entretien GUY AURENCHE Et FRANçOIS SOULAGE, présidents respectivement du CCFD-terre solidaire et du Secours catholique (journal LA CROIX du 26/10/2012)
« Derrière le mot catholique, il y a l’idée d’accueil de tous »
À la tête de deux associations catholiques engagées dans des actions de solidarité, Guy Aurenche et François Soulage évoquent la justice sociale, le rôle d’une ONG catholique, les rapports avec l’Église…
RECUEILLI PAR OLIVIER TALLÈSVous publiez ensemble Le Pari de la fraternité (1). Pourquoi avoir choisi le terme de fraternité plutôt que celui de charité ou de solidarité ?François Soulage : La solidarité aujourd’hui est de plus en plus institutionnalisée. Elle a un caractère univoque dans lequel on ne se remet pas en cause soimême. La fraternité est un concept plus large qui vous met sur un pied d’égalité avec l’autre : au Secours catholique, nous sommes en interaction avec les pauvres. Nous travaillons avec eux et pas seulement pour eux. Il y a en plus une dimension catholique dans le mot fraternité : l’autre est mon frère et nous avons le même Père.
Guy Aurenche : Cependant, la fraternité ne doit pas être une échappatoire. Il ne faudrait pas que le terme très consensuel de la fraternité nous fasse oublier la dimension d’engagement de la solidarité et la dimension spirituelle de la charité.
Le livre porte beaucoup sur la dimension catholique de vos ONG. Quelle est cette spécificité ?
G. A. : L’adjectif catholique nous est indispensable. Notre action très concrète, nous la déployons parce qu’un amour, une source, un souffle nous est donné, qu’il nous faut sans cesse retrouver. Si le CCFD-Terre solidaire devait être rebaptisé aujourd’hui, je militerais pour que l’adjectif catholique soit maintenu dans son sigle. Car une société de vivre-ensemble, ça se construit par un souffle.
F. S. : Derrière le mot catholique, il y a l’idée d’universalité et d’accueil de tous les hommes, sans condition. Nous sommes aussi porteurs d’évangile. Nous portons ce souci du plus pauvre dans nos actions de plaidoyer.
Vos deux associations ont évolué très tôt de la charité vers la justice sociale. Certains fidèles vous reprochent de faire de la politique et d’outrepasser votre rôle.
F. S. : Nous devons combattre les causes de la pauvreté. C’est bien d’aider les personnes en difficulté, mais le message du Christ dans ses miracles a souvent été de remettre les gens debout. Comment aider les pauvres à se lever sans militer pour un système plus juste ? Nous dialo- / AnAyA Celine guons avec les forces politiques pour lutter contre les causes de la pauvreté, car la France est une société démocratique où les décisions qui s’expriment sont de nature politique. Lorsque le Secours catholique participe à un plan contre l’exclusion, il est dans son rôle. On intervient sur le logement, l’accès aux droits, les questions bancaires, pour trouver des solutions durables à des situations quotidiennes.
G. A. : Travailler pour la justice sociale, c’est essayer de procéder à des ajustements dans nos choix politiques et économiques, dans le partage des terres, dans l’organisation de la finance. Prenez l’économie. Son rôle n’est pas de faire de l’argent mais d’aider les hommes et les femmes à vivre et à coexister ensemble. Notre économie doit donc être réajustée sur le vivre-ensemble et le bien commun.
Les jeunes semblent réfractaires à des formes d’engagement durables. Comment renouveler vos militants ?
G. A. : Attention de ne pas classer un peu trop vite les jeunes sur le thème « ils sont moins engagés ». Certes, ils n’ont plus la démarche de dire : on va changer le monde, on va le refaire autrement. Ils sont assez désabusés. Ils sont aussi plus réalistes et plus modestes. Ils ont une approche moins globale, moins utopique. Quand on leur propose de s’engager sur une action précise et ponctuelle comme l’accaparement des terres, ils s’y mettent. Et ça marche.
F. S. : Les modes d’engagement vont bouger du fait de la montée importante de l’individu dans notre société. C’est à nos organisations de s’adapter à de nouveaux modes d’actions.
Quelles sont vos relations aujourd’hui avec le Vatican ?
F. S. : Nous nous retrouvons sur l’essentiel. Certains chrétiens estiment que notre engagement dans le monde peut nous conduire à perdre notre foi. Je pense au contraire que travailler pour le Secours catholique est une manière de la vivre et de la vivifier.
G. A. : Dans le cadre d’une institution, d’un groupe humain, il est logique d’avoir des débats. Les interpellations par le Vatican sont toujours vivifiantes et rappellent le sens du mot communauté. Cela dit, nous allons vers une aggravation de certains clivages autour de la question : comment l’Église souhaite-t-elle être présente au monde ? Le CCFD-Terre solidaire défend une forme de conversation avec le monde. Nous organisons des partenariats dont la moitié ne sont pas liés avec des mouvements d’Église, dans la joie de la rencontre. C’est parfois mal compris par des responsables de l’institution qui ont peur de l’avenir.
En Europe, l’État semble se désengager d’une partie de son action sociale…
F. S. : Cela reste heureusement marginal. Notre bataille, c’est que l’État se préoccupe de régulation face au risque croissant de marchandisation. On met toutes les fonctions, dont le social, dans un système de concurrence. Veut-on construire une société qui repose uniquement sur l’argent ? Nous devons inciternotre gouvernement à avoir un rôle de régulation et d’attention aux plus pauvres.
G. A. : La société civile ne doit pas prendre la place de l’institution mais jouer son rôle de poil à gratter, poser des questions, faire réfléchir. La mobilisation citoyenne est bien vivante. La taxe sur les transactions financières qui devrait voir le jour en 2013 a été une occasion de mettre un peu d’éthique et de morale. Les hommes politiques se sont emparés du dossier sous la pression de la société civile.
(1) Le Pari de la fraternité, entretiens avec Aimé Savard, Éd. de l’Atelier, 238 p., 22 €.