De retour d’Haïti à la rencontre des associations locales partenaires, Floriane Louvet, chargée de mission au C.C.F.D.-Terre Solidaire, évoque la situation du pays en pleine crise électorale. Elle témoigne de l’état politique et social d’Haïti à l’heure qu’il est, et rapporte les réactions et le travail des associations haïtiennes partenaire du C.C.F.D.-Terre Solidaire dans ce contexte. Il faut rappeler que des élections présidentielles, législatives et municipales sont en cours depuis cinq mois. Après le premier tour de ces élections qui a eu lieu le 25 octobre 2015, le deuxième tour devait se tenir le 24 janvier 2016. Sur la pression de la rue et de l’opposition – dénonçant des irrégularités et de nombreuses fraudes lors du premier tour-, ce deuxième tour n’a pas pu avoir lieu. L’ancien chef d’Etat Michel Martelly, dont le mandat s’est arrêté le 7 février dernier, n’a donc pas pu transmettre la banderole présidentielle à son successeur. Il faudra attendre le 14 février pour que Jocelerme Privert – sénateur depuis 2010 et à la tête de la Chambre haute depuis janvier 2016 – soit élu président provisoire par le Parlement. Une élection largement contestée par la société civile, et donc une crise politique et sociale.

Floriane Louvet a recueilli les réactions et les témoignages des associations haïtiennes, partenaires du C.C.F.D.-Terre Solidaire. Dans un pays secoué depuis plusieurs semaines par de nombreuses manifestations et violences, l’association Têt Kolé dénonce un « coup d’Etat parlementaire », puisque l’intérim imposé par Michel Martelly n’est pas conforme à la constitution de 1987, qui aurait dû être confié au Président de la Cour de cassation. Têt Kolé souhaite donc faire annuler le résultat de toutes les élections depuis celles du 9 août 2015, et en organiser dans de meilleures conditions démocratiques. Le directeur d’une autre association haïtienne partenaire, l’Institut de Technologie et d’Animation (I.T.E.C.A.) dénonce, quant à lui, le manque de capacité de concertation des partis politiques et de la société civile. La vocifération médiatique replace l’engagement responsable : « Tout le monde veut être chef en Haïti ! ». La directrice de la Commission épiscopale nationale haïtienne « Justice et Paix » insiste de son côté sur la responsabilité de la communauté internationale, qui a tenu à tout prix, à maintenir des élections, décriées par tous les secteurs en Haïti, au risque de faire tomber le pays dans une dictature déclarée, pour l’instant évitée.

Les conséquences de tous ces échecs politiques durables se font sentir. Après la sécheresse de l’an dernier, les paysans sont en situation d’urgence sans précédent. 3 millions six cent mille haïtiens souffrent de la faim, dont un million et demi en situation d’insécurité alimentaire sévère. Six ans après le tremblement de terre du 12 janvier 2010, le pays est loin de s’être relevé : 300 000 disparus, des milliers de familles sans logement, sous des tentes, et 16 000 familles vivent dans 66 camps. Pour les acteurs de la société civile, comme ces leaders des associations rencontrées, ce seront encore des mois de crise et de paralysie du pays, au-delà des 120 jours normalement prévus de transition présidentielle provisoire. Qu’en sera-t-il du renforcement de la sécurité intérieure, de la refondation des liens sociaux et du dialogue, du rétablissement de l’Etat de droit, et de la poursuite du processus électoral ? Pourtant, ces acteurs de développement ne baissent pas les bras, et parient plus que jamais sur la capacité de la société civile à impulser plus de transparence et de démocratie en Haïti. Ils comptent sur les efforts déjà faits et considèrent qu’il y a une maturité politique au niveau de la population qu’ils entendent bien accompagner et exploiter. Et, nous, saurons-nous les soutenir par tous nos moyens pour permettre à ce pays écrasé par tant de malheurs de se relever par lui-même ?