A l’occasion du 20ème anniversaire de la présence à Lourdes de l’Espace Rencontre CCFD Terre Solidaire, sa responsable Lisette Prost a mis sur pied différentes manifestations, conférences, films, débats, expositions, sur le thème « Etre acteur de paix face au conflit Israélo-Palestinien», faisant ainsi écho à cet axe fondamental de travail du CCFD, que sont la réflexion et l’action au service de l’instauration de la paix. Le samedi 27 juillet, une table ronde s’est tenue dans la salle de l’Hémicycle des Sanctuaires de Lourdes. Les 130 personnes présentes ont pu entendre quatre intervenants : - Violette Khoury, de Nazareth, fondatrice de l’association SABEEL, mouvement œcuménique dont les principes guidant sa réflexion et son action s’appuient sur la théologie de la libération, - Michel Washavsky journaliste à Jérusalem et fondateur de l’AID (Centre d’information Alternative) regroupant des mouvements pacifistes israéliens et palestiniens), - Le Père Horation Brito, Recteur des Sanctuaires de Lourdes. - Pascal Vincens, directeur au sein du CCFD du Département Education au Développement Lisette Prost a prévu d’articuler la question à traîter « comment être acteur de paix » autour de quatre points introduits par un film de quelques minutes qu’elle a réalisé à partir des archives audiovisuelles du CCFD et présentant entre autres, de brèves prises de position de grands témoins comme Philippe Farine, René Valette, Monseigneur Rouet, Guy Aurenche, Xavier Ricard, Aung San Suu Ki, Desmond Tutu, pour n’en citer que quelques-uns. - 1/ L’engagement pour la paix, une utopie ? - 2/ L’engagement pour la paix, un acte citoyen ? - 3/ Sommes-nous prêts à voir l’autre comme notre frère ? - 4/ Qu’en est-il de nous et de notre engagement ? Les débats ont été conduits par Madame Anne Déloy, responsable de l’Espace Mission à Lourdes et conclus par Pascal Vincens après que les intervenants eurent répondu aux questions de la salle, formulées par écrit. Points 1 et 2 Violette Khoury les traîte simultanément. Elle se présente comme une Palestinienne, donc Arabe, de citoyenneté israélienne, chrétienne de confession catholique, melchite. Pour elle, une utopie est un possible qui n’a pas encore été réalisé, elle est donc créatrice à partir du moment où l’on se met en route pour la faire vivre. Elle considère comme une obligation, surtout quand on est chrétien, de chercher la paix : c’est un droit donné par Dieu à chacun et essentiel pour la vie humaine. Il ne peut y avoir de paix nulle part tant que subsiste une injustice quelque part car le chemin susceptible de conduire à la paix n’est autre à ses yeux que celui de la justice. Elle estime qu’on parle beaucoup de la paix sans que cela contribue à la faire advenir, tant s’en faut. Il importe donc de travailler effectivement à la disparition des conflits. Michel Washavsky, aborde lui aussi les deux premiers aspects du problème. Juif israélien né en France, il se définit comme incroyant et soucieux de se situer toujours le plus près possible de la marge, de la frontière, parce que c’est là et seulement là, qu’on peut rencontrer l’autre. Ses analyses et ses engagements le situent à la frontière entre Israéliens et Palestiniens, à la frontière également au sein de la communauté juive. Pour lui, l’identité de chacun est faite des apports reçus des différentes cultures et il refuse la philosophie du chacun chez soi, non ouvert sur l’autre et par conséquent, exactement opposé à une démarche susceptible de conduire à la paix. A ses yeux, il importe de faire tomber les murs, tous les murs, tout ce qui sépare. L’histoire nous donne des exemples de murs que l’on croyait impossibles à renverser et que nous avons vus s’effondrer. Ce n’est donc pas utopique de se fixer un tel objectif. Ce devrait être celui de chacun et la paix est à ce prix. Il faut cependant être bien conscient que les murs les moins faciles à faire disparaître sont ceux que chacun peut avoir dans la têteément les plus faciles à faire disparaître. Pour le Père Horatio Brito, la paix n’est pas une utopie mais un don de Dieu que l’on possède déjà. Il ne reste plus qu’à le faire émerger. Le chemin pour y parvenir suppose deux actes de foi consécutifs. Le premier consiste à croire que la paix est possible et le second à croire que ce que je fais en faveur de la paix contribue à l’instaurer. Le mal que l’on voit autour de soi et qui donne l’impression parfois de l’emporter n’est pas une fatalité contre laquelle on ne pourrait rien mais seulement le résultat de la bêtise humaine qui chez chacun mêle le mal et le bien. Tant que l’Evangile n’est pas annoncé, poursuit-il, dans les lieux où se prennent les décisions, le monde ne connaît pas la paix. Le Père Brito évoque ensuite le récit évangélique des trois tentations de Jésus qui lui paraît avoir un rapport direct avec la question à traîter : la première renvoie à la question de l’être, de l’identité profonde ; si elle n’est pas respectée chez autrui, il n’y a plus d’échange possible avec lui, ni, à terme, de paix. Les deuxième et troisième tentations sont celle de l’avoir et du pouvoir. Y céder, c’est vouloir contrôler l’autre, avoir barre sur lui, rejeter son identité et finalement ne pas le respecter, empêchant ainsi toute possibilité de paix. Point 3. Le troisième point de l’échange, « sommes-nous prêts à voir l’autre comme notre frère ? » est introduit par Anne Déloy après un bref extrait d’un film où nous voyons et entendons Monseigneur Rouet, alors Evêque de Poitiers développer les trois idées suivantes : • Tout d’abord, la logique du développement est celle de l’échange, de la réciprocité. • Ensuite, il y a urgence à apprendre à être hommes ensemble. • Enfin, Il n’est pas d’alternative à une société plurielle où chacun apportera ce que l’autre ne connait pas. Pour Violette Khoury, la représentation que nous nous faisons de l’autre est déformée par les préjugés que nous avons vis-à-vis de notre prochain et qui nous empêchent de le voir comme un frère. Depuis qu’elle milite au sein du mouvement SABEEL qui travaille pour l’instauration de la justice et de la paix, elle a pu vérifiercombien les barrières et les préjugés sont des illusions que nous créons nous-mêmes. Il est grand temps et nécessaire d’accepter l’autre tel qu’il est et non comme nous voudrions qu’il soit. Michel Washavsky estime que voir l’autre comme notre frère est un immense défi. Il propose, pour y parvenir, de passer par deux moments de pensée successifs : d’abord refuser de faire à autrui ce que je ne voudrais pas qu’on me fasse. Ensuite, se persuader que ce qui m’indigne m’indique ce que je n’ai pas le droit de faire à l’autre. Le Père Brito aborde ce point en se référant à l’expérience qu’il a de ce qui se passe à Lourdes. Il y voit sans cesse des pèlerins accompagnant des malades qui se livrent complètement à eux, ce qui leur ouvre le cœur et les fait entrer dans une démarche de communion. A Lourdes, dit-il, une multitude se tourne vers ses frères et par conséquent, vers Dieu. Point 4 « Qu’en est-il de nous et de notre engagement ? » En forme de conclusion, tous les intervenants s’accordent à dire, en substance et sous des formes différentes, trois choses : • Tout d’abord, rester neutre face à une injustice, c’est être injuste soi-même • Ensuite, la paix est le fruit de l’action de chacune et de chacun • Enfin, un homme et une femme peuvent toujours changer les choses. Avant de mettre un terme à la séance, Anne Déloy donne la parole à un membre d’une délégation de jeunes Palestiniens venus à Lourdes pour les JMJ. Au nom de ses camarades présents et des Palestiniens qu’il représente, il brosse un rapide tableau des discriminations auxquelles ils sont tous confrontés et conclut qu’il ne peut y avoir de dialogue susceptible d’aboutir à la paix dans son pays en l’absence d’une politique accordant à chacun les mêmes droits et manifestant explicitement le respect de sa dignité humaine. Il n’est pas besoin de dire combien ce temps d’échange a été satisfaisant : la qualité des intervenants que Lisette Prost a sollicités et la pertinence de la démarche qu’elle a choisie ne pouvaient que donner aux auditeurs des éléments de réflexion susceptibles de les aider à approfondir leurs propres questionnements. De plus, la forme arrêtée, vivante, variée, la circulation entre les paroles entendues et les images vues, se faisant mutuellement écho et s’étayant les unes les autres ont ajouté un caractère plaisant au sérieux du propos. Enfin, être spectateur d’une possible identité de vues chez des gens d’horizons, de cultures et de d’expériences diverses m’a semblé un excellent présage de l’espoir raisonnable, pour des gens de bonne volonté, de faire naître un monde pacifié parce que juste, respectueux de l’autre et tolérant. Merci à Lisette Prost et son équipe ! Jean-François Guiraud Directeur des Pèlerinages de Besançon