GG.jpegConférence de Geneviève GUENARD directrice administrative et financière au CCFD-Terre Solidaire à Rodez et Albi les 22 et 23 octobre 2012

Nous lisons souvent l’argent comme la source de tous les maux. L’argent est suspect, l’argent est mauvais ;

 

Vous savez que l’argent dans le nouveau testament est présenté comme un domaine à haut risque :

« Vous ne pouvez servir deux maîtres, Dieu et l’Argent»Mt16,24b, Lc 16,13

Nous entendons très bien cette affirmation et dans l'Eglise où dans le peuple chrétien latin elle a été la source d'une certaine culpabilité vis-à-vis de l'argent. Culpabilité qui se traduisait par le sentiment qu'on était bien obligé de se servir de l'argent mais que c'était pas tout à fait correct. 

Ce que l'on a oublié bien souvent c'est une autre phrase de l'évangile de Luc qui est située juste avant celle que nous venons d'évoquer :

« Faites-vous des amis avec l’argent trompeur pour qu’ils vous accueillent dans le Royaume.»Lc16,9

L’argent n’est qu’un instrument au service de ce que je veux en faire.

Ces deux phrases représentent la tension difficile à laquelle tout chrétien, et sans doute tout homme responsable, doit s'affronter : nous sommes invités non pas servir l’argent comme on sert un maître absolu, mais nous servir de l’argent pour le service de nos frères.

 

Qu’est-ce que se servir de l’argent et non servir l’argent ?

Nous les catholiques latins, et beaucoup de gens que notre culture a influencés, sommes méfiants, distants vis-à-vis de l'argent. Un banquier me disait un jour : « beaucoup de gens qui me confient de l'argent à placer y consacrent moins de temps qu'à choisir un réfrigérateur ». Mais cette distance, ce désintérêt, c'est dangereux car nous nous soumettons à l'argent faute de vouloir le diriger. Et l'argent est un maître exigeant, qui impose sa logique, celle du « toujours plus ».

 

Ne plus regarder le monde à partir de moi-même

 

Les planisphères : tout pays se met au centre du planisphère cf un planisphère classique pour nous et celui de Mac Arthur (australien). Nous nous pensons naturellement comme le centre du monde, le point à partir duquel le monde s'organise. Il est important d'en prendre conscience.

La parabole du Bon Samaritain nous invite à changer de centre.

 

Considérons la parabole du bon samaritain. Elle commence par un juriste religieux demandant à Jésus « qui est mon prochain ? ». Elle se termine par une question de Jésus à ce juriste : « qui a été le prochain de cet homme ? ».

Jésus a complètement renversé la perspective. Quand je demande « qui est mon prochain ? », je me place au centre et je regarde autour de moi. Quand Jésus demande « qui a été le prochain de cet homme », il le place, lui, au centre. Et celui qui est ainsi placé au centre, c'est celui qui est meurtri, abandonné, au bord de la route.

Et ce texte se termine par « va, et fait de même ». Nous sommes invités à mettre celui qui est meurtri, abandonné, au centre de tout.

Changer de centre est révolutionnaire.

 

Mettre l'homme exclu comme principe organisateur de l'économie et non moi et mon profit est révolutionnaire.

 

La finance telle qu'elle se décline dans les théories économiques de ces trente dernières années c'est :    

Þ            la libéralisation totale des marchés livrés aux seules règles de la concurrence

Þ            la loi du profit le plus rapide et le plus élevé

Þ            le règne du plus fort et du "chacun pour soi"

L'idéal économique ces dernières décennies a été celui des marchés "complets" c'est-à-dire de situation ou un marché existe pour tout. Ce ne sont plus des personnes avec des besoins vitaux que l'on considère mais des "homo oeconomicus". Le seul lien reconnu entre les individus par les règles économiques en vigueur étant le lien marchand, tout étant considéré d'abord comme un objet de profit, la seule visée du marché est le profit maximum. Tout se vend, tout s'achète des droits à polluer, les emprunts immobiliers des particuliers aux USA, les "futures", c'est à dire les promesses de livraisons futures à un prix prédéterminé de produits agricoles ou énergétiques, etc. Nous sommes passés dans une financiarisation de tout.

 

 

La logique financière dans la finance moderne s'intéresse à ce que chaque euro investi rapportera à l’investisseur. Le coût social de ce fonctionnement est sans pertinence réelle.

Le lien avec l’économie réelle qui est la vie des populations est pratiquement nul.

L'investisseur est le centre à partir duquel se pense l'économie.

 

 

En 2009 le rapport de l'inspection générale des finances sur le microcrédit on pouvait lire : « En bâtissant la logique financière sur ce que produira pour la société chaque euro investi et non sur ce qu’il rapportera à l’investisseur, la Finance Solidaire se place dans une véritable logique alternative de financement de l’économie ».

 

Ce n'est pas la légitimité de l'acte économique que l'on nie dans la finance solidaire, mais c'est par lui que l'on veut atteindre des effets sociétaux, sociaux, en termes de liberté, d'écologie, de cohésion sociale et de lutte contre l'exclusion.

L'économie cherche à devenir un moyen et non une fin en soi, pour atteindre différents objectifs.

La finance solidaire inverse la logique de la finance moderne en plaçant le bien commun de notre société et non l'investisseur individuel comme le centre, le point organisationnel, de l'économie.

 

 

La logique financière dans la finance moderne s'intéresse à ce que chaque euro investi rapportera à l’investisseur. Le coût social de ce fonctionnement est sans pertinence réelle.

 

La logique financière de la Finance solidaire s'intéresse à ce que produira pour la société chaque euro investi. C'est un changement absolu.

C’est un changement de centre. Le centre n’est pas la société financière ou l’individu cherchant sont propre profit maximum mais le bien commun.

Et c'est un changement qui n'atteint pas que les grands acteurs économiques mais qui m'atteint moi dans mon rapport à mon argent.

 

Comment fonctionne la finance solidaire

A partir de quelques principes que l'on retrouve dans la doctrine sociale de l'Eglise :

 

Premier principe : l'homme est au centre de toute la vie économique (voir Caritas in veritatae – CV). Ce principe s'oppose à la logique actuelle qui fait de l'homme un agent de la vie économique : agent de production ou agent de consommation.

Et tous, nous entrons facilement dans ce jeu. Je me rappelle d'une manifestation au Canada, contre la mondialisation de l'économie. Pendant une pause, deux manifestants étaient interviewés  sur l'évolution de leurs fonds de pension. Ils étaient contre la mondialisation, mais ne réalisaient pas que leurs fonds de pensions mêmes travaillaient selon les principes qu'ils dénonçaient !

Quand je demande seulement aux banquiers ce que va rapporter mon placement, et pas à quoi il va servir, je suis dans ce schéma.

 

Il est légitime de se constituer un patrimoine attitude prévoyante face à l'avenir (jeunes couples, personnes plus âgées), mais quel est mon rapport à mon patrimoine.

 

Deuxième principe : la solidarité est un devoir (CV)

Nous sommes dans une société de droit, on pourrait même dire de droits. Et ces droits, nous les défendons : les fameux droits acquis. Nombreux sont ceux qui sont tentés de prétendre ne rien devoir à personne, si ce n'est à eux-mêmes. Ils ne s’estiment détenteurs que de droits et ils éprouvent souvent de grandes difficultés à grandir dans la responsabilité à l'égard de leur développement personnel et de celui des autres.

Il est important de susciter une nouvelle réflexion sur le fait que « les droits supposent des devoirs sans lesquelles ils deviennent arbitraires » (CV). Nous avons le devoir de vérifier que la défense de nos droits ne va pas détruire ceux qui sont autour de nous. Avoir en commun des devoirs réciproques mobilise plus que la seule revendication de droits.

Le partenariat est fondé sur la reconnaissance de devoirs réciproques. Et les partenaires nous aident à en avoir conscience : lors de la rencontre d'accueil des partenaires, le CCFD a présenté son thème d'année « le partage des richesses financières ». Et des partenaires ont alors demandé ce qu’ils pouvaient faire pour aider le CCFD à soutenir ce thème.

 

 

Troisième principe : il faut prendre en compte le bien commun.

La solidarité, ce n'est pas la compassion … mais le travail pour le bien commun (CV). Mettre son argent dans un coffre-fort n'est pas coopérer au bien commun (cf. parabole des talents). Ainsi un évêque qui avait besoin de changer de voiture d'un seul coup pensait renoncer à le faire parce que c'était la crise : il n'agissait ni en faveur de son intérêt, ni en faveur du bien commun.

« L'homme ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n’appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres » (Gaudium et spes). Il s'ensuit un devoir de la part des propriétaires de ne pas laisser improductifs les biens possédés, mais de les destiner à l'activité productrice, notamment en les confiant à ceux qui ont le désir et les capacités de les faire fructifier. Chaîne des placements solidaire SIDI.

80% de la population mondiale exclue de tout prêt bancaire donc de toute capacité à initier des activités d'autofinancement.

 

De quoi est constituée la finance solidaire :

 

  • D'entreprises solidaires dont il est possible de devenir actionnaire. L'argent placé est intégralement utilisé pour la vie de l'entreprise.
  • De placements bancaires OPCVM ou livrets. L'aspect solidaire est alors souvent double : entre 5 et 10 % sont investis ou prêtés à des entreprises solidaires, 50 à 75% des revenus du placement sont versés à une ONG.
  • D'épargne salariale, puisque chaque plan d'épargne salariale comporte une poche de 3% investie dans l'économie solidaire.

 

 

En 10 ans, en France, le montant de l'épargne solidaire est passé de 309 millions d'euros à 3.5milliards d'euros.

 

Pour souscrire à la finance solidaire il faut s'adresser à une entreprise solidaire si l'on veut devenir actionnaire, à sa banque si l'on veut un placement solidaire et à son entreprise si celle-ci offre un plan d'épargne salariale à ses salariés.

 

Le CCFD-Terre solidaire avec la SIDI offre à ceux qui le désire la possibilité d'investir dans une entreprise solidaire et avec les fonds "Faim et Développement", "Faim et Développement Agir CCFD", "Eurco-Solidarité", "Ethique et Partage", les"livrets et cartes Agir" et ou le service d'épargne de partage des moyens de s'engager dans cette finance solidaire.

Tous les renseignements sont accessibles sur le site du CCFD-Terre solidaire.

En pratique

Il est légitime de se constituer un patrimoine. Mais il faut savoir répondre à quatre questions.

Ø   Mon patrimoine est-il proportionné à ce qu'il doit m'assurer ?

Ø   Ma façon de me constituer mon patrimoine est-elle socialement responsable ?

Ø   Ma façon de me constituer mon patrimoine est-elle source d'appauvrissement ou d'enrichissement pour les autres ?

Ø   Ai-je besoin de la totalité des revenus de mon patrimoine ?

 

Il est difficile de répondre lucidement à ces questions en étant seul. Se mettre ensemble donne de la force et du poids.

Si je rentre dans un fonds commun de placement, je peux, avec tous les autres épargnants, être plus exigeant.