Catapultée dans une nouvelle dimension migratoire où les grandes ONG et agences d’État du monde entier jonglent avec des problématiques internationales, je me retrouve donc en direct à Mexico, représentante de Tous Migrants, invité en tant qu'association alliée du CCFD – Terre Solidaire. (Merci à eux tous d'avoir invité TM et de m'avoir si bien accueillie au sein de cette sympathique délégation). Je me sens une mini-pouce dans ce monde de grands.

En toile de fond, la Caravane de migrants ( ici, on se fout du débat sémantique ! Ça fait du bien !). Plus de 10000 personnes, « migrants économiques » (cette réalité migratoire n'est rejetée qu''en Europe), asphyxiés par la réalité quotidienne dans leurs pays, sont en marche ; depuis des semaines au départ de l'Amérique Centrale, ils arrivent petit à petit sur Mexico City et se dirigent vers les USA, attendus par un Trump au sommet de son art : répression et hargne. Étonnamment, cette actualité sera peu abordée par les protagonistes du Forum, si ce n'est quelques mots épars de soutien.

Lieu du rendez-vous : l'Hôtel Garibaldi, situé sur la place du même nom, « place » gardée par les Mariachis et surtout par plus d'une trentaine de policiers, suréquipés, pour protéger qui, de quoi ??? Ambiance. Non, ce ne sont pas les forces de l'ordre de Macron. Il s'agit d'une autre réalité, celle du crime organisé latino et de ses règlements de compte aléatoires (ou pas!). Bienvenue à Mexico ! Dans l'hôtel, cela grouille déjà. Au delà de l'équipe CCFD - Terre Solidaire dont j'ai fait connaissance à Briançon ou/et lors du week-end de préparation à Paris, je reconnais quelques têtes croisées lors des États Généraux des Migrations à Paris. La délégation française (environ 80 personnes) constituée essentiellement du CCFD – Terre Solidaire et de leurs invités (associations partenaires d'Amérique Latine et d'Afrique), du Secours Catholique et du CRID s'agite déjà autour du petit déjeuner. Départ collectif du CCFD vers le bâtiment moderne du Centre culturel Universitaire. Nos têtes et nombre ne passent pas inaperçus dans un quartier qui ne voient pas souvent les touristes. J'essaye de refréner mes réflexes de nomade solitaire...

Arrivée dans le hall du Centre culturel Universitaire. Fourmillement et désorganisation pour récupérer un badge qui ne sert à rien puisque tout est ouvert à tous. Note touristique : vue incroyable depuis la salle du 19ème étage. sur la Place des Trois Cultures et Mexico City. Gigantesque, 9 millions d'habitants. Just about !Petite anecdote : depuis une semaine, l'eau est coupée à Mexico d'où la fermeture de certains musées et réduction des espaces mis à disposition dans les centres de congrès, qui ne peuvent offrir toutes les commodités à leurs visiteurs. Je vous laisse imaginer les petits soucis logistiques qui s'en suivent durant le Forum. Café et demandez le programme (eh non, y a pas de programme imprimé !). Plongeon dans la vraie vie : la Caravane des Mères Centro-américaines scande un émouvant cri de ralliement derrière la banderole où figurent les visages de leurs fils/filles disparues en migrant.

Badge sagement scotché à mon poitrail, on me confirme qu'il n'y aura pas de programme imprimé des conférences et ateliers. Il devrait nous être envoyé dans la matinée par internet sauf que le réseau est tellement saturé par les demandes que whatsapp ne fonctionne pas. (Finalement dans l'après-midi quelques programmes seront disponibles par ci par là sur ce bon vieux support qu'on appelle : papier ; c'est quand même un peu plus facile pour dispatcher quelques 1500 participants). Au loin, le son de grelots, de tambours attire mon attention ; l'appel de la plénière. En entrant dans une salle surdimensionnée, des odeurs de basilic, autres plantes et encens prennent à la gorge et aux yeux. Des mexicains en tenue traditionnelle arborant de gigantesques coiffes à plumes, dansent et enfument l'atmosphère, purifiant et plaçant ainsi l'assemblée sous de bonnes augures. La tablée de la plénière se lance dans des discours successifs, inaudibles, dont je ne retiendrais que la projection vidéo de la parole du pape ! Étonnant. Rencontre heureuse dans ce chaos. Je tombe sur Gianfranco de la Caravane Italienne accueillie à Briançon l'été dernier. Le monde est petit ! Pas de temps à perdre car le CCFD enchaine avec son premier atelier auquel je suis conviée : Frontières meurtrières, frontières solidaires. Heureusement, des tracts ont été préparés en France et donc la salle est comble pour ces discussions participatives qui sont très enrichissantes. Échanges de pratiques et d'expériences venues de tous les continents. Constructions symboliques de ponts et de murs, échanges interactifs réussis.

Ça y est, j'ai le programme en poche. Je commence à me familiariser avec les lieux et l'aléatoire du forum. J'essaye de me constituer mon « petit » programme avec trois objectifs pour ne pas manquer à mes devoirs représentatifs : renforcer le réseau français et amorcer un réseau pour une mobilisation citoyenne européenne (je me demande encore pourquoi aucun atelier n'a porté sur ce chantier urgent des EGM ; nombre de pays européens ayant fait le déplacement... c'était pourtant l'occasion idéale !) écouter les partenaires africains témoigner de la politique migratoire sur ce continent et de l'ingérence européenne. Mieux comprendre la situation spécifique de l'Amérique Latine et glaner quelques bonnes pratiques à reproduire chez nous.

Y a plus qu'à ! Évidemment, je témoigne dès que je peux de la situation à la frontière franco-italienne, de l'expérience Tous Migrants et de la politique répressive de la France envers les solidaires et les migrants. Les participants qui me prêtent l'oreille sont étonnés voire choqués de l'attitude du gouvernement Macron qui a plutôt bonne presse dans le monde. Les auto-collants ont un succès fou (bravo Iannis!). Pour finir, je choisis un lieu de passage pour y apposer les flyers, affiches et différents visuels traçant l'historique de Tous Migrants... Lira qui pourra (beaucoup d'hispanophones et d'anglophones...), verra qui voudra (y a tellement de flyers, affiches et autres manifestes).

Éreintant et revigorant à la fois, encourageant et déprimant à la fois. J'oscille entre ces états. Quelques tortillas et tamales plus tard... Les nuits ont été écourtées par les Mariachis en transe, l'esprit a été occupé par la nébuleuse de conférences et ateliers... Spirale infernale, tout cela se succède. Et hop, 3 jours sont passés très rapidement.

Pas de plénière pour clôturer l'évènement ! Aucune prise de position commune du Forum concernant notamment la signature prochaine du Pacte Social Mondial !Le mécontentement des participants se fait entendre. Certains parlent de sabordage volontaire du Forum. Moi, j'y comprends pas grand chose et c'est ma première. Je suis enjouée par l'expérience et je n'ai pas une vision assez globale. Mais quand même, certains me connaissent, je suis mes instincts et j'exprime mes opinions ! Du coup, j'interviens lors du débriefe de la délégation qui dans ses conclusions pointent le manque de coordination commune entre français. J'évoque l'absence de message porté ou d'initiatives dans le sens des EGM ou même d'allusion à ceux ci. Je propose de faire notre propre déclaration commune de clôture en tant que délégation française puisque les organisateurs n'en ont pas fait au nom du Forum en son entier. Flop ! L'ensemble de la délégation ainsi que les africains, les québécois et quelques mexicains présents sont invités à se réunir autour de la banderole du Forum pour une vidéo signifiant notre soutien aux 3+4. Joli moment de solidarité. Une belle initiative commune de la délégation a vu le jour aussi pendant le Forum : un CP en soutien à un journaliste hondurien menacé de mort pour avoir soutenu et communiqué sur la caravane de migrants. Le forum est terminé, c'est toujours un coup pour le moral et c'est toujours à ce moment là que les échanges en off se font plus loquaces. Conclusion personnelle : une fois encore, on parle, on constate et on se rassure certes, mais la construction est toujours reportée à l'après..! Gout amer et doux à la fois, qu'allons nous faire de tout cela ?

Le lendemain, heureusement (et bravo!) le CCFD – Terre solidaire nous permet d'être plongé au cœur de l'actualité latino. La visite d'une auberge d'accueil de demandeurs d'asile et réfugiés sous protection a lieu. Partenaire du CCFD – Terre Solidaire, cette structure d'accueil de long terme est tenue par des sœurs scalabriennes. Quelques psychologues et travailleurs sociaux y sont embauchés. L'organisation me rappelle celle du Refuge Solidaire, même si le contexte est différent. La veille nous y avions mangé et j'avais discuté avec un cubain se trouvant là car ayant été séquestré par des policiers et ayant porté plainte. Ce « fan » de Castro veut rentrer à Cuba au plus tôt car même s'il y sera plus pauvre, le Mexique est trop violent pour y vivre. Intéressant point de vue. Des transsexuels y sont également accueillis et protégés, ce qui est unique au Mexique. Ils sont rejetés de la société et par certains pensionnaires. Thématique délicate. Les sœurs sont pressées et le programme de la visite est un peu modifié par les évènements.

Mexico City accueille la caravane de migrants ! Bébés en poussettes, enfants, femmes, ados seul-e-s, vieux hommes, pères de familles ... ils marchent et la masse appelle la masse. El pueblo unido jamàs sera vencido! c'est leur dernière chance face à la politique migratoire des USA qui se durcit, face au danger de mort sur le chemin des migrations, face à la pauvreté, les guérillas, l'enrôlement de la jeunesse qui font le quotidien dans leurs pays. Ils veulent « tous entrer légalement et mettre les USA face à ses responsabilités de pilleurs, par le pont pas par l'eau, la tête haute ». (Propos récoltés lors de mes conversations avec ces marcheurs). Les sœurs sont prêtes à partir sur le terrain et elles ont l'air serein. En Europe, 10000 personnes qui débarquent, les associations et l’État seraient en panique. Ok, ce chiffre est « dérisoire » pour une agglomération de 21 millions mais quand même! « Bien sûr, on est inquiet mais on a l'habitude de faire face aux catastrophes » (référence aux tremblements de terre). Et oui, la ville de Mexico a ouvert un plan d'urgence devant cette « catastrophe humanitaire ». Un stade a été ouvert par la municipalité pour que les migrants puissent se reposer, avoir accès aux soins, manger, repartir vite. Ils sont aussi inciter à demander un titre de séjour au Mexique (La vraie version, serait qu'une fois qu'ils sont persuadés par des « racoleurs » de demander l'autorisation pour rester au Mexique, leurs dossiers sont vite traités, leurs demandes vite rejetées et leurs déportations dans leurs pays d'origine vite organisées (on ne badine pas avec les moyens ni la sémantique de ce côté de l'Atlantique!). Des centaines de marcheurs ont été piégés lors d'une étape précédente à Veracruz. Qui finance ? L'oncle Sam?)

Les sœurs nous proposent de profiter de leur droit d'accès au stade pour voir ! Je me dis, pourquoi y aller, comment ne pas tomber dans le voyeurisme ou passer pour des observateurs décalés de la réalité. Réflexion rapide dans ma petite tête. Je fais appel à mon humble expérience sur la frontière franco-italienne : « ce qui m'a fait du bien ici à Briançon : c'est un sourire franc et sincère, une parole de réconfort, une poignée de main sans masque ni scaphandrier sanitaires ; un regard qui ne fuit pas et ne me rabaisse pas, parler avec quelqu'un qui prend son temps juste pour moi, d'égal à égal, pas avec de la pitié». Je me dis, c'est peut être cela qu'on peut apporter aujourd'hui, on ne peut pas faire grand chose mais si le fait de savoir que des français, des africains les soutiennent, si un sourire, quelques mots peuvent leur donner un peu de force pour continuer et les réconforter, les faire « redevenir » une personne, un moi (comme me disait aussi un ami prêtre en poste à Tamanrasset) et bien ce sera déjà ça. On se faufile dans des taxis roses et blancs de la capitale, direction le stade. Plusieurs représentants associatifs nous expliquent l'organisation du camp, leurs actions. Impressionnant et efficace. Les marcheurs forment une longue file d'attente pour les repas. Des petits groupes, le regard méfiant – de tous les âges - arrivent à chaque instant et cherchent un coin pour se « poser ». Certains errent et observent pour comprendre l'organisation, récupérer des vêtements, des médicaments. Certains dorment. Ils se réuniront en nombre ce soir comme tous les soirs, pour décider ensemble de la suite de la marche. De la musique, des fou-rires collectifs. Aucune animosité, ni débordement. De la ferveur. Je m'échappe du groupe CCFD... pour serrer des mains, échanger des sourires, des encouragements et écouter leurs motivations ... Je vois des visages fatigués s'illuminer un instant au mot France... car la France, c'est le foot ! et pour tous les jeunes garçons du monde, le foot ça fait rêver et oublier la réalité. Alors bien étonnée, je parle foot, et champion du monde ! Les hommes plus âgés sont étonnés qu'en France, on parle d'eux, simples migrants et paysans sans terre, et cela les rend fiers. On parle de nous en France, ça alors... Plus loin, adossée à un arbre, une femme est en pleurs, larmes silencieuses qui coulent...et qu'elle essuie inlassablement. Je la sers dans mes bras, lui parle tout doucement. Qu'y a t il derrière ces larmes ? sa fatigue, son désarroi, ses souffrances, ses doutes. Tout ou rien de cela.

Nous repartons. Je pars avec de la peur pour elle, pour eux, de ce que fera Trump... (et Macron chez nous, contre les migrants d'Afrique!). Je repars avec la honte de voir encore et toujours comment une partie de la communauté internationale peut nier les droits, la liberté de choisir sa vie à une majorité vaillante mais écrasée et oubliée ! Mais, je repars aussi avec la détermination, celle qui émanait de chacun et de ce 'Tous ensemble ». Ce sont eux les champions du monde, les héros d'un monde duquel ils exigent leur part. Je me sens toujours une mini-pouce mais chacune des rencontres de ces derniers jours me donne de la force et conforte mes convictions.

Stéphanie Besson pour Tous Migrants Briançon