L’actualité diplomatique et politique de ces temps-ci a mis en avant le traité de libre-échange économique entre les Etats-Unis et l’Union Européenne, appelé TAFTA ou TTIP, qui consiste en un marché transatlantique de commerce et d’investissement. De nombreuses voix se sont fait entendre pour s’y opposer, parce qu’en Europe on est en droit de craindre une emprise américaine en matière sanitaire, commerciale, financière, et, finalement politique. Par contre, on parle peu, ou pas du tout, d’un accord en cours entre l’Union Européenne et les 15 pays membres de la Communauté Economique Des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), plus la Mauritanie, et que l’on appelle A.P.E. : Accords de Partenariat Economique. Ce silence – cette indifférence !- s’explique sans doute par le fait que, pour cet accord de libre-échange, tout l’avantage est pour l’Europe et toutes les conséquences désastreuses sont pour l’Afrique ! C’est pratiquement contraints et forcés que les Etats africains ont paraphé ce processus d’accord qui les prive de précieuses recettes douanières sans réelles contreparties de l’U.E. En effet, les A.P.E. prévoient la suppression des droits de douane sur les 3/4 des exportations de l’Union Européenne, tandis que celle-ci continuera à importer d’Afrique de l’Ouest la totalité de ses produits, qui sont déjà en franchise de droits. Les pays africains ne pourront plus taxer la plupart des produits européens qu’ils importent, entraînant des pertes budgétaires considérables, alors que leur développement requiert un renforcement des capacités d’intervention publique. Et ce que l’U.E. leur promet de verser en contrepartie est un mirage. Pour les 16 pays d’Afrique, l’A.P.E. se traduira donc par une ouverture de leurs frontières sans nouvelles contreparties, et le risque majeur c’est le saut vers le libre-échange sans y être vraiment préparé, et, entre autres, l’abandon de la souveraineté alimentaire, sans parler des autres aspects économiques qui vont leur échapper : leur matières premières et leurs productions de tous ordres.
Dans une Afrique de l’Ouest où les paysans représentent les 2/3 de la population, les besoins alimentaires ont été jusqu’à présent globalement couverts, sans réel soutien des Etats. Ces paysans, peu endettés, font face aux aléas climatiques connus. Si aujourd’hui ils s’organisent, se forment et mettent au point des variétés plus résistantes, ils ne sont pas encore prêts à affronter, dans un contexte de libre-échange les paysans européens dont la productivité est jusqu’à 1 000 fois supérieure à la leur, et qui bénéficient de primes de la PAC. Leur avenir, soutenu par des ONG européennes, est dans un développement de type agriculture familiale, et ils attendent des politiques agricoles qu’elles permettent de financer du matériel, des animaux, des travaux d’irrigations, et toutes dispositions pour être les acteurs de l’agriculture africaine qu’ils sont déjà aujourd’hui. Mais l’Union Européenne, le G8, la Banque Mondiale et la plupart des dirigeants africains ne misent que sur les investissements étrangers et l’agro-industrie, en accaparant des terres, et sans se soucier ni des hommes, ni de l’environnement ni de la sécurité alimentaire. Et, selon Ibrahima Coulibaly, vice-président du ROPPA*, « L’APE ne va pas créer de la croissance, mais va détruire l’économie rurale et l’emploi paysan, et donc une migration massive des campagnes vers les villes. Ces accords confinent le rôle de l’Afrique de l’Ouest dans la fourniture de matières premières aux industries européennes, tout en offrant le marché de la région aux produits européens subventionnés. Ils vont signer la mort des tentatives d’intégration régionale de l’Afrique de l’Ouest et y installer la précarité et l’instabilité totale ». On attend donc que les parlementaires français et européens, ainsi que les gouvernements se saisissent de ce grave problème pour repousser ce libre-échange qui va tuer l’Afrique ! (*Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest)