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Louis Moulay est militant du CCFD-Terre Solidaire à Tours. Il nous livre ici un texte plein de pédagogie sur une notion dont on entend parler, de Notre Dames des Landes jusqu'aux contrées les plus éloignées : "l'accaparement des terres".


Définition et Extensions de la notion d’Accaparement des terres 

         L’accaparement se réalise par une vente ou une location de terres arables, souvent à grande échelle, consentie par des Etats à des investisseurs publics ou privés, qui en tirent profit pour leurs concitoyens au détriment des populations locales. Depuis 2008, l’intérêt pour la terre s’est accéléré et a pris de l’ampleur. Un changement de stratégie a été adopté par certains pays importateurs et groupes privés. Au lieu d’acheter leur alimentation sur des marchés internationaux, ils préfèrent produire pour eux sur de très grandes surfaces, grâce à la prise de possession de terres appartenant aux pays du Sud. Une partie des terres est ainsi soustraite aux ressources vitales (alimentation, eau, richesses du sous – sol, forêts…) des populations locales. Dans le top des pays cibles, signalons l’Ethiopie, le Congo, le Soudan, Madagascar et pour les pays investisseurs, retenons dans l’ordre la Chine, l’Inde, les USA, le Royaume Uni. Aujourd’hui, la surface des terres accaparées dépasserait les 200 millions d’hectares et concernerait 62 pays !


Une autre forme d’accaparements se développe, de façon insidieuse, au travers des « IDE » Investissements Directs à l’Etranger. Dans la course aux ressources, les multinationales, implantent des filiales à l’étranger qui contribuent à internationaliser les activités productives de leurs entreprises, privatisant aussi les entreprises de réseau. Elles ont le soutien inconditionnel du FMI, de la Banque Mondiale et dans une certaine mesure de l’AFD - l’Association Française de Développement- par sa filiale PROPARCO.Ces organismes financent en priorité les investissements privés massifs (complexes

hydroélectriques, production d’agro carburants, infrastructures pour l’extraction des minerais, complexes hôteliers pour touristes…). Affectés au Public à hauteur de 70% en 1960, ces financements le sont maintenant à 70% en faveur du Privé et constituent le moteur d’un développement forcé.

         Par exemple en Inde, au Tamil Nadu,  les Dalits (intouchables) sont évincés par la force pour le lancement d’exploitations minières. Depuis toujours, le CCFD-Terre Solidaire travaille en lien avec ses ONG partenaires aux quatre coins du monde pour aider les populations à résister et à s’organiser en préconisant la mise en place d’une agriculture paysanne qui permette aux populations locales de vivre décemment de leurs activités et de subvenir ainsi à leur sécurité alimentaire.

L’Impact et les conséquences pour les Populations 

On observe l’incapacité des gouvernements (souvent corrompus) des Etats à protéger leurs populations face à des investisseurs privés puissants. Ces populations sont évincées sans ménagement (et sans compensations) par des répressions violentes, sans recours possible devant la justice. Elles sont les témoins de saccages environnementaux et de destruction d’écosystèmes qui portent atteinte à leurs droits, notamment au Brésil ou en Inde où elles sont victimes des grands propriétaires. A Madagascar et en Afrique notamment, elles ne peuvent pas prouver la propriété de leurs terres, car le droit foncier est flou, le plus souvent non écrit, appuyé sur des pratiques ancestrales. Une contribution minimum est consacrée au développement local, en feignant d’y contribuer par une mise en scène, sans que personne ne soit dupe.

                 

         Le CCFD-Terre Solidaire est aux côtés de ceux qui s’organisent pour plus de justice, en soutenant les actions menées par ses ONG alliées et en accueillant des partenaires durant la Campagne de Carême. En mars 2014, en région Centre, nous recevrons des militants brésilien et indien. Pour l’Inde, ce sera unavocat du Tamil Nadu, qui apporte son soutien aux Dalitsavec l’Association TNLRF pour le droit à la terre, en vue de recouvrer les terres « Panchami » qui leuravaient été léguées par les Anglais au début du 20ème siècle. En Inde rurale où la terre signifie le pouvoir, la dignité, la nourriture, l’éducation et la santé, des cadres sont formés, des comités d’action villageois sont créés afin de récupérer leurs

terres accaparées. Leur force est de combiner une politique de proposition à une politique d’opposition, où les femmes sont en première ligne.

 Ces militants viennent découvrir ce que l’on vit ici et ils trouvent des similitudes avec ce qu’ils expérimentent dans leur propre pays. Parallèlement, nos militants iront en immersion. A l’automne 2014, ce sera au Brésil et en Inde à  l’été 2015.

         Face au problème d’accaparement des terres qui ne cesse de s’étendre, le CCFD-Terre Solidaire mène une campagne très active « Carton jaune : Investissements hors-jeu »,dans laquelle il dénonce la non – application de règles établies au niveau international. Celles-ci, décidées en 2011 à l’ONU, prévoient un cadre politique à trois volets : obligation pour les Etats de protéger leurs populations, devoir des entreprises de respecter les droits de l’homme, accès à la justice pour les victimes. Or les institutions financières internationales accordent au privé des engagements financiers en très forte augmentation. En contrepartie, un encadrement contraignant doit être exigé (consultation des populations, études d’impacts, transparence des accords….) Si l’investissement privé est aujourd’hui incontournable, il doit néanmoins respecter les règles établies. Ce ne sont plus les Etats qui organisent la concurrence entre les entreprises mais les entreprises qui organisent la concurrence entre les Etats, imposant une course effrénée vers le bas en matière de régulation fiscale, sociale et environnementale. Les investissements privés ont leur utilité certes, à condition qu’ils soient encadrés et ne se fassent pas au détriment des investisseurs locaux et des populations. Par l’accès à la terre et à son contrôle l’économie solidaire et l’agriculture familiale doivent être des priorités. Elles sont fondées sur l’initiative privée locale et sur la capacité des communautés à se réunir autour de projets innovants qui seront générateurs de sécurité alimentaire et de revenus.

 

                            Le CCFD- Terre Solidaire propose un autre modèle de développement, un modèle qui soit moins dévoreur de ressources et favorable à la souveraineté des peuples sur leur alimentation.

                            La terre est un bien commun à tous, ancré au cœur de l’homme «  En détruisant ma maison, ils ont volé une partie de ma vie ». On ne peut arracher aux gens leurs terres sans les détruire eux – mêmes. Une minorité

devient de plus en plus riche et violente, évinçant par la force et pillant les ressources d’autrui. La convoitise insatiable de quelques-uns sans scrupule, encouragés par notre mode de consommation, prive la majorité des gens du nécessaire pour vivre décemment.

                            Soucieux de justice et de bonheur pour tous, le chrétien se dit  «  qu’en donnant au pauvre, il ne fait que lui restituer ce qui lui appartient ».

 

         Louis Moulay – Militant au CCFD-Terre Solidaire – Tours