Malgré l’attentat dans la capitale tunisienne, les organisateurs du Forum Social Mondial, dont le C.C.F.D.-Terre Solidaire, ont tenu à maintenir l’événement. Dans ce contexte difficile, les enjeux du Forum Social Mondial autour du renforcement des sociétés civiles et de la convergence des luttes sociales mondiales prennent une nouvelle acuité. Pour la 2ème fois consécutive, le Forum Social Mondial s’est déroulé à Tunis, du 24 au 28 mars, et pour la 2ème fois, il survient au lendemain d’une tragédie qui menace le processus politique. En 2013, l’un des leaders de l’opposition, Chokri Belaïd, avait été assassiné juste avant. Cette fois, avant le début, une attaque visant le plus grand musée de la capitale a tué 21 personnes dont 20 touristes. Malgré tout, les organisateurs du Forum ont tenu à maintenir l’événement « afin, selon eux, d’assurer la victoire de la lutte civile et pacifique contre le terrorisme et le fanatisme religieux qui menacent la démocratie, la liberté, la tolérance et le vivre ensemble ».

Le choix d’organiser un deuxième Forum Social Mondial à Tunis précédait bien sûr cette circonstance tragique. Pour la société civile tunisienne, le bilan de l’édition 2013 avait été mitigé. Pour Alaa Talbi, responsable des projets au Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux, l’association organisatrice du Forum, « Il n’a pas contribué à faire émerger de thématique, à susciter la création de réseau.. On ne peut pas vraiment dire qu’il y ait eu un choc. C’était encore trop tôt dans le processus politique et nous étions dans une période politiquement très tendue ». Hamouda Soubhi, membre du Forum social maghrébin ajoute néanmoins que « le Forum Social Mondial en 2013 a fait entrer la société civile tunisienne dans le mouvement de la société civile internationale. Jusque là, elle était enclavée par la dictature et seules les organisations de la diaspora avaient des connexions internationales. Cette 2ème édition devrait consolider cette dynamique dans un moment où les droits économiques et sociaux risquent d’être remis en cause par les réformes de libéralisation de l’économie ».

Un renouvellement est d’autant plus utile et d’autant plus nécessaire que l’une des conséquences de la dictature a été d’isoler les organisations de défense des droits et des libertés des populations. Et la transition politique n’y a pas totalement mis fin.

Le Forum Social Mondial se pense évidemment au-delà de son contexte local. Quatorze ans après sa première édition à Porto Alegre en 2001, l’enthousiasme de la découverte de la nouveauté s’est dissipé. Bernard Pineau, Délégué Général du C.C.F.D.-Terre Solidaire, explique : « Si l’impact du Forum Social Mondial paraît moindre aujourd’hui, c’est que ses principaux apports sont aujourd’hui des évidences : il a permis de relier des types d’organisations qui n’avaient jamais travaillé ensemble : les organisations de développement, les syndicats, les organisations des droits de l’homme, les mouvements paysans, l’économie sociale et solidaire… [entre autres !]. Aujourd’hui l’organisation de campagnes communes va de soi. Des réseaux se sont renforcés grâce au Forum Social Mondial, comme la Via Campesina, ou Tax Justice Network. Des thématiques comme la dette, la souveraineté alimentaire, la taxation des transactions financières sont désormais dans le débat public, et c’est grâce au Forum Social Mondial. » Et Bernard Pineau d’ajouter : « C’est vrai qu’il se produit aussi un retour vers l’échelle locale pour agir. Là où les acteurs sociaux ont une prise. Mais il reste que nous n’avons pas d’autres lieux que le Forum Social Mondial pour organiser la convergence des mouvements ».

Il est très utile pour nous de suivre les comptes rendus et les retombées de cet événement planétaire, dont les médias ne mesurent pas toujours le rôle de levier pour plus de justice et de transformation sociale au bénéfice des plus pauvres et des plus démunis.