Corrientes, au nord de l’Argentine. Comme tous les samedis matins, Jorge Torres participe à la feria franca, un marché de petits producteurs. Sur son stand sont disposés des légumes et quelques fruits. Comme la plupart des exposants, il pratique l’agriculture urbaine ou péri-urbaine. DSC00787.JPG Ses deux parents, son frère… en tout, six membres de la famille travaillent sur les deux hectares de terre qui leur ont été attribués dans le quartier Esperanza, en périphérie de cette ville de 400 000 habitants. Ils participent à quatre ferias par semaine pour vendre leurs produits. Les excédents sont proposés à un grossiste, qui pratique des prix moins intéressants que la vente directe. « Ce qu’il y a encore en trop, on le ramène à la maison et on le consomme, précise Jorge. On en donne aussi à quelqu’un qui a des cochons. » Pour nourrir le sol, la famille utilise des excréments de poulets achetés à d’autres producteurs. Elle pratique la rotation de cultures, a planté des fleurs qui attirent les insectes auxiliaires des cultures, mais utilise un fertilisant chimique (Triple 15 ou NPK). Comme beaucoup de petits producteurs accompagnés par l’association Incupo, (Institut de culture populaire), qui travaille sur la souveraineté alimentaire, Jorge et sa famille sont en transition vers un mode de culture agroécologique et réduisent peu à peu leur consommation d’intrants chimiques.

Ils n’ont d’abord cultivé que des pastèques, puis ont diversifié leur production. Avant d’avoir ces deux hectares, la famille travaillait pour un grand propriétaire terrien. La terre qu’elle cultive aujourd’hui pour son propre compte appartient au ministère de la Défense et lui a été attribuée en 2005. Pope, de l’association Incupo, nous explique que l’armée possède de vastes étendues de terres cultivables qui ont été redistribuées au moment de la démocratisation. Le statut de la famille de Jorge reste précaire puisqu’elle ne détient aucun bail sur les deux hectares qu’elle occupe. Mais elle gagne mieux sa vie qu’autrefois, et Jorge apprécie de travailler sans patron.

Des réunions mensuelles pour parler des problèmes Le stand d’à côté est celui de M. Escalante, apiculteur, qui préside l’association des ferias de la province de Corrientes. Trente-cinq ferias sont membres de l’association provinciale, mais il existe aussi des ferias qui ne font pas partie d’une association, précise-t-il. Une feria rassemble environ dix familles, et un ferriante nourrit deux familles. M. Escalante est aussi impliqué dans l’association nationale des ferias, qui réunit environ 600 marchés locaux. Ces petits producteurs argentins cherchent à développer l’identité de leurs ferias francas, qui ont chacune leur façon de fonctionner mais ont pour point commun de ne vendre que des productions artisanales. La vente se fait en direct, avec parfois des échanges entre producteurs de différentes ferias : M. Escalante a sur son stand de l’herbe à maté d’un agriculteur, à qui il fournit du miel. Chacun peut ainsi toucher de nouveaux clients. Les ferias ont souvent des nappes, des tabliers, voire un auvent brodés ou imprimés qui permettent de les identifier.

A Corrientes, une réunion mensuelle des ferias permet aux producteurs de discuter de leurs problèmes avec des représentants des gouvernements national et provincial, d’Inta (Institut de recherche agricole, équivalent de l’Inra en France) et de l’association Incupo. Des solutions sont ainsi recherchées ensemble lorsqu’une feria fait face à un problème d’accès à l’eau, à un manque de matériel pour exposer leurs produits…

L’Argentine a mis en place une politique de soutien à l’agriculture familiale, qui passe notamment par l’aide apportée aux ferias. Le plus souvent, cela passe par un appui au transport des marchandises vers le lieu de vente. Cependant, le nouveau gouvernement national s’orientant vers une politique de libéralisme économique et de réduction des dépenses publiques, les organisations paysannes et les associations s’inquiètent de la suite qui sera donnée à ces projets.

A Itati, les produits du jardin, de la cueillette et de la chasse transformés Dimanche matin à Itati, à l’est de Corrientes, au bord du Rio Parana qui sépare l’Argentine du Paraguay. Cette petite ville de 7 000 habitants reçoit jusqu’à un million de visiteurs par an, qui viennent en pèlerinage à la basilique dédiée à la Sainte Vierge. Sur le marché, des armées de vierges d’Itati de toutes les tailles, dans leur bel habit bleu étoilé, attendent le client !

Un peu à l’écart de l’agitation dominicale se trouve la feria franca d’Itati, sous une halle de bois toute neuve construite au mois de décembre par les paysans, hommes et femmes confondus. La commune a fourni le terrain, du matériel, et donné un coup de main. Le marché compte une dizaine de stands qui se ressemblent un peu. Les produits du jardin (carottes, poivrons, mangues, papayes…), de la cueillette (goyave de forêt…) de la chasse (caïman, et un rongeur nommé carpincho) sont transformés en confitures et en escabèches, et mis en conserve. Des œufs, quelques sacs de farine, de haricots et de maïs, un peu de fromage, du miel avec sa cire, de la pâte de sucre aux cacahouètes, de la confiture de lait, des plantes ornementales et médicinales, des objets de décoration en bambous ou en pommes de pin… Chaque famille essaie de tirer le meilleur parti possible de la petite parcelle de terre dont elle dispose.

feria_1.JPG feria_itati.JPG

Gustavi et Mabel, par exemple, n’ont qu’un terrain de 60 mètres sur 30, que leur a transmis le père de Mabel. « Tout ce qu’on produit, on essaie de lui apporter une valeur ajoutée, explique Gustavi, qui complète les revenus du couple en travaillant un peu à l’extérieur, chez des collègues qui manquent de main d’œuvre. « On essaie de renforcer le groupe », dit-il.

A Bella Vista, un collectif très organisé La dernière feria que nous visitons est celle de Bella Vista, à 150 km au sud de Corrientes, où le groupe Tres Colonias vend ses produits chaque mercredi. Une vingtaine de familles avancent ensemble au sein de ce groupe très organisé. Douze produisent selon les méthodes de l’agroécologie, et les autres sont en transition vers ce mode de culture. Les Tres Colonias, avec l’appui de l’association Incupo, ont initié le premier système de garantie participative d’Argentine – cette pratique est très répandue au Brésil.

feria_gabi.JPG tres_colones.JPG

Les producteurs des Tres Colonias se répartissent sur deux points de vente, l’un à la gare routière, l’autre en ville. Il n’y a pas un stand par producteur, mais un étal collectif. Les paysans s’entendent pour apporter une variété de produits et ne pas entrer en concurrence. Si l’un des points de vente a épuisé une catégorie de marchandises, les paysans téléphonent à l’autre stand pour savoir s’il lui en reste. C’est la seule feria où nous verrons tous les produits étiquetés – chaque avocat, chaque poivron a sa petite étiquette !