Extrait du journal LA CROIX du 14 avril 2013 propos Recueilli paR DAVID MéTREAU
Jean Merckaert Rédacteur en chef de la revue « Projet » et ancien chargé du plaidoyer du CCFD-Terre solidaire pour le financement du développement des pays du Sud
‣ Alors que l’affaire Cahuzac a placé la question des paradis fiscaux sur le devant de la scène, Jean Merckaert propose de mettre fin au mensonge économique et invite chaque chrétien à se questionner personnellement.
« Les principes fondamentaux de la pensée sociale de l’Église légitiment un discours fort sur le sujet des paradis fiscaux, par le principe du bien commun, l’idée de destination universelle des biens, selon laquelle les richesses de la création ne sont pas destinées à être confisquées par quelques-uns mais doivent bénéficier à tous. D’ailleurs, cette pensée sociale légitime le principe même de l’impôt. Benoît XVI, par exemple, a souvent regretté la concurrence à laquelle se livrent les États en matière fiscale.
Les chrétiens sont particulièrement en pointe contre les paradis fiscaux. Une brochure “Au service du bien commun, les chrétiens s’engagent pour plus de justice fiscale” a été publiée en octobre 2011 par Justice et Paix-France, le CCFD-Terre solidaire, le Secours catholique et le Ceras. Mgr Michel Dubost, ancien président de Justice et Paix, a organisé dans son diocèse d’Évry une série de débats pour sensibiliser les chrétiens à la question ( La Croix du 23 janvier 2012) .
Les paradis fiscaux sont des lieux pour contourner nos lois : en matière fiscale, en matière de prudence financière, ou nos lois pénales. On y retrouve l’argent de la corruption, des marchés publics truqués, du financement occulte de partis politiques, de la drogue, de mafias, etc. Ce contournement de la loi est insupportable pour les chrétiens, puisque ceux qui la contournent sont les acteurs qui ont les moyens de se payer l’opacité : les individus les plus riches et les plus grandes entreprises.
Nous aboutissons à un gigantesque mensonge économique. Pour en finir, il faut passer les comptes des entreprises au détecteur de mensonges, c’est-à-dire obliger les entreprises à déclarer, dans chacun des pays où elles opèrent, la nature de leurs activités, leurs chiffres d’affaires, les bénéfices dégagés et les impôts versés. L’autre volet d’action consiste à obtenir des informations grâce aux intermédiaires.
Il faut également durcir les sanctions. Le vol de recettes publiques ne donne quasiment jamais lieu à des peines de prison. Une forme de criminalité en col blanc est normalisée. Or, une dimension éthique entre en jeu : derrière l’impôt, c’est le pacte social qui se joue. À partir du moment où l’exemple est donné – l’évitement de la contribution au bien commun –, le risque d’explosion est extrêmement fort.
En tant que chrétiens, nous avons une responsabilité particulière dans la prise en compte de ces questions, non seulement sous l’angle de la légalité mais sous celui de la légitimité. Certaines professions, exercées aussi par des chrétiens, traversent une vraie crise déontologique: banquiers, experts comptables, agents d’optimisation fiscale, directeurs financiers de certaines grandes entreprises.
Devant sa feuille d’impôt, chacun doit se poser la question de sa propre attitude. Les chrétiens se sont fait une spécialité du paradis. Le paradis fiscal, ils doivent en claquer la porte. »