Article publié dans "La Croix" du 5 décembre 2011 FORUM Bertrand du Marais, stanislas Ordody, Patrice Dufour, Louis dugas
Atterrés par le développement d’une crise financière qui illustre, depuis trois ans, la prise de contrôle de l’économie mondiale par des organismes sans légitimité démocratique, ni autres moteurs que la poursuite de l’intérêt personnel d’un tout petit nombre de personnes, nous sommes également effrayés par l’alternative qui nous est proposée.
D’un côté, les responsables politiques et économiques en place ne trouvent à offrir que la perpétuation du même système. Incapables de changer de paradigme, ils allongent indéfiniment les deniers publics pour combler les pertes souvent dues au marché. Ils se retournent alors vers la population pour exiger plus d’austérité, au détriment des plus pauvres et des plus fragiles, avec le risque fort d’aggraver la crise économique. D’un autre côté, les extrêmes se nourrissent de cette impasse et de l’énervement grandissant des opinions publiques devant les fluctuations erratiques des marchés financiers. L’agenda électoral chargé dans plusieurs pays européens rend ce contexte explosif.
Puisant dans nos références chrétiennes, nous souhaitons apporter dans ce débat bloqué l’assurance que d’autres approches sont possibles, et même indispensables. Sans être des experts, notre expérience de cadres de banques, de consultants ou d’universitaires nous donne une certaine compétence pour élaborer des analyses crédibles que nous avons commencé à développer à titre individuel. Nous ne comptons pas parmi les « grands dirigeants » publics ou privés : nous n’en avons que davantage de liberté de ton ; mais aussi le désir profond de sortir des paradigmes établis. L’enseignement de l’Évangile nous incite à être des veilleurs. Il donne des pistes de solutions inédites.
Conscients de l’urgence et du danger de la situation actuelle, nous revendiquons donc l’expérimentation de toutes les innovations – de la plus microéconomique à la plus systémique – que permet le regard de l’Évangile sur l’humanité, et donc sur l’économie.
Dans le domaine de la finance d’entreprise, nous considérons qu’il faut favoriser de nouveaux instruments de prêt fondés sur la réintroduction de l’incertitude dans l’économie, comme y invite le principe du partage des pertes et profits. Remplacer la dictature des taux d’intérêt par le partenariat entre banques et producteurs dégage de nombreux bénéfices, dont celui de « lisser » la conjoncture, et donc de faciliter la reprise économique. Des modèles sont à redécouvrir, à travers l’histoire ainsi que la littérature économique chrétienne et musulmane, ancienne et récente.
Pour le financement de l’économie, il faut au plus vite remettre la finance de marché à sa juste place, à celle d’un mode complémentaire au financement intermédié par les banques classiques. Il faut aussi impérativement élaborer des moyens permettant de réduire significativement la rentabilité apparente ou réelle à court terme de ces opérations pour casser la spéculation outrancière, par exemple en les taxant. Il faut tendre à retrouver le lien entre la propriété du capital et la responsabilité qui y est associée : le bon sens devrait permettre de comprendre le niveau de déraison et de déresponsabilisation extrêmes induites par des outils comme les produits dérivés et le « High speed trading ». Pour les États, des grands emprunts populaires permettent de briser la dépendance des pouvoirs politiques à l’égard d’opérateurs de marché en situation d’oligopole. Particulièrement au niveau de l’Union européenne, un grand emprunt populaire constituera un test de l’adhésion des épargnants-citoyens au projet européen.
Ces trois exemples sont des pistes concrètes parmi d’autres. Plus globalement, et dans une mise en œuvre concrète de la pensée sociale chrétienne, tous les modes de production fondés sur l’échange équilibré, voire sur la gratuité, doivent être développés. Il s’agit de la seule clé d’un développement économique « soutenable » car équilibré et fondé sur le développement de la personne humaine. La crise actuelle démontre en effet que le dogme de l’équilibre automatique des marchés n’est plus qu’une illusion entretenue par des initiés qui sont toujours gagnants : une tragique supercherie.
S’il est le meilleur mode d’allocation des ressources, et donc de développement de la production, le marché est devenu un lieu de rapports de force violents. Il est donc temps de prendre au sérieux l’exhortation de Benoît XVI dans Caritas in veritate : « Il faut que cette logique du don et de la gratuité se retrouve partout, dans les structures mêmes de la société économique et politique. » Il est temps que la finance et l’économie deviennent responsables…
L’enseignement de l’Évangile nous incite à être des veilleurs. Il donne des pistes de solutions inédites.