« Donnez-leur vous-même à manger » (Documents Épiscopat, N°1/2012) présente la contribution théologique du Comité catholique contre la faim et pour le développement. Rencontre avec Guy Aurenche, son président. Par Florence de Maistre.
En quoi est-ce important pour le CCFD-Terre solidaire de partager aujourd'hui sa réflexion théologique ?
Ce numéro des Documents Épiscopat est publié à l'issue des célébrations des 50 ans de la fondation du CCFD. Nous nous sommes saisis de cet anniversaire pour relire l'histoire passée et nous donner les moyens d'une histoire à venir. C'est une histoire qui se vit en lien avec la Parole de Dieu ! Ce travail de relecture nous a permis de repérer les intuitions, les « coups de génie » du Saint-Esprit dans ce que nous avons vécu. Il éclaire aussi les enjeux, et ce que nous souhaitons vivre ensemble. De plus, c'est important de savoir reprendre souffle et de le dire, même si nous sommes d'abord des actifs et des agissants. Cette réflexion théologique est une manière de dire le souffle particulier qui anime notre histoire et plus profondément de se ressaisir du souffle qui encourage nos décisions d'œuvrer. Avec quelques membres du CCFD-Terre solidaire, salariés et bénévoles, le P. André Talbot, théologien, a très généreusement rédigé le texte du document. D'ici quelques semaines, un guide de lecture sera diffusé auprès de nos 1200 équipes locales pour qu'elles puissent se l'approprier, concrètement.
Quelle est la place de la réflexion théologique au sein du CCFD-Terre solidaire ?
Il faut d'abord rappeler que le CCFD est né de l'intuition du Pape Jean XXIII. En 1959-60, dans le contexte des Trente glorieuses, l'organisation mondiale contre la faim (FAO) lance un cri d'alerte et organise une collecte : la faim fait des ravages. Le Pape entend cet appel et demande aux Églises locales de trouver les moyens de s'associer à cette collecte. En 1961 l'assemblée des cardinaux etarchevêques de France crée le Comité catholique contre la faim. Dès le départ, il y a le cri des hommes et des femmes qui meurent de faim, la société entière qui se révolte et l'Église qui prend au sérieux cet appel au secours et qui prend à cœur de proposer des actions. Chez nous, elles s'inscrivent dans le temps du Carême, avec des temps de réflexion, de jeûne, de prière, de mobilisation des jeunes, etc. La prière et l'action ne sont à aucun moment dissociées. Au cœur de la foi de l'Église, l'Esprit nous envoie son souffle pour agir sur le monde et pour le transformer. Dès le départ, aussi, une diversité de mouvements et services d'Églises, aujourd'hui au nombre de 29, se retrouve dans nos équipes. Elle permet un partage d'expressions spirituelles différentes, elle nourrit la réflexion théologique et place la Parole de Dieu au cœur de nos actions. Aujourd'hui, nous constatons que nos membres n'appartiennent pas tous aux mouvements et services d'Église, parfois l'équipe CCFD est même le seul lien avec l'Église. Et nous constatons aussi un appétit spirituel qui nous amène à proposer des retraites et temps forts.
À quoi le chrétien est-il appelé ?
Dans La charité dans la vérité, Benoît XVI nous éclaire : « Donner à manger aux affamés (Matthieu 25) est un impératif éthique pour l'Église universelle, qui répond aux enseignements de solidarité et de partage de son fondateur, le Seigneur Jésus ». On voit bien que rencontrer le cri de l'affamé, c'est aussi rencontrer le Seigneur. C'est un lieu d'évangélisation. L'impératif qui vient directement de Jésus encourage nos actions. Le travail de développement, d'éducation au développement, des 450 partenariats noués à travers le monde est un chemin spirituel personnel et une aventure pour toute l'Église. Et au cœur même de ce travail, il y a l'espérance, sans laquelle nous laisserions le monde s'enliser dans la violence. Nous avons reçu le don de l'amour de Dieu. Dans toutes nos rencontres, nous essayons de redonner à ce monde des puits d'espérance.
Quels sont les grands signes qui encouragent votre action ?
Dans ce monde qui se construit sur des relations dures, concurrentielles, violentes, le CCFD-Terre solidaire fait l'expérience du partenariat, c'est à dire l'expérience de l'alliance. Cette alliance se vit de groupes à groupes, avec des associations locales, chrétiennes ou non, dans 65 pays du monde. Avec les veuves africaines, avec les malades du sida en Chine, avec Mgr Pedro Barreto, évêque de Huancayo, dans la lutte contre la pollution qui tue les enfants du Pérou, etc., nous rejoignons les personnes à la marge. Nos partenaires ne sont plus seuls : c'est une victoire ! Nos questions, parfois nos propositions inspirent les institutions publiques, comme l'idée de la taxe sur les transactions financières qui est reprise par l'État ou encore la stabilisation des cours des produits agricoles qui est au menu du G20. Enfin, en France, nos 15000 membres travaillent beaucoup autour de la capacité à construire et à développer un vivre ensemble plus juste et moins dur. Ce ne sont pas des signes, ce sont de vraies lumières !