Une loi qui avance sur le devoir de vigilance des multinationales (R.C.F. 11-12 avril 2016)

Le mercredi 23 mars dernier, l’Assemblée Nationale a adopté en deuxième lecture la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre concernant leurs filiales et leurs sous-traitants, en particulier dans les pays où elles délocalisent, surtout dans les pays du Sud et de l’Est. C’est le 30 mars 2015 que cette proposition de loi avait été adoptée en première lecture. Un certain nombre d’organisations de la société civile française considèrent comme une avancée cette adoption de projet de loi ; il s’agit d’Amnesty International France, Les Amis de la Terre, le C.C.F.D.-Terre Solidaire, le Collectif Ethique sur l’Etiquette, Sherpa, qui sont toutes membres du Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociale et Environnementale des Entreprises, auxquelles il faut ajouter la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l’Homme.

Si elles regrettent que le texte n’ait pas pu être amélioré encore, ces organisations saluent toutefois son adoption, et elles en appellent au gouvernement afin qu’il mette tout en œuvre pour que le processus aboutissent avant l’été 2016, et demandent avec insistance désormais au Sénat de l’inscrire à son agenda le plus rapidement possible. La route est encore longue jusqu’à l’adoption définitive de la loi qui nécessitera par ailleurs sa mise en application par décret. En effet, l’adoption définitive de cette proposition de loi nécessite d’abord un deuxième passage au Sénat, puis devant une Commission Mixte Paritaire de députés et de Sénateurs, et, enfin, une nouvelle lecture dans chacune des chambres. L’Assemblée Nationale statue en dernier ressort. Garant de l’intérêt général, le gouvernement doit faire de la défense des droits humains et environnementaux une priorité, sans céder aux pressions de l’Association Française des Entreprises Privées ni à d’autres intérêts économiques, qui ont manifesté leur hostilité sous l’argument qu’ils peuvent être lourdement sanctionnés sans raison véritable, et que leur compétitivité risque d’en être affectée face à d’autres entreprises étrangères qui n’y seraient pas soumises. Le gouvernement doit donc traduire en actes son engagement déterminé, puisqu’il a été réitéré à l’Assemblée Nationale il y a quelques jours.

En instaurant l’obligation d’un plan de vigilance, cette loi imposerait aux grandes entreprises multinationales implantées en France d’être responsables dans la conduite de leurs affaires, en France comme à l’étranger, pour l’ensemble de leur chaîne de valeur. L’idée de cette proposition s’inscrit dans un objectif de prévention des dommages environnementaux ou de violation des droits humains générés par leurs activités tout au long de leur chaîne de production et de commercialisation. Certes cette proposition de loi a des limites, puisqu’elle ne concerne qu’une centaine de grands groupes, avec un effet d’entraînement limité, et qu’elle ne comporte aucune disposition forte pour faciliter l’accès à la justice aux victimes de violations de droits humains et de dommages environnementaux causés par des entreprises. Mais même s’il contient des lacunes, ce texte constituerait un premier pas historique vers une prise en compte des droits humains par les entreprises multinationales et contribuerait à prévenir des drames comme ceux de l’effondrement au Bangladesh de l’immeuble du Rana Plaza en 2013, qui a fait 1 135 morts, et des centaines de blessés parmi les 3 122 travailleurs qui se trouvaient à ce moment dans l’immeuble vétuste et aux conditions de travail insalubres et indignes, travaillant, entre autres pour Carrefour, Auchan et Camaïeu. Sans loi de responsabilité, quelle misère pour faire reconnaître le préjudice des entreprises donneuses d’ordre, et faire indemniser les victimes ! Oui, là comme dans bien d’autres situations, si la loi n’existe pas, les droits de l’homme et ceux de la nature ne sont pas respectés.