En première partie de la soirée, deux témoignages d' expatriés.
Florence témoigne de son parcours d' enseignante expatriée :
Ayant décidé de partir à l'étranger, elle a trouvé un poste au Mali, dans une école privée. A son arrivée, elle pensait être attendue là bas mais a connu des désillusions (une rentrée scolaire anticipée de 3 jours, un contrat non valable, un logement vide). Heureusement, la communauté française l' a soutenue au niveau du logement et de la vie sociale. Un malien, malgré ses petits moyens, lui a proposé une aide financière pour assurer son transport.
Ce vécu lui a fait prendre conscience des difficultés créées par l'éloignement de sa famille.
Florence est restée 6 ans au Mali alors qu'elle avait prévu initialement un séjour d'un an. Elle a décidé d'aider, à son tour, ceux qui arrivent au Mali, en proposant, entre autres, des colocations.
Au bout de 6 ans, elle décide de repartir en France pour suivre "Fred", son mari qu'elle a connu au Mali et qui a pour objectif de suivre une formation en France.
"Fred témoigne de son parcours de malien expatrié :
Originaire de la Côte d'Ivoire, il a émigré au Mali où il a obtenu un CAP d'électricien puis, pendant un an, a suivi des cours avec le CNED. C'est en France qu'il a trouvé une formation correspondant à ses souhaits et le couple s'est installé chez ses beaux-parents dans le nord de la France..
A commencé alors pour lui un véritable parcours du combattant : d'abord à Nevers où il a dû passer des nuits à l'hôtel, puis à Lyon où il a travaillé 3 mois chez un patron fort compréhensif et généreux , puis à Montluçon où il a connu une nouvelle désillusion . Depuis février , il a enfin commencé la formation espérée à l'AFPA de Nevers. A chaque étape, il manquait toujours un papier ou une information que la conseillère de Pôle Emploi ignorait ou ne lui avait pas transmis. Son histoire reflète les difficultés d'intégration rencontrées par un expatrié qui a opté pour une migration choisie.
Damien, témoigne des difficultés de la réalisation d'une Europe sociale:
Il travaille dans une entreprise à Cercy la Tour et doit fréquemment se rendre au Portugal. Dans ce pays, les salaires sont deux fois plus faibles qu'en France et la culture est telle qu'ils travaillent tout en se déclarant en grève.
Jasmina, partenaire du CCFD terre-solidaire a été accueillie par la région Bourgogne Franche-Comté, à l'occasion de la campagne du carême 2013.
Originaire de l'île de Mindanao située au sud des Philippines, elle travaille au sein de l'association KAAGAPAY.
Son exposé a pour thème "Migrations - Développement- Droits fondamentaux".
Elle aborde successivement les points suivants:
· Quelques caractéristiques de son pays :
C'est un archipel comprenant 7107 îles dont 2000 sont habitées. Le mode de transport est le bateau et secondairement l'avion. Le climat, équatorial à Mindanao, est tropical au nord des Philippines. Le volcanisme et les séismes sont importants. La langue officielle est l'anglais mais le dialecte le plus courant est le Tagalog. La population est estimée à 95 millions d'habitants. 93% des Philippins sont chrétiens. La communauté musulmane représente 5% de la population et est concentrée sur Mindanao et 2% des habitants sont bouddhistes .
A Mindanao vivent aussi des migrants philippins venus des autres îles.
· Les raisons de l 'émigration des Philippins
Ø La pauvreté liée aumanque de travail :
Elle concerne surtout les personnes peu scolarisées et peu qualifiées qui trouvent du travail au Moyen-Orient (femme de ménage, service à la personne, livreur, travail dans le bâtiment, restauration ...).
Les plus qualifiés sont dans le commerce.
1,5 millions de Philippins travaillent à l'étranger, soit 10% de la population. En 2009, on a estimé à 4300 le nombre de Philippins quittant chaque jour leur pays. Le gouvernement a promis la création d'1 million d'emplois mais ceux-ci sont à l'étranger .
Les pays d'accueil sont surtout ceux du Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Qatar),l'Asie orientale (Hong-Kong, Taïwan) et l'Amérique du Nord (pays anglophone). Les autres destinations sont en Europe: Italie, Grèce, Espagne, France.
La coupe du monde de football prévue en 2020 au Qatar risque d'augmenter le nombre d'expatriés philippins. Les domestiques qui accompagnent les familles aisées, en voyage dans les pays tels que la France , restent souvent en France où les conditions de vie leur paraissent meilleures. Cela explique le nombre important de philippins sans-papiers dans la région parisienne.
Ø Les nombreux typhons (plus de 20 par an) : ils entraînent des destructions importantes et de nombreux morts.
· Les conséquences de ces flux migratoires
Ø Des conséquences positives pour l'économie philippine :
Les migrants contribuent à 10% du PIB du pays.
On estime à 173 milliards de $ la somme d'argent renvoyée (= la Rémittance), depuis 2010, dans leurs familles par les expatriés.
Ces migrants sont, dans leur pays, qualifiés de "héros modernes".
Ø Des conséquences négatives de ce flux migratoire :
Il entraîne une "fuite des cerveaux". Le pays manque d'enseignants, de personnel hospitalier, ...
Des familles sont séparées. Les enfants laissés sur place peuvent devenir alcooliques, délinquants... Des filles deviennent mères dès l'âge de 15 ans.
Des familles restent dans la dépendance de la Remittance des expatriés. Pour compenser leur absence, les migrants envoient portables et tablettes numériques. Cela créée une société de plus en plus matérialiste.
· Le lien entre KAAGAPAY et le CCFD Terre-Solidaire
L'association est partenaire du CCFD Terre-Solidaire dans les domaines de l'éducation, de la formation et de l'organisation .
Jasmina coordonne le programme d'aide juridique et d'assistance pour les travailleurs migrants qui sont à l'étranger et pour ceux qui retournent au pays. Elle informe, avant leur départ, les migrants sur leurs droits et les aide à porter plainte contre les recruteurs (certains migrants peuvent rester 5 mois sans toucher leur salaire).
Elle signale, aux consulats philippins des pays d'accueil, les cas de maltraitance des migrants.
Elle permet aux migrants de retour dans leur pays et à leur famille, de suivre une formation pour trouver des activités génératrices de revenus. Elle permet aussi aux migrants qualifiés, de retour aux Philippines, de créer une micro-entreprise.
Un débat a fait suite à cette conférence. En voici quelques extraits :
· De quand date l'association et combien de personnes aide- t- elle?
KAAGAPAY existe depuis 1996. Elle aide environ 600 personnes.
· Les philippins sont-ils condamnés à vivre ainsi ? Existe-t-il un espoir pour eux ?
Le problème est la corruption au sein du gouvernement. Sa politique est de faciliter le départ des migrants et non de contrôler les flux. Les plantations sont exploitées par des multinationales qui fournissent des emplois peu rémunérés. On espère que l'on arrivera à réduire le flux des migrants car le Président a promis de lutter contre la corruption.
· Pourquoi les Philippins migrent alors qu'il y a besoin d'eux sur place ?
Les possibilités de travailler existent mais le salaire est insuffisant pour nourrir une famille. Les trois principales îles sont con cernées par les migrations.
· Les Philippins qui ont migré de Manille à Mindanao sont-ils aussi aidés ?
Cette migration date de 1960, époque à laquelle Mindanao était très prospère. Ces migrants n'ont pas besoin de l'aide de KAAGAPAY.
· Pourquoi les migrants rentrent -ils dans leur pays ?
Ils partent généralement avec un contrat de 2 ans et doivent rentrer dans leur pays pour le renouveler.
· La démographie est-elle un problème ?
La population non qualifiée a une taux de fécondité = 5,9 alors que ce taux n'est que de 1,9 pour la population qualifiée
· Qu'en est -il de la situation à Mindanao, où des rebelles ont lutté contre le gouvernement ?
Il faut se référer à l'histoire des Philippines : ces rebelles sont issus de la communauté musulmane. Les philippines ont été colonisées pendant plus de trois siècles par les Espagnols puis, par les USA , pendant 88 ans. Or, au XVI° siècle, Magellan n'a jamais réussi à coloniser Mindanao. Actuellement, les rebelles qui sont issus de la communauté musulmane estiment qu'ils ont le droit de diriger eux-mêmes leur île. L' accord passé en 2012 avec le gouvernement laisse espérer une paix véritable.
· La pêche est-elle importante ? Y-a- t-il un pillage de la mer ?
Les pêcheurs sont nombreux mais les multinationales disposent de grands bateaux qui restent plusieurs mois.
Le taux de poissons restant pour les petits pêcheurs est faible.
En conclusion, Jasmina donne les motivations de son engagement dans KAAGAPAY
Elle est entrée dans cette association alors qu'elle était encore étudiante. Son oncle et sa tante ont quitté le pays pour travailler. Elle a ainsi réalisé toutes les conséquences négatives qui en résultent. C'est pourquoi elle s'est engagée à aider les migrants dans toutes les étapes de leur parcours.
Elle a fait la remarque suivante :"Si tous les Philippins dans le monde s'arrêtaient de travailler au même moment, ce serait la catastrophe".
A la question : "Que peut-on faire pour vous aider ?", elle répond que le fait d'avoir été invitée par le CCFD et d'avoir pu librement parler de son association est une aide importante pour elle.
Elle remercie les personnes qu'elle a rencontrées en France pour leur accueil chaleureux et le partage de leur expérience.
La soirée s'est terminée autour d'un verre de l'amitié.
Une information : L'émission "L'invité des matins" du 22 mars 2013 à 8H30 sur "France Culture" contient le témoignage intéressant d'une Philippine, employée au Qatar. Il est sans doute encore possible de la réécouter ou de la podcaster.
Patrice Royer