Pour celles et ceux qui voudraient quelques éléments permettant de mieux comprendre le contexte et la situation actuelle en Tunisie, voici un document rédigé par Camille Leprince chargée de mission Maghreb Machreq au CCFD Terre Solidaire.
point sur le contexte tunisien et notre engagement au regard du fsm 2013
Camille Leprince, chargée de mission Maghreb-Machreq, CCFD-Terre Solidaire
Cette note a pour but de d’apporter quelques éléments de compréhension supplémentaires sur notre engagement auprès des acteurs tunisiens et sur le contexte dans lequel se déroule le FSM.
La tenue du FSM est un événement particulièrement important pour l’engagement du CCFD-Terre Solidaire dans la zone Maghreb-Machreq puisque les échanges porteront en partie sur l’avenir des révolutions arabes et leur écho avec les questionnements d’autres sociétés civiles à l’international. De plus, notre principal partenaire tunisien à l’heure actuelle, le FTDES (Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux), en est cheville ouvrière sur le terrain, ce qui nous encourage à considérer le FSM comme une étape supplémentaire de construction de notre partenariat mais aussi d’exploration du contexte.
Stratégie partenariale en Tunisie :
Notre stratégie partenariale en Tunisie consiste, ainsi que pour l’Egypte, à soutenir la dynamique des processus révolutionnaires. Comme dans toute la région Maghreb-Machreq, l’accent est mis sur la construction d’un « vivre-ensemble » et trois axes ont été définis comme leviers pour déployer cet objectif.
- Lutter contre la marginalisation des « déçus », « exclus » ou « perdants » des révolutions ;
- Favoriser les nouvelles formes de mobilisation et la participation de la jeunesse ;
- Valoriser la construction d’une expertise locale indépendante, transparente et participative pour nourrir le plaidoyer et la réflexion sur de nouveaux modèles de développement.
Lutter contre la marginalisation des « déçus », « perdants », ou « exclus » des révolutions :
Les brusques et profonds changements survenus dans le monde arabe risquent de mener à la marginalisation d’une frange de la population, voire de plusieurs groupes qui se considèrent comme des « perdants », des « exclus » de la révolution. Il s’agit d’abord des jeunes, nombreux à avoir le sentiment de s’être fait voler leur révolution. De milieux populaires ou plus aisés, investis dans les soulèvements au nom de revendications sociales ou avec des leitmotivs plus politiques, les jeunes, les jeunes chômeurs, en particulier, représentent un potentiel de mobilisation qui peut aussi très vite se transformer en potentiel d’explosion s’ils ne trouvent pas les moyens de peser sur les mutations actuelles.
Les partis islamistes au pouvoir adoptant en outre des options libérales en matière économique, il est peu probable que la réponse apportée soit satisfaisante. La montée au pouvoir des partis islamistes s’est accompagnée d’un repositionnement idéologique global de la société, qui a profité à leur aile plus extrême et par laquelle ils sont sans cesse menacés de se faire déborder. Cette tendance radicale est aussi susceptible de recruter parmi les jeunes qui se sentent abandonnés par le pouvoir.
En même temps, de l’autre côté du spectre politique, la gauche démocratique, féministe et laïque s’est retrouvée marginalisée et ses militants sont souvent éprouvés. Alors qu’ils se sont battus contre l’autoritarisme durant des décennies, ils ne parviennent pas à s’affirmer dans le jeu électoral actuel. Enfin, les femmes sont également souvent considérées comme les grandes perdantes des printemps arabes. Il est donc nécessaire d’avoir une attention particulière à ces groupes - divers et parfois en opposition - qui se sentent marginalisés dans l’après-révolution.
Favoriser les nouvelles formes de mobilisation et la participation de la jeunesse :
Alors que les révolutions arabes ont jeté les bases d’une ouverture démocratique, nombre de citoyens ne se reconnaissent pas dans les partis politiques actuels, ou bien considèrent que les régimes en place portent encore trop les stigmates de ceux qui les ont précédés (clientélisme, poids de l’armée, dérives autoritaires) pour être crédibles. Aussi, sans dévaloriser le politique, il semble important de favoriser l’émergence de pratiques militantes diversifiées, qui permettent de toucher ceux ne se sentent pas représentés par les formes politiques classiques. Celles-ci constituent notamment une alternative pour la mobilisation des jeunes et l’émergence d’une citoyenneté.
La culture et les nouveaux médias constitueront deux outils majeurs pour faire bouger les lignes de fracture – qu’elles soient politiques, socioculturelles ou générationnelles. Dans les pays où l’arbitraire reste prégnant, ces alternatives représentent les rares espaces de liberté dont disposent les citoyens. De cette manière, le rôle de la culture est stratégique puisqu’elle permet d’aborder des sujets parfois tabous, de recréer du lien et du débat, de se réapproprier l’espace public, et de questionner la représentation de soi et du monde.
Valoriser la construction d’une expertise indépendante, transparente et participative pour nourrir le plaidoyer et la réflexion sur de nouveaux modèles de développement :
Nombre de partenaires et d’alliés font remonter le besoin de produire des outils de réflexion concernant les problématiques sur lesquelles ils travaillent. Ces enjeux (chômage, économie informelle, migrations clandestines, etc.) sont souvent niés par le pouvoir, qui s’appuie sur les institutions officielles publiant des chiffres erronés et des analyses biaisées. L’objectif est donc de produire une expertise indépendante du pouvoir, mais aussi des experts internationaux pour rester autonome d’un agenda politique extérieur.
Avec un nouveau projet visant la création d’un Observatoire Social Tunisien s’appuyant sur l’ancrage local de plusieurs bureaux régionaux spécialisés sur une diversité d’enjeux sociaux, le FTDES est devenu un partenaire majeur depuis 2011. En effet, la révolution tunisienne de janvier 2011 constitue le produit de l’échec d’un modèle de développement dans lequel la question sociale ne figure plus. A l’heure des bouleversements mais aussi de la refonte, il parait primordial de promouvoir une réflexion sur l’imbrication entre modèle économique et politique pour répondre aux revendications populaires exprimées dès les années 2000 à travers les mouvements sociaux puis pendant la révolution et encore aujourd’hui, à savoir le droit au travail, le droit à un développement régional, le droit à une répartition équitable des richesses, le droit à une vie digne et respectueuse des libertés et des droits humains.
Principaux partenaires et thématiques majeures :
- Le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) sur la thématique Economie Sociale et Solidaire, dans le but de renforcer et diffuser les alternatives de développement économique sociales et solidaires.
Le FTDES soutient la structuration du mouvement social en Tunisie. Le FTDES représente une plateforme composée de militants individuels, de membres de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme et du syndicat UGTT, qui ont mené ensemble le combat contre la dictature de Ben Ali en soutenant les mouvements sociaux, notamment ceux du bassin minier de Redeyef en 2008 et du secteur textile en 2004. Il mène des études et des actions de plaidoyer pour défendre et promouvoir les droits économiques et sociaux. Le FTDES contribue aussi à la réflexion sur les modèles économiques de développement pour la Tunisie. Basé à Tunis, le FTDES a mis en place 4 bureaux locaux. Le bureau de Monastir est spécialisé sur les conditions de travail dans le secteur textile, le bureau de Zarzis travaille sur la migration clandestine, les bureaux de Redeyef/Gafsa et de Kasserine travaillent sur le développement économique et social. Cette présence délocalisée permet au FTDES de s’ancrer localement et de prendre à bras le corps les questions qui se posent à la Tunisie nouvelle.
- Le Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) sur la thématique Prévention et la Résolution des conflits, afin de promouvoir un état de droit et d’une gouvernance participative.
Créé en France par les militants démocrates exilés sous la dictature de Ben Ali, le CRLDHT s’est donné pour mission de promouvoir la démocratie et des droits de l'Homme par le soutien aux organisations tunisiennes agissant dans ce domaine. Il a conçu son rôle comme celui d'une instance « relais » par rapport aux associations autonomes au sein de la société civile tunisienne, dont il se veut la caisse de résonance : son action a, par conséquent, toujours été menée en étroite relation avec les réseaux actifs sur place. Aujourd’hui l’association continue de faire le lien entre la diaspora tunisienne en France et les militants du terrain, jouant un rôle d’appui et de conseiller vigilent quant à l’évolution de la transition politique.
- Le Centre d’Etudes de Carthage, sur la thématique Education, Formation, Citoyenneté, pour encourager l’expression de la citoyenneté auprès d’un public jeune.
Historiquement issue d’une initiative commune entre l’Evêché de Tunis et l’Université Catholique de Lyon, la bibliothèque du Centre d’Etudes de Carthage est constituée depuis 1955 en association régie par le droit tunisien. L’internationalité de la structure constitue un précieux facteur d’ouverture et de reconnaissance de la différence. Le centre se place en soutien au dispositif public lié à l'enseignement supérieur en contribuant à l'accès aux ouvrages de référence liés aux cursus en place pour palier les lacunes des bibliothèques officielles et a pu jouer le rôle de lieu-ressources favorisant les rencontres intellectuelles.
- L’Association pour la Sauvegarde des Oasis (ASOC) dans le cadre du Réseau Associatif de Développement Durable des Oasis (RADDO) sur la thématique de Souveraineté Alimentaire, autour de la promotion d’un nouveau modèle de développement agricole reposant sur les agricultures familiales et la gestion durable des écosystèmes.
L’ASOC réalise et encourage des actions de développement durable visant la réhabilitation de l'oasis de Chenini, la sauvegarde de ses ressources et la mise en valeur de son patrimoine. L'ASOC est membre du RADDO, réseau d'associations (de Tunisie, d'Algérie, du Maroc et de Mauritanie) actives pour la sauvegarde des oasis. Né en novembre 2001, le RADDO a pour objectifs la promotion du développement durable, la sauvegarde et la réhabilitation des oasis comme patrimoine économique, écologique, culturel et social de l'humanité. Le RADDO mène des actions de plaidoyer, sensibilisation, formation, et intervient dans tous les domaines de la vie oasienne, en particulier la gestion des ressources naturelles, l'agriculture, la valorisation économique des spécificités et des produits oasiens.