Le juge Mohamed Abdel Salam a souligné que le Document était une « source d’inspiration pour l’humanité dans le monde entier ». Pour Mgr Yoannis Gaid, secrétaire particulier du pape François, « ce sont surtout les jeunes qui peuvent être pleinement engagés dans la transformation des idéaux contenus dans le Document. » Le président de l’Université Al-Azhar, a précisé que « l’Université a déjà commencé à enseigner le Document et qu’elle entreprendra d’autres initiatives pour promouvoir les valeurs qu’il contient ». Pour Mme Irina Bokova, ancienne directrice générale de l’UNESCO, « il est important de voir le Document comme un document éthique fondamental de notre temps ». Bruce Lustig, rabbin émérite de la Congrégation juive de Washington, estime que le Document est en harmonie avec toutes les religions du monde et a déclaré : « Nous sommes une unique famille, nous vivons dans une unique maison. C’est pourquoi chaque personne doit à toutes les autres le respect et la dignité, ce qui nous rend responsables les uns des autres. Le Document nous appelle tous à passer du ‘je’ au ‘nous’. Avec 70 millions de réfugiés dans le monde, il est bon de rappeler que nous sommes maintenant indissolublement liés les uns aux autres ».

Comme le précise le père Vincent Feroldi , « le Service National pour les Relations avec les Musulmans est témoin de la fécondité de ce texte dans le dialogue islamo-chrétien et interreligieux. D’autres autorités religieuses et acteurs du dialogue ont souhaité apporter leur contribution à la réflexion : Charte de la Mecque (mai 2019) soutenue par 1.200 religieux musulmans du monde entier, contribution d’une vingtaine de religieux musulmans soufis sur « la fraternité pour la connaissance et la coopération » (juillet 2019), Mémorandum d’entente et d’amitié (septembre 2019) et Charte de la Nouvelle Alliance de la Vertu (décembre 2019) signés par des responsables juifs, chrétiens et musulmans. »

Tous frères

Fratelli Tutti est peut-être un des plus beaux fruits de la rencontre d’Abu Dhabi. Vincent Feroldi souligne que le pape François cite neuf fois le Document et qu’il conclue l’encyclique, aux § 285-287, en reproduisant « l’appel à la paix, à la justice et à la fraternité » que lui-même et le Grand Imam avaient rédigé ensemble. Il relève « qu’au § 5, le pape précise que cette écriture commune n’était pas pour lui un simple acte diplomatique, mais une réflexion faite dans le dialogue et fondée sur un engagement commun. François écrit même que la présente encyclique rassemble et développe des thèmes importants abordés dans le Document d’Abu Dhabi, ce qui confirme combien ce Document est devenu à ses yeux un document-source. Notons en particulier les thématiques de la pleine citoyenneté (§ 131), de la violence (§ 281-284) et de la paix (ch. 7 : Des parcours pour se retrouver) ». Vincent Feroldi poursuit : « Le pape déclare qu’il s’est particulièrement senti encouragé par le Grand Iman Ahmad Al-Tayyeb, cité cinq fois, pour rappeler que « Dieu a créé tous les êtres humains égaux en droits, en devoirs et en dignité, et les a appelés à coexister comme des frères entre eux ». Cela souligne pour François l’importance de la rencontre personnelle entre les personnes, de la « culture de la rencontre » développée dans le chapitre 6 : Dialogue et amitié sociale et tout particulièrement les paragraphes 215-221 et du témoignage personnel de chacun. Cela apparaît nettement dans les dernières pages, au paragraphe 286, quand il évoque l’influence qu’ont eu sur lui « d’autres frères » comme Martin Luther King, Desmond Tutu et Mahatma Mohandas Gandhi.

La référence à ces grandes figures de la Non-violence nous incite à relire « Tous les hommes sont frères », livre composé d’extraits savamment choisis et classés par thèmes des écrits du Mahatma, lui aussi martyr, victime d’un extrémiste ultra-nationaliste de sa propre religion.

Michel Lafouasse Membre de l’équipe diocésaine de relation avec les musulmans

1 Commentaire de Fratelli Tutti par Vincent Feroldi, directeur du SNRM - site « Eglise en France ».