En ces temps de séismes, d’attentats, de viols et d’injustices en tout genre, il ne convient pas seulement de se « construire » des raisons d’espérer mais de savoir les accueillir lorsqu’elle nous sont proposées par d’autres.

La lecture du livre de Michael Lapsley (1) fait partie de ces sources auxquelles il fait bon s’abreuver. Combattant contre l’apartheid sud-africain, ce prêtre anglican reçut une lettre piégée qui lui arracha les deux mains et lui fit perdre un œil. Surmontant cette épreuve, il a poursuivi le combat pour la justice et il parcourt aujourd’hui tous les lieux de grandes blessures (aussi bien au Rwanda, aux Etats-Unis, qu'en Irlande du Nord ou en Colombie) pour inviter à la guérison et faire le choix de la vie. « Dans notre monde, le moment de la guérison des mémoires est arrivé ! » écrit-il.

Oui, ce sont bien nos mémoires qui sont malades aujourd’hui. Nombre des violences auxquelles nous assistons sont le fruit de maladies de la mémoire : souvenir traumatisant d’une épreuve personnelle qui obstrue le chemin de l’avenir ; glaciation des solidarités que provoquent les conflits entre ethnies, communautés religieuses ou partis politiques ; justification haineuse puisée dans le passé qui provoque l’aveuglement devant les violences ; atteinte à l’intégrité physique ou psychique qui tarit en la personne le goût du pardon ; refus de l’autre, de sa différence qui agresse, de ses idées qui horrifient, de son comportement qui révolte… Et voici que les individus comme les groupes ne peuvent plus faire un pas nouveau vers l’avenir.

« Aucun d’entre nous ne doit rester prisonnier du passé. Devenir les acteurs de notre propre avenir en contribuant à façonner et à créer un monde meilleur. Pour moi c’est là le sens de la libération et je pense que c’est le rêve de Dieu pour la famille humaine » témoigne Michael Lapsley. Car pour lui, Dieu est aussi de la partie.

Michael Lapsley décrit comment il dut repenser sa relation à l’Evangile, intimement liée à son combat pour la justice dans l'esprit de la théologie de la libération. Une démarche de foi au cœur de laquelle le doute a toute sa place pour éviter le fondamentalisme. Effort pour contextualiser et ne pas dogmatiser les textes religieux. Refus d’un Dieu prétendument vengeur : « Dieu n’envoie pas des lettres piégées » (...) « Dieu n’intervient pas pour prévenir de terribles événements, mais Dieu nous accompagne dans notre cheminement quel qu’il soit ».

L’humilité n’est pas loin : « Ceux d’entre nous qui sont des gens d’église apprennent souvent lentement ; il nous a fallu mille huit cents ans d’histoire chrétienne pour comprendre que l’esclavage était une mauvaise chose. » Il y a pourtant urgence, et les églises ont un rôle à jouer pense Michael Lapsley : « Si nous ne pansons pas les blessures de ceux qui ont le cœur brisé, nous ne pouvons pas espérer créer une société juste et durable où chacun a sa place au soleil, car les victimes d’hier deviennent trop facilement les bourreaux de demain. »

Tout un programme au cœur de ce monde en violences. Un programme de guérison et de vie.



(1) Guérir du passé, Michael Lapsley, Editions de l'Atelier, Paris, 2015.