Intervention lors de l'Université 2012 des amis de l’hebdomadaire La Vie

Il convient de se demander pourquoi nous avons choisi la référence à la construction de la famille humaine pour répondre à la question : « la mondialisation promesse ou menace ? »
Il nous semble que la référence à la famille peut effectivement nous aider à franchir cette étape nouvelle de la mondialisation en prenant conscience du lien, de l’appartenance commune voire de la filiation que peut représenter la notion de famille humaine. Il nous faut construire cette mondialisation. Le sentiment d’appartenir et donc d’enrichir, de nourrir, de développer la famille humaine peut contribuer à humaniser la mondialisation. Il s’agit là d’un parcours, d’un horizon. Ce n’est pas un rêve. L’horizon est bien réel, il est très stimulant et pourtant il est totalement inappropriable. Personne ne peut le posséder puisqu’il est toujours plus loin. Sans doute la famille humaine se présente-t-elle comme un horizon : stimulant mais que personne ne peut définitivement enfermer dans une définition.

Caractéristiques de la famille humaine au service de la mondialisation

Il ne s’agit pas de s’interroger sur les différents modèles familiaux qui existent à travers le monde. On peut se demander si la famille humaine est une construction philosophique ou religieuse (ne s’agit-il pas de relier les êtres entre eux ?).

C’est dans la crise que l’on se repose la question de la famille, qu’il s’agisse de la reconnaissance d’une appartenance joyeuse, positive ou sécurisante à la famille, ou bien du constat d’un lien pesant voire destructeur. En tout cas c’est bien dans les crises que l’on redécouvre « l’esprit de famille ».
C’est bien le cas d’ailleurs dans la parabole du fils prodigue. C’est au cœur de la crise qu’il se souvient de l’existence de sa famille. Par ailleurs, l’humanité fait la même expérience lorsqu’à travers la Déclaration Universelle de 1948, après le constat de 60 millions de morts, le drame de la Shoah et de l’utilisation de la bombe atomique, ladite déclaration proclame la dignité de chaque membre de la famille humaine.
La famille est également un ensemble d’expériences, de ressentis. Il s’agit de poursuivre l’aventure d’une appartenance à une entité commune même si on n’est pas toujours capable d’identifier celle-ci.
Ce ressenti a également une caractéristique : on ne choisit pas sa famille. On nait dedans. C’est la même chose pour la cellule familiale. C’est la même chose pour l’appartenance à la communauté humaine, familiale en général.

Le sentiment d’appartenir à la famille exige un acte de reconnaissance. On se reconnait comme membre de cette entité commune. Je te reconnais comme membre de la famille humaine. Nous nous reconnaissons membres de la famille humaine. Nous verrons plus loin que c’est lorsque l’on refuse à tel ou tel membre la reconnaissance de son appartenance à la famille humaine que l’on franchit une ligne rouge extrêmement dangereuse.
A côté de bien d’autres caractéristiques (tensions, violences, difficultés…), je souhaite mettre en avant le concept de la capacité d’empathie.
Il ne s’agit pas d’une bonne action que les boyscouts doivent réaliser. Il ne s’agit pas plus d’un sentiment de générosité. Il s’agit du constat qui est fait par les biologistes, les philosophes, les sociologues, les théologiens de la réalité de la capacité d’empathie dont les membres de la famille humaine font preuve les uns vis-à-vis des autres. Le Professeur Rifktin déclare : « une empathie nouvelle gagne l’humanité…les recherches de la biologie et des sciences cognitives montrent que nous sommes des animaux sociaux qui supportons mal la souffrance des autres et la destruction de ce qui vit, réagissons de concert en vue de l’intérêt général quand nous sommes menacés…quand on lui en donne l’occasion et les moyens, l’être humain se révèle toujours disposé à collaborer avec les autres dès qu’il s’agit de contribuer à l’intérêt général ou à améliorer l’existence de tous ». Les neurobiologistes confirment cette réalité. La Revue des sciences sociales de février 2011 a consacré un numéro particulier à cette réalité. Le psychologue Jacques Lecomte a également écrit un livre important à ce sujet .

Par ailleurs je puis affirmer que l’expérience que je fais, depuis près de quarante ans dans le domaine de la participation à la société civile, est celle d’une réelle capacité d’empathie. Oui, je l’affirme, nous sommes capables de nous sauver les uns les autres. Nous sommes des sauveteurs en puissance. Sauver par rapport à quoi ? Par rapport à la solitude. Tous et toutes nous sommes capables de briser la solitude. Il me semble que ceci a quelque chose à voir avec la capacité d’empathie qui ne doit jamais être oubliée même lorsque les êtres humains font preuve de capacités de destruction.

L’on peut également faire le lien entre famille humaine et mondialisation à propos de la référence à la fraternité. Dans toutes les sociétés contemporaines il y est fait allusion, ceci sous des formes particulières. La question est celle de la frontière de cette zone de fraternité. Qui reconnaissons-nous comme frères et sœurs ? La fraternité est un point de départ. Mais cette fraternité est souvent à « géométrie, géographie variable ».

L’Académicien Amin Maalouf a écrit le livre fameux : les identités meurtrières . Il explique que chacun de nous est constitué d’appartenances très diverses : territoriales, religieuses, culturelles, locales, familiales. L’ensemble de ces appartenances constitue une identité. Le drame provient de ce qu’à un certain moment l’on privilégie, voire on rend exclusive une seule des appartenances. Ainsi la racine religieuse l’emporte-t-elle sur les racines familiales, culturelles ou civilisationnelles. C’est alors que cette appartenance devient une identité meurtrière puisque refusant la diversité dont chaque être est constitué, cette appartenance devient le lieu et l’arme d’un antagonisme profond contre tous ceux qui ne la partagent pas. En restant pluriels et divers on reste accessibles aux autres. En privilégiant une seule appartenance on devient des « croisés ».

C’est aussi la question des frontières. Pour être frères il convient de savoir délimiter ses propres frontières ; c’est-à-dire réaffirmer notre appartenance à des racines particulières, un territoire particulier, des cultures particulières. Régis Debray fustige les tenants d’un universalisme absolu qui contestent l’idée même de frontières, mettant ainsi en cause la nécessité pour chacun de nous, individus et peuples, d’avoir et de pouvoir révéler des racines. Régis Debray  explique combien le fait d’avoir des frontières est le meilleur antidote à la construction de murs infranchissables : « L’Homme dit universel ou cosmopolite se renationalise, se re-régionalise, se re-confessionnalise à la même vitesse qu’il s’homogénéise par ses objets et ses outils. Le nomade qui n’a plus d’attache n’est plus porté par un milieu d’habitudes et de souvenirs incorporés. Il a besoin de se fabriquer une singularité, une kippa, une grande croix sur la poitrine ou le nikkab sur la tête de sa femme…ce n’est pas la plus douce des frontières. » L’auteur ajoute également « opposant l’identité-relation à l’identité-racine, refusant de choisir entre l’évaporé et l’anxiété, loin du commun qui dissout, qui chauvinise, qui ossifie, l’anti-mur dont je parle est mieux qu’une provocation au voyage, il est un appel à un partage du monde. » Il convient donc lorsque l’on s’interroge sur la construction de la famille humaine au service de la mondialisation de ne pas oublier les nécessaires efforts d’identification, pour éviter tout identitarisme sectaire.

Enfin dans le lien entre famille humaine et mondialisation il y a me semble-t-il la référence à une origine, à une source commune. Se dire frères, ne pose-t-il pas la question de la paternité, c’est-à-dire de l’origine que nous reconnaissons commune les uns avec les autres. C’est toute la question de la transcendance, de l’au-delà de chacun de nous à travers lequel nous nous reconnaissons une fraternité, une appartenance commune. Cette question n’est pas purement religieuse au sens strict du terme. Des auteurs non religieux tels que Luc Ferry ou Marcel Gauchet  affirment cette nécessité d’une transcendance, même s’ils en refusent toute qualification divine. Luc Ferry : « je parle de divin, c’est-à-dire de ce sentiment d’absolu aux visages multiples que je découvre au contact de valeurs dont je dois dire et redire que je ne les ai pas inventées ni fabriquées moi-même que ce soit dans l’ordre de la vérité, de la morale, de la culture ou de l’amour. Des valeurs incarnées dont l’origine m’échappe. » Du côté de Marcel Gauchet : « embarqués dans une recomposition complète, hors religion, de ce qui s’était investi dans la religion, un déchiffrement de nous-mêmes hors du cadre religieux mais en sauvant intégralement ce qu’il comporte de sens, nous attend. Nous ne sommes pas enfermés dans le choix binaire sacré-profane. Il y a des déplacements. Les profanations n’empêchent pas l’existence d’absolu sans garantie sacrale. » N’est-il pas intéressant pour des chrétiens qui s’interrogent sur la construction de la famille humaine au service de la mondialisation d’entendre ces paroles de laïcs ?

Je peux ensuite vous proposer quelques outils qui constitueront une espèce de « kit de bâtisseur de la famille humaine au service de la mondialisation »

Ces outils, nous tenterons de les mettre en application, selon nos possibilités, là où nous vivons. Nous le ferons toujours avec d’autres, parfois avec un Autre. Nous le ferons dans la confiance du matin qui vient.
Le Pasteur Martin Luther King quelques mois avant son assassinat affirmait : « il est minuit dans notre monde. L’heure de minuit est une heure trouble où l’on ne peut distinguer les objets ni les choses. La tâche de l’Eglise dans cette heure de minuit est de dire que cette heure passe, et que le matin vient. »
N’oublions pas en effet, nous qui voulons selon nos moyens participer à la construction de cette famille humaine, que nous sommes des hommes, des femmes du matin. Du matin de la Résurrection.
Cette Résurrection, ce matin qui est présent, nous l’instaurons dans la famille, dans le travail, dans les activités de la commune, de l’association, dans le geste citoyen et bien sûr dans le geste communautaire si nous appartenons à une communauté religieuse.

Le travail d’intelligence engagée

Si nous voulons construire cette famille humaine nous avons à nous livrer à un travail d’intelligence. Repérons quelques-uns de ces rendez-vous où l’intelligence est sommée de se déployer, à propos de la mondialisation.

La réalité de l’interdépendance.

Il n’est pas nécessaire d’insister beaucoup pour montrer cette réalité dans la mondialisation actuelle. Nous dépendons de plus en plus les uns des autres. Face à cette interdépendance parfois pénible, nous avons le choix entre trois solutions. La première est de fixer nos relations sur le principe : « je te bouffe » ; il s’agit de faire disparaitre l’autre. Faisant ainsi disparaitre l’interdépendance. Il ne faut pas s’étonner que la violence explose partout à travers le monde comme dans les relations quotidiennes ou celles du travail.
L’autre réaction possible est celle du : « que le meilleur gagne » ; nous savons par expérience que ceci signifie que le plus faible soit écrasé. La troisième attitude est celle du choix volontaire du partenariat. Non pas un vœu pieux pour faire plaisir à qui que ce soit. Un choix selon lequel nous allons organiser l’ensemble de nos relations familiales, citoyennes, communautaires dans le cadre du travail, des associations et autres lieux de vie. Ce n’est pas une BA pour être sympathique. C’est un principe de vie. De survie.

La toute-puissance caractérise également nos capacités d’action.

Nous le savons, dans le domaine de la biologie, nous sommes capables de modifier la cellule humaine. Dans un éditorial du 28 juin 2012 Jean-Claude Guillebaud  expliquait comment les opérations de spéculations monétaires ne sont même plus des œuvres humaines. Ce ne sont même plus les traders qui donnent les ordres. Ce sont des ordinateurs qui, en quelques fractions de secondes, de millièmes de secondes, décident de vendre ou d’acheter, réalisant ainsi des pertes ou des bénéfices colossaux. L’Homme est totalement dépassé par sa machine.
D’un autre côté cette superpuissance permet de réaliser des actions extrêmement positives. Là encore, construire la famille humaine exige que l’on soit conscient de cette réalité de la toute-puissance pour la mettre au service de l’humain.

Une autre caractéristique est celle du déboussolement qui atteint l’ensemble des familles de pensée.

Nous entendons souvent : « tout fout le camp ». Nous allons donc essayer, non pas de monopoliser la vérité pour l’imposer à tous, mais de rechercher chacun en soi, dans son passé, sa culture, sa religion ou autre, ce qui constitue des racines, une boussole. J’aime bien la référence à la recherche d’Albert Camus, qui ne croyait pas en Dieu et qui dans le livre « Retour à Tipasa  » nous dit quelque chose qui est de l’ordre de la boussole : « pour empêcher que la justice ne se racornisse, bon fruit orange qui ne contient qu’une pulpe amère et sèche, je redécouvrais à Tipasa qu’il fallait garder en soi une fraicheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise…au milieu de l’hiver j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible ». Plus que jamais dans cette situation de déboussolement nous sommes invités à redécouvrir en nous et ensemble l’été invincible qui aide la justice à ne pas flétrir. Nous avons vu combien la parole biblique pouvait nourrir cet été invincible en nous-même.

L’Acte de Foi en la dignité de la personne humaine ou la dynamique des droits humains.

Nous retrouvons ici l’idée de la ligne rouge qu’il ne faut pas franchir. Elle est franchie lorsqu’on déshumanise, c’est-à-dire lorsque l’on considère qu’une personne ou qu’un groupe de personnes ne fait plus partie de la famille humaine. On voit bien le lien qu’il y a ici entre l’affirmation de cette famille humaine et la construction d’une mondialisation vivable.
Ce fut l’expérience de la seconde guerre mondiale, puis des grands génocides et encore aujourd’hui des grands mécanismes inégalitaires qui aboutirent à la déshumanisation de populations toutes entières.
L’intérêt du recours à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 décembre 1948 (Organisation des Nations Unies) est justement que dans un cadre laïc, non confessionnel, la dignité est reliée à l’appartenance à la famille humaine. Le préambule de ladite déclaration affirme : « considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. » Un peu plus loin l’article Premier affirme : « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité. »
Il s’agit bien de la référence fondamentale, de la trace de cette ligne rouge à ne pas dépasser.
Ayant affirmé la dignité de la personne, de chaque et de toutes les personnes, il faut impérativement décliner cette dignité en droits et en devoirs. C’est alors que nous allons nous lancer politiquement, économiquement, socialement, à la construction de mécanismes, de moyens, d’institutions qui permettront à chacun et chacune d’accéder à l’exercice effectif de ses droits fondamentaux. La dignité n’a aucun intérêt si elle n’est pas déclinée en termes de droits et de devoirs, et si par ailleurs nous ne nous engageons pas à permettre à chacun d’accéder aux dits droits.
C’est la même notion que celle que la doctrine sociale de l’Eglise catholique développe à travers l’idée de bien commun : un ensemble d’institutions et de processus qui permet à chaque personne et à chaque groupe de déployer pleinement sa totale humanité.
La dernière étape de la dynamique des droits humains est que cet acte de foi, en la dignité humaine, décliné en termes de droits et de devoirs, se fait sous le regard de toute la famille. Ce n’est pas chacun qui va dire s’il a bien ou non respecté cet acte de foi. C’est l’ensemble de la famille à travers des commissions, des mécanismes, des institutions, voire des tribunaux ou des cours, autant d’organismes internationaux qui sont les juges de l’authenticité de cet acte foi en la dignité de la famille humaine.
On le voit, la question de la dynamique des Droits de l’Homme est bien au cœur de la construction de la famille et donc d’un horizon possible pour une mondialisation humanisée.

Ouvrir le débat sur la question du Bien Vivre.

Plus que jamais la question du bonheur est d’actualité. Les textes chrétiens, tout spécialement les Béatitudes confirment que tout est bien une question de bonheur. Le bonheur n’est pas un gadget ou un luxe pour quelques croyants. C’est l’essentiel même de la quête humaine.
Il me semble que pour construire cette famille humaine et pour participer à l’humanisation de la mondialisation, il nous faut plus que jamais poser la question du bonheur là où nous vivons. C’est-à-dire dans la famille, la commune, l’école, l’entreprise, le syndicat ou les associations, l’église ou autres organismes sociaux.
Lorsque je fus interrogé au moment de l’élection présidentielle sur la mesure que je prendrais si j’étais élu moi-même Président j’ai répondu : « je demanderais à tous les Maires de construire dans chaque commune, sur fonds municipaux, un monument aux vivants. » Certes si nous sommes vivants c’est qu’il y a eu des hommes et des femmes capables de donner leur vie. Les monuments aux morts ont donc leur sens. Mais il est impossible de construire la famille uniquement sur le souvenir des morts. Cette famille doit se construire sur la célébration des capacités de vie qui se révèlent à travers les uns et les autres.
Par ailleurs j’ajoutais qu’il faudrait créer un indice de « capacité solidaire » qui permettrait d’apprécier le travail réalisé par une entreprise, une institution, une famille, une association, une église. Il s’agit de mesurer à travers des références pratiques, la capacité que cet organisme a eu de créer de la solidarité à travers son activité. C’est la capacité de solidarité qui serait l’un des critères d’appréciation de la bonne conduite du dit organisme.
Parler du Bien Vivre n’est pas un luxe pour philosophes ni pour optimistes béats. C’est un débat que l’on voit se développer à propos des indicateurs de richesse, du progrès, de la vie bonne. Nos sociétés mercantiles sont uniquement mesurables à travers le Produit Intérieur Brut. Bien d’autres ont inventé d’autres références. Dans les lieux où nous vivons et où nous organisons la vie nous avons à essayer de repérer les indicateurs qui révèleraient la réalité de ce Bien Vivre.
Il ne s’agit pas que d’une question de richesse matérielle ou financière. Plus que jamais, si nous prétendons remettre en cause les systèmes qui ont conduit à la crise et souvent à l’impasse, il nous faut fixer des repères d’ajustement, des indicateurs, qui seront d’une autre nature que la seule croissance ou la seule richesse matérielle. Quels sont nos critères d’évaluation pour apprécier l’action dans la famille, le syndicat, l’Etat, la commune ou la communauté religieuse ? Quels objectifs principaux nous donnons-nous ? C’est à partir d’eux que nous jugerons la valeur de l’action menée ?

Il y a à ce sujet des recherches mondiales. Que ce soit le travail réalisé au Canada autour de nombreux indices qui intègrent dans l’évaluation des activités humaines le respect de la nature.
Qu’il s’agisse de ce qui se fait dans un des grands états du Brésil pour mesurer la manière dont sont utilisées les ressources de la forêt pour nourrir la population, la soigner ou la loger.
Qu’il s’agisse du royaume du Bhoutan, qui instaure un programme politique appelé « Bonheur National Brut ». L’objectif est de développer l’économie du pays tout en respectant les préceptes traditionnels du bouddhisme. Ce Bonheur National Brut est articulé autour de plusieurs piliers dont l’économie équitable et durable, la préservation des valeurs culturelles, la défense de la nature, la bonne gouvernance.

On fait également référence au Bien Vivre dans plusieurs pays d’Amérique latine qu’il s’agisse de la Constitution de l’Equateur, du Pérou ou de la Bolivie. Dans ces textes, l’action gouvernementale et les devoirs que l’on se reconnait les uns envers les autres tournent autour de cette capacité à organiser du Bien Vivre entre nous. Par exemple, pour le peuple des Sarayaku  : « pour nous le Bien Vivre signifie disposer d’un territoire fertile non pollué. C’est également d’avoir des modes de gestion et d’organisation propres, libres et soutenables. »
Nous sommes loin de la seule référence à la croissance économique ou matérielle !
Ainsi, je crois que dans le « kit du bâtisseur d’une famille humaine au service d’une mondialisation humanisée » il y a la capacité que nous avons à nous poser la question du Bien Vivre et donc à en déterminer les éléments constitutifs.

Organiser l’alliance des sources ou pratiquer l’inter .

Nous sommes alors renvoyés dans les lieux de l’éducation, de la pédagogie, de la catéchèse ou de la culture en général.
J’ai dit tout à l’heure l’importance qu’il y avait à savoir dégager ses propres racines, les exprimer pour les faire partager à d’autres. Nous sommes en plein lieu du débat.
Toute la session des amis de La Vie a bien montré que la mondialisation n’avait de l’avenir que dans le dialogue ouvert, non pas dans une uniformisation, ni dans une stérilisation des idées différentes mais dans l’expression des diversités et dans l’organisation du dialogue autour de ces diversités.

Il ne s’agit en rien d’un relativisme coupable qui nous ferait ne plus croire en rien ou qui mettrait tout sur le même plan. Bien au contraire il s’agit d’affermir ses convictions, de se former à les exprimer et en même temps de savoir écouter celles des autres. La question est bien en effet d’être persuadé de détenir une part de vérité tout en affirmant que l’autre en détient une autre.
L’ouverture est alors le risque de la rencontre de l’autre. Il me semble que nous ne sommes pas éloignés de la Bonne Nouvelle chrétienne. C’est également un travail de dialogue qui doit être réalisé par des médias tel que l’hebdomadaire La Vie et bien évidement la responsabilité en incombe aussi aux amis de l’hebdomadaire La Vie.
La question du dialogue est fondamentale. Tout le monde le souhaite mais personne ne l’organise véritablement. La création de lieux internationaux où peuvent être échangées des expériences et des références diverses, est une tâche importante. Il faut la réaliser aussi bien dans un ensemble de territoires qu’entre les continents et les cultures elles-mêmes. Là encore nous sommes très loin de la réalité d’organismes mondiaux qui permettent à chacun d’exprimer ce qu’il a à dire en attendant de l’autre qu’il fasse de même. Il y a là un programme à la fois politique et culturel qui ne fait que commencer et sans le respect duquel nous n’avancerons pas dans la construction d’une famille humaine au service d’une mondialisation humanisée. C’est toute la question de la tension entre le bilatéralisme, c’est à dire la multiplication de relations uniquement entre deux Etats qui ne se préoccupent pas des relations avec les autres, ou la question du multilatéralisme qui exige que sur le plan politique, économique, culturel voire religieux, les relations d’échanges, de dialogues soient véritablement organisées pour avancer ensemble. Il ne s’agit pas seulement d’un intérêt intellectuel pour savoir ce que l’autre pense. Il s’agit bien de savoir ce que l’autre pense pour pouvoir construire ensemble une réalité mondialisée et humaine en même temps.

En conclusion il me semble que ce petit « kit du bâtisseur d’une famille humaine au service d’une mondialisation humanisée » doit être bien évidement complété par les expériences des uns et des autres. Nous avons là quelques outils et quelques exigences à mettre en œuvre dans les lieux où nous vivons. Bien sûr il ne s’agit que de propositions qui doivent être complétées par bien d’autres.
En tous cas, avoir l’audace de se poser la question de la mondialisation reconnue comme menace ou comme promesse, exige d’une part d’en parler entre nous et d’autre part de ne pas se limiter à souligner les difficultés que crée cette étape nouvelle dans la construction de l’humanité.
Le texte de l’Evangile des Pèlerins d’Emmaüs est, me semble-t-il, intéressant. Au cœur de la crise, deux pèlerins marchent sur la route. Ils sont déconcertés, totalement déçus puisque leur espoir vient d’être assassiné. Ils ne comprennent plus ni le mouvement qui les avait fait se lever ni la violence qui s’est manifestée ces jours derniers à Jérusalem. Ils sont perdus. Ils sont en pleine crise.
Voici que quelqu’un s’approche d’eux et leur dit simplement : « de quoi parliez-vous en chemin ? » Il me semble que le Christ, à travers l’Evangile, nous pose la même question aujourd’hui. Il ne s’agit pas de faire de la religion une espèce de surcroit de bonne volonté qui s’appliquerait dans le domaine de la morale ou de la bonne pensée. Il s’agit véritablement de reconnaitre la présence d’un Compagnon, Compagnon de vie, Compagnon qui a vaincu la mort et qui vient nous poser aujourd’hui comme Il faisait il y a deux mille ans la question « de quoi parliez-vous en chemin ? »
Cette présence est à elle-même gage de ce que nous pouvons avancer vers cet horizon.