Rendez-vous Mardi 26 Octobre à 20h au FJT Pilâtre de Rozier , 2 rue Georges Ducrocq à Metz
Jean François DUBOST, directeur du plaidoyer au CCFD-Terre Solidaire animera cette conférence
NEUTRALITE CARBONE & COMPENSATION CARBONNE
Neutralité carbone : la quête du graal
La neutralité carbone implique un équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) et l'absorption du carbone de l'atmosphère par les puits de carbone.
Atteindre des émissions nettes nulles passe ainsi par 2 leviers :
- réduire une partie des émissions à la source
- compenser les autres via la séquestration du carbone
Cette course folle pour atteindre cette neutralité carbone conduit les principaux émetteurs à ériger la compensation carbone comme une solution valide au lieu de s'attaquer de manière radicale à la source des émissions. Or, ces méthodes tendent à reporter l’obligation de réduire ses émissions sur d’autres acteurs.
Compensation carbone & marchés carbone
Le développement des marchés carbone s’est largement appuyé sur la mise en place de deux mécanismes (MDP et REDD+) consistant à financer des réductions d’émissions dans un autre pays, en échange de crédits pour remplir ses propres objectifs.
Ces mécanismes encourageaient un transfert de responsabilité des pays développés vers les pays en développement pour la réduction d’émissions – notamment dans le secteur forestier et énergétique.
Alors que les discussions internationales patinent, le secteur privé, ainsi que certains États, ont décidé de prendre les devants et se sont emparés des démarches volontaires de compensation.
Séquestrer du carbone pour compenser
La séquestration, c’est la capacité d’absorber du carbone et de le stocker hors de l'atmosphère. Naturel, c’est un phénomène biologique et souhaitable !
Les végétaux par le biais de la photosynthèse ont la capacité d'absorber du CO2. Lorsqu’ils meurent, les matières en décomposition s’intègrent au sol sous forme d’humus. Une partie du carbone qu’elles ont absorbé au cours de leur existence vient alors se fixer dans le sol, en créant des « puits de carbone » naturels (les principaux étant les sols, les forêts et les océans).
De plus en plus d’acteurs misent aujourd’hui sur les technologies dites d'émissions négatives ou de « puits non naturels ». Ces solutions de géo-ingénierie consistent à faire pousser des végétaux et à les brûler pour produire de l’énergie tout en captant le CO2 issu de la combustion pour le stocker dans des réservoirs géologiques. Cela aurait des conséquences sociales en termes d'accès au foncier et environnementales (recours accru aux pesticides...) importantes. Faire reposer aujourd’hui des objectifs climatiques sur ces technologies est un non-sens puisqu’elles ne sont pas matures.
LES LIMITES DE LA COMPENSATION CARBONE
Le rapport du GIEC de 2019 souligne que seule une petite partie de nos efforts peut reposer sur les terres.
Elles ne peuvent servir à compenser nos niveaux actuels d’émission.
La priorité doit donc être donnée à la réduction stricte des émissions, en particulier pour les secteurs les plus émetteurs (énergie, transport, agriculture).
La compensation carbone n’est pas viable scientifiquement
- Ce stockage est impermanent
- Les aléas climatiques rendent les puits naturels plus vulnérables
- Une tonne de gaz émise dans l’atmosphère n’équivaut pas à une tonne de gaz séquestré
- Comptabiliser le carbone séquestré est très complexe
L’objectif de l’accord de Paris est en danger
- La compensation détourne de l’effort premier : la réduction des émissions
- D’importantes conversions de terres pourraient conduire à la désertification, la dégradation des sols, la mise en danger de la sécurité alimentaire.
Elle conduit à une financiarisation accrue des terres et de l’environnement
- Elle est souvent financée par des acteurs privés guidés par leurs intérêts
- Elle promeut des modèles productifs nuisibles ( méga-plantations) ayant recours à des produits comme le glyphosate ou les OGM
- Ces pratiques vont générer la création de crédits carbones et pourraient engendrer des comportements spéculatifs privant l’accès des petits producteurs et des communautés locales aux terres
Qu’en est-il vraiment du potentiel financier pour les populations locales ?
- Concernant le « Kenya agriculture project » (60 000 paysans concernés sur 45 000 ha) on estime les bénéfices du projet à 1$ par an et par paysan
Pas d’approche systémique
Pour limiter les dérèglements climatiques, l’agriculture a un rôle crucial à jouer. En effet, le système agroalimentaire mondial, parce qu'il repose en grande partie sur des intrants et des méthodes industrielles, émet désormais 1/3 des émissions totales de gaz à effet de serre. Mais il est aussi l'un des plus vulnérables au climat.
Faire reposer sa mutation sur la compensation et un focus carbone risque de générer la promotion de modèles, pratiques et systèmes agricoles aux conséquences négatives reconnues.
Avec, à la clé, des conséquences sociales mais aussi environnementales désastreuses.
COP 26 : CE QUI SE JOUR AUTOUR DE L’ARTICLE 6
Cet article régit la régulation des marchés carbone.
C'est-à-dire qu'il prévoit la mise en place d'un système d'échange de droits d'émission de GES entre les pays qui en émettraient trop et ceux qui en émettent moins. En d'autres termes, les bons élèves pourraient revendre leurs crédits carbone aux mauvais.
Sur le principe, la plupart des pays sont d'accord, mais les modalités d'application font l'objet d'âpres débats et ce, depuis plus de quatre ans. Par exemple, à Madrid lors de la COP25, les États sont restés fâchés sur plusieurs dossiers, au rang desquels figuraient :
- Celui du double comptage : Sont comptées les réductions d’émission achetées et vendues.
- Celui de la non-exclusion des échanges des réductions d’émissions effectuées avant 2020 : 4 milliards de tonnes de CO² soit presque autant Que les émissions totales de l’Union Européenne en 2016.
- Celui de la référence à la nécessaire protection des droits humains et des écosystèmes
- Celui de la mise en place s’approche marchande et de mécanisme de compensation carbone visant le secteur des terres : Conséquences majeures en termes d’accaparement des terres, de souveraineté alimentaire et de financiarisation de la nature.
CONCLUSION
Accaparement des terres, expropriation des populations locales, souveraineté alimentaire mise à mal et aggravement des dérèglements climatiques... On le voit, les enjeux sont immenses et la non-protection des terres agricoles pourrait être source de multiples dérives aux conséquences irrémédiables.
Pour toutes ces raisons, le CCFD-Terre Solidaire a mis les terres nourricières au centre de son action et milite pour qu’elles soient absolument exclues des mécanismes de compensation via les marchés carbone de l'accord de Paris.
Cette action n’est toutefois pas opposée à celle d’un soutien financier des terres, non via la compensation, mais uniquement au travers d’approches non marchandes (art 6.8) assurant une transformation de nos systèmes agricoles et alimentaires vers l’agroécologie paysanne et solidaire.
Le CCFD-Terre Solidaire souhaite être entendu lors des prochaines négociations internationales et nationales, pour que les entreprises ne s’engouffrent pas dans la brèche des fausses solutions et que les États assument leurs responsabilités. La population attend d’eux la mise en place de politiques et financements publics réduisant réellement les émissions de GES dans les secteurs les plus émetteurs (énergie, industrie, aérien) ainsi que de l’aide au développement de systèmes productifs locaux et territoriaux, sobres en carbone et porteurs d'une vraie transition écologique, sociale, alimentaire et économique