terre

Gabriel Marc, ancien président du CCFD-Terre solidaire - La Croix du 2 janvier 2012 -  

On conçoit bien que surmonter « la crise » financière soit urgent. Les problèmes de long terme, encore plus considérables, sont du coup renvoyés à plus tard. Ils vont pourtant dominer l’histoire prochaine de l’humanité. Parmi eux, les problèmes écologiques et démographiques s’imposent au premier plan.

On vient de célébrer la naissance du sept milliardième humain. Après deux jours d’attention, on est vite revenu au court terme. Pourtant, la redoutable équation du XXIe siècle est simple à énoncer : comment nourrir et offrir une vie digne à tous les individus, qui seront bientôt neuf milliards, sans abîmer davantage la planète et en restant en paix ? Où vont se poser tant de nouveaux venus alors que les territoires qui peuvent l’être sont déjà habités ?

Le bilan de départ en ce qui concerne la nourriture est mitigé. L’expansion de la ville et des infrastructures élimine chaque année des terres arables, la désertification par surexploitation progresse, des terres sont utilisées pour faire du carburant, des intérêts mercantiles arrachent la terre aux paysans pour produire à leur profit, etc.

D’ores et déjà, on compte un bon milliard d’individus qui ne mangent pas à leur faim et quelques milliards d’autres qui mangent mal. Que va-t-on pouvoir faire alors qu’on ne le fait même pas déjà ?

Notre civilisation technicienne cherche naturellement le salut dans la recherche agronomique. Elle est essentielle et devrait être davantage soutenue et financée. Ceux qui s’y livrent ont souvent l’enthousiasme des pionniers, pensant pouvoir apporter une bonne fois des solutions équitables et écologiques.

Il ne suffit pas, cependant, qu’il y ait des solutions techniques aux problèmes de l’alimentation pour tous. Encore faut-il les mettre en œuvre. On sait qu’il faut du temps pour susciter une paysannerie moderne à partir de paysannats coutumiers, du temps et des moyens. Bon nombre de gouvernements de pays pauvres semblent s’en désintéresser, leur préférant des cultures de rente exportables auxquelles les gens de nos pays ont pris goût.

À quoi bon alors inventer si les gouvernements se désintéressent de la sécurité alimentaire des populations ? Il y a peu, une assemblée générale de la FAO à Rome a voulu traiter sérieusement de ce problème. Les chefs d’État de nos pays l’ont boudée (1). Pourtant, il est clair que des problèmes de la taille de ceux qui viennent d’être évoqués supposent une forme de gouvernance mondiale disposant d’une autorité. Fort opportunément, la Commission pontificale Justice et Paix vient de publier une note en ce sens qui mériterait large audience (2). On recherche cette gouvernance, certes, en ce qui concerne la finance en désordre. Sans trop la chercher, d’ailleurs, puisque le G20 persiste à demeurer un club plutôt que de s’institutionnaliser.

Il ne faudrait pas que l’optimisme scientifique et technique serve d’alibi à nos pays riches pour garder les richesses par-devers nous. Car ce dont il s’agit n’est pas seulement donner de l’espace, de l’eau et de la nourriture. Il est question surtout de donner à bientôt neuf milliards de personnes le minimum des attributs de la dignité. Aussi bien la Déclaration universelle des droits de l’homme (3) que la doctrine sociale de l’Église les énumère ainsi : l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux, l’éducation et l’emploi.

On ne peut pas imaginer un monde de demain où un ou deux milliards de personnes vivraient fastueusement dans des pays riches ou nouveaux riches et où sept ou huit croupiraient dans une misère infrahumaine. Si l’on veut avoir la paix pour nos descendants, il faudra bien développer une solidarité plus étendue que les bribes actuelles. En définitive, c’est de partage qu’il s’agit, volontaire pour être pacifique ou arraché par la violence, avec les masses vouées sans cela à la soushumanité, partage aussi avec la terre dont on ne peut continuer à tirer ce qu’elle ne peut plus donner.

Les forces morales, celles des Églises et celles issues des divers humanismes, doivent s’accorder sans tarder pour développer une éthique du partage à mettre en œuvre résolument dès maintenant auprès des opinions publiques de nos pays.

Il est question surtout de donner à bientôt neuf milliards de personnes le minimum des attributs de la dignité.

(1) Par ailleurs, on déplore le faible impact, dix ans plus tard, des “Objectifs du millénaire”. Il n’y a pas de volonté politique de la part des pays riches. (2) Pour une autorité financière et monétaire à compétence universelle. Note du Conseil pontifical Justice et Paix. (3) Articles 25 et 26.