La Loi Sapin 2 sur la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique, annoncée comme la grande Loi pour la transparence du mandat de François Hollande, a été adoptée lundi dernier, 8 novembre, à l’Assemblée Nationale, sans outils réellement efficaces pour lutter contre la corruption et l’évasion fiscale. C’était l’occasion, impulsée par des collectifs d’organisations de la société civile, de faire des avancées dans cette lutte contre la corruption et l’évasion fiscale, et on peut constater aujourd’hui, après ce vote, de nombreux manquements, notamment sur la protection des lanceurs d’alerte, sur l’agence anti-corruption, la transaction pénale, l’encadrement des lobbys et le reporting pays par pays public.
Prenons les deux sujets emblématiques de la protection des lanceurs d’alerte, et la lutte contre l’évasion fiscale. Et tout d’abord, concernant les lanceurs d’alerte. La protection de ces derniers n’est pas véritablement assurée, puisque les mesures sont insuffisantes pour ce qui est du principe de précaution dans la définition du lanceur d’alerte, concernant le soutien financier aux lanceurs d’alerte, et par rapport aux sanctions pénales pour les auteurs de représailles. On est encore loin des fondements du dispositif qui avait été initialement déposés, et qui était inspiré par les meilleurs standards internationaux, et notamment le modèle britannique depuis 1998, les recommandations du Conseil de l’Europe en 2014, des O.N.G. sur cette question, et du Conseil d’Etat en 2016.
Concernant la lutte contre l’évasion fiscale, en votant la loi en l’état actuel, les députés ont choisi de se contenter d’un reporting public « à trous », obligeant les entreprises à publier les informations concernant leurs activités et les impôts qu’elles payent, mais uniquement dans les pays où elles ont un nombre minimum de filiales. Un certain nombre d’organisations non gouvernementales ont réagi à cette destruction des principes qui avaient initialement prévalu : C.C.F.D.-Terre Solidaire, ONE, Oxfam France et ActionAid Peuples Solidaires. Elles déplorent que la France ait renoncé à devenir la championne européenne de la lutte contre l’évasion fiscale, soulignant le manque de cohérence entre les paroles et les actes de ce mandat politique. Par exemple, même si, dans le meilleur des cas à venir, le nombre minimum de filiales était fixé à 2, cela permettrait aux entreprises de ne pas divulguer les informations pour les pays où elles n’ont qu’une seule filiale. Dans le cas de Total, par exemple, 37 pays des 98 pays d’implantation du groupe seraient exclus du reporting !
Et les quatre O.N.G. d’ajouter : « Les récents scandales l’ont pourtant amplement démontré : il suffit d’une seule filiale dans un seul paradis fiscal pour faire de l’évasion fiscale. En excluant un nombre très important de pays de l’obligation de reporting des multinationales, il subsistera toujours de nombreuses « zones d’ombre » où elles pourront continuer à cacher leurs bénéfices non imposé, et ce, en toute légalité. Pire encore, il sera toujours impossible de savoir si les entreprises qui ont souvent moins de deux filiales dans les pays en développement, y paient leur juste part d’impôts. Les grands perdants de cette mesure sont donc une nouvelle fois les pays les plus pauvres, dont le manque à gagner à cause des pratiques d’évasion fiscale des multinationales chaque année est estimé à au moins 180 millions de dollars ! Seule une photographie complète des activités et des impôts payés par les entreprises dans l’ensemble des territoires où elles sont implantées pourra permettre de repérer les transferts artificiels de bénéfices et de savoir si elles paient leur juste part d’impôts. Cette transparence en demi-teinte est donc loin d’être suffisante pour mettre fin aux pratiques frauduleuses des entreprises, et pour gagner la confiance des citoyens sur ces problèmes !